Gargouilles
GARGOUILLES
Au Banc des absents, le Miroir des GareGouilles
Les lumières s’allument, blafardes, nerveuses,
comme des néons sous caféine.
Nappes tirées au cordeau,
verres alignés comme des soldats de cristal,
prêts à tomber pour la patrie et le foie gras.
Les humains parlent fort de joie,
de chaleur, de partage, de traditions,
pendant que le vivant, lui,
recule discrètement
sur la pointe des sabots.
Un souffle passe.
Les têtes se tournent.
Les dindes clignent d’un œil stratégique,
les cochons serrent les fesses,
les oies consultent leur instinct syndical.
La fuite devient chorégraphie,
ballet contemporain en bottes de paille,
fugue magistrale, audace sur pattes.
Portes qui claquent
lever de rideau version ferme ouverte.
Clôtures couchées comme après une rave agricole,
sabots, pattes, plumes en freestyle.
La poussière s’élève, les rues se réveillent,
et même les gargouilles lèvent un sourcil.
Puis…le vide.
Étal muet. Frigo en PLS.
Congélateur en dépression saisonnière.
On parle d’incident, de rupture logistique,
de destin contrarié,
de « c’est quand même pas de chance ».
ET, les assiettes restent vierges,
immaculées comme des CV sans expérience.
Les mains fouillent l’air, les yeux clignotent,
le cerveau cherche une appli.
On rit moins fort. On parle encore plus.
On gesticule, on philosophe, on feint la légèreté.
Mais oui, c’est la fin d’année.
Vide orchestré. Banquet détourné.
Au loin, la poussière retombe,
lourde, noble, presque cinématographique.
Les silhouettes s’éloignent,
calmes, dignes, repues de liberté.
Fête suspendue. Monde figé.
Réveillon désarticulé.
Pour la première fois,
la fin d’année reste sur sa faim. Le vivant a disparu,
sans ticket, sans doggy bag, sans explication.
Le banquet s’est évaporé. Le bruit s’éteint.
Et les humains, incapables de rattraper la farce,
restent là, mains vides, regards vides,
oreilles pleines du vent qui s’en va.
Et soudain… dans ce silence tout neuf,
ils entendent l’impensable.
Bouillonnements... Contractions.
Glouglous suspects. Grondements d’échappement intérieur.
Leur propre estomac, abandonné depuis trop longtemps,
se réveille, se redresse, et commence à penser.
Mais que va t on manger???
Prostitution d’une fête
La salle est prête, c'est ainsi, toujours prête, cirée jusqu’à l’aveuglement. Les meubles brillent , c'est ainsi, on les use avec soin, comme si la cire pouvait effacer les souvenirs. La table s’étire au centre, on lui ajoute des rallonges pour plus de confort, c'est comme çà, et elle accepte avec une gourmandise muette. Elle gagne en surface, en pouvoir, en prétention. La nappe suit, tirée, ajustée, dissimulant mal la cicatrice centrale, là où le bois se souvient qu’on l’a forcé à grandir,
Les chaises reculent et reçoivent leurs coussins gonflés, çà toujours été comme çà, épais, dociles, chargés d’absorber l’humeur des fesses, de retenir la tension, d’avaler les soupirs, de stocker les impatiences,
Les guirlandes clignotent avant même que la joie ne soit décidée. Rouge, vert, or. Toujours le même alphabet lumineux, et oui, c'est ainsi depuis... Le sapin trône dans son coin, souriant sous ses racines tranchées, fier d’être décoré jusqu’à l’oubli. Il perd ses aiguilles avec dignité. On appelle ça la magie. Lui est épargné, changé chaque année, c'est comme çà,
Les bougies brûlent droit, trop sérieusement, convaincues que leur lente agonie crée une ambiance. La cire coule, marque le mobilier de stigmates qu’on qualifiera de oh que c'est charmant. Les bouteilles colorées frémissent. Le gaz pétillant cogne contre le verre, promet que tout ira bien, toujours. Le bouchon saute, trop fort, s’échappe, se fait la belle, heurte les lumières, provoque un cri bref, un sursaut collectif. Panique à bord,
Un couteau émoussé refuse de trancher. Il glisse, insiste, humilie la viande. Les couverts tintent, les verres vacillent, une chaise grince trop fort. Pendant une seconde, la salle tangue. Le paquebot de la fête prend l’eau. On se lève brusquement, bruit et fracas, éclats de voix, gestes désordonnés. Quelque chose menace de sombrer. Chaloupe à la mer, l'amer monte,,,
Puis tout se rassoit, c'est souvent comme çà,
On rit. On commente. On balaie l’incident comme une anecdote. On rallume une guirlande. On ressert un verre. La salle se redresse, impeccable, fière d’avoir encaissé la crise. Les assiettes bavent toujours. Les coussins ont tout absorbé. Les confettis, déjà épars, se glissent sous les meubles,
Chacun reprend son rôle. Roi d’un soir. Bouffon par défaut. Le décor écoute, capte, redistribue. Il sait. Il se souvient mieux que vous. À la fin, quand les corps se lèvent enfin, lourds, fatigués, la salle reste droite, prête, déjà tournée vers l’an prochain., ce sera comme çà,
On se souviendra de cette date, la faim d’année, encore, en chœur
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