18 juin 2023

LOUPS COMPORTEMENTS de CHASSE

 PRÉDATION CHEZ LE LOUP : 

COMPORTEMENT DE CHASSE, FACTEURS DE VARIATION ET COMPARAISON PRÉDATION FAUNE SAUVAGE-FAUNE DOMESTIQUE

THÈSE pour obtenir le grade de DOCTEUR VÉTÉRINAIRE présentée et soutenue publiquement devant LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE CRÉTEIL le 17 décembre 2019 par

Anne-Cécile, Francine GILBERT sous la direction de Pascal ARNÉ Président du Président du jury, Mme Virginie PRULIERE-ESCABASSE Professeur à la Faculté de Médecine de CRÉTEIL.

1er Assesseur : M. Pascal ARNÉ Maître de Conférences à l’EnvA

2nd Assesseur : Mme Caroline GILBERT Professeur à l’EnvA

Remerciements

Au Président du Jury de cette thèse, Professeur à la Faculté de Médecine de Créteil, qui m’a fait l’honneur d’accepter la présidence du jury de cette thèse, hommages respectueux.

A M ARNÉ Pascal, Maître de conférences à l’EnvA, pour m’avoir fait l’honneur d’être mon directeur de thèse et avoir accepté de diriger ce travail qui me tenait tant à coeur. Merci pour vos précieux conseils, votre rigueur et votre réactivité. Sincères remerciements.

A Mme GILBERT Caroline, Professeur à l’EnvA, pour avoir accepté d’être assesseur, pour vos corrections et votre relecture attentive. Sincères remerciements.

A mes Parents et ma Soeur,

A Antoine,

A ma Famille,

A mes amis Alforiens.


A consulter en intégralité sur:

 https://theses.vet-alfort.fr/telecharger.php?id=3833



Liste des abréviations

ADN : Acide DésoxyriboNucléique

ASP : Agence de Services et de Paiement

CERPAM : Centre d’Etudes et de Réalisations Pastorales Alpes-Méditerranée

CITES : Convention Internationale sur le commerce des espèces en danger

CPT : Chien de Protection de Troupeau

DDT : Direction Départementale des Territoires

DREAL : Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement

DRAAF : Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt

FEADER : Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural

GPS : Global Positioning System (système de positionnement global)

Kcal : kilocalorie

Kg : kilogramme

Km : kilomètre

MTES : Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire

ONCFS : Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage

ONF : Office National des Forêts

PACA : Provence-Alpes-Côte d’Azur

PNAM : Parc Naturel des Alpes Maritimes

PNGP : Parc National du Grand Paradis

PNM : Parc National du Mercantour

RHP : Resource Holding Potential (potentiel de possession de ressources)

SCC : Société Centrale Canine

TAN : Test d’Aptitudes Naturelles

UICN : Union Internationale pour la Conservation de la Nature

VHF : Very High Frequencies (Très hautes fréquences)

ZPP : zone de présence permanente

ZPT : Zone de présence temporaire


Introduction

Le loup est un mammifère appartenant à l’ordre des Carnivores, à la famille des Canidés, au genre Canis et à l’espèce Canis lupus. En France, la sous-espèce de loups présente est Canis lupus italicus, retrouvée également en Italie. Deux séquences d’ADN mitochondrial permettent de distinguer ce loup des autres sous-espèces européennes (Montana et al., 2017) ainsi que l’analyse de leur crâne (Nowak et Federoff, 2002). 

    WEB

L’Espagne est peuplée par la sous-espèce Canis lupus signatus. 

En Amérique du Nord, où de nombreuses études ont été menées pour observer le loup dans son environnement naturel, il s’agit de la sous-espèce Canis lupus occidentalis.

Après avoir été éradiqués du sol français entre 1923 et 1929 et chassés auparavant pendant des siècles, deux loups ont été observés en novembre 1992 par des agents de l’Office National des Forêts (ONF) dans le Parc National du Mercantour (PNM) situé dans les Alpes Maritimes. Tout d’abord présents de façon discrète dans ce parc, les loups se sont ensuite reproduits et ont atteint le nombre estimé à 530 individus à la sortie de l’hiver 2018-2019. La population lupine a également continué sa progression géographique en France et augmenté son aire de répartition.

Au XIXème siècle, les hommes se sont installés plus avant dans les Alpes et y ont exploité les milieux pour des activités d’agriculture et d’élevage. Ils ont alors détruit en partie les forêts qui abritaient les ongulés sauvages, source de nourriture principale du loup. La disparition de leur habitat naturel a rendu ces ongulés plus visibles lors de la chasse, ce qui a conduit à augmenter leur vulnérabilité face aux chasseurs, et la population de faune sauvage a alors diminué drastiquement. La population de loups qui chassait ces animaux, s’est rabattue en partie sur les troupeaux domestiques pour survivre. Ces attaques répétées ont abouti à la disparition du prédateur suite aux tirs mis en oeuvre par les humains pour protéger leur bétail.

Actuellement, la même problématique se pose depuis le retour du loup en France, mais le prédateur bénéficie désormais d’un statut de protection réglementaire. Du fait de ses attaques avérées sur les troupeaux domestiques dans certaines régions, le loup est cause d’un grand débat entre ses défenseurs et les éleveurs victimes qui souffrent de sa prédation sur leurs troupeaux. Afin de tenter de régler le conflit entre sympathisants et opposants du loup, le gouvernement a mis en place un plan national d’actions (2018-2023) pour aider les éleveurs concernés.

Le loup est un carnivore opportuniste et il prédate aussi bien la faune sauvage que domestique. La prédation est un mode de recherche alimentaire interspécifique consistant à capturer une proie vivante et à l’ingérer. Le loup, en tant que « médecin des troupeaux », n’impacte pas réellement la survie au long terme des animaux sauvages. Il prélève en premier les animaux les plus faibles, qui ont donc une probabilité de survie moindre dans la nature. Les autres proies sauvages s’adaptent à la prédation du loup en recourant à des stratégies d’évitement.

Etudier l’impact réel du loup dans les régions d’élevage domestique semble indispensable pour permettre une meilleure protection des troupeaux. Connaître les caractéristiques intrinsèques du loup et de sa meute, observer et comprendre son comportement de chasse, étudier son régime alimentaire permettent de mieux appréhender les moyens de défense que les éleveurs ont à leur disposition pour éviter les attaques des loups.

La prédation effectuée par le loup est liée à ses besoins énergétiques. Normalement, le loup capture uniquement le nombre de proies dont il a besoin pour survivre, même si parfois, des cas sont rapportés où le loup tue davantage (« surplus killing »). Pour s’assurer un meilleur succès de chasse, le loup vit en meute, unité sociale qui chasse, élève les jeunes et protège un territoire commun. La demande énergétique de la meute de loups varie au cours de l’année et est maximale en été, suite aux naissances des louveteaux.

Des Loups du parc animalier ALPHA, situé dans le massif du Mercantour -illustration © Maxppp IP3 PRESS/MAXPPP

Une augmentation des attaques de troupeaux domestiques est observée en été dans le Parc National du Mercantour tandis qu’en parallèle, la prédation des ongulés sauvages diminue pendant cette période. En été, l’effectif moyen des troupeaux domestiques double dans cette zone. L’abondance saisonnière d’ongulés domestiques a donc des conséquences positives sur la dynamique de la population de loups, ce qui montre que la densité des prédateurs est étroitement liée à la disponibilité des proies.

Dans ce manuscrit, le comportement de prédation du loup a été étudié sur la base de travaux scientifiques réalisés dans différentes zones : sur l’Ile d’Ellesmere au Canada pour décrire le comportement de chasse de la faune sauvage par le loup dans une zone où il ne craint pas l’humain. Des observations ont également été faites sur l’Isle Royale où la population d’élans est très abondante, favorisant ainsi l’étude de la prédation de la faune sauvage par le loup. Concernant la faune domestique, les études se sont davantage portées sur la France et l’Italie, ceci afin de mieux étudier le problème actuel de prédation de la faune domestique. Différentes sous espèces de loups ont donc été observées en fonction des lieux géographiques étudiés, et dans ce manuscrit, c’est l’espèce Canis lupus qui est considérée.

En premier lieu, nous nous intéresserons au comportement de chasse du loup, qui se définit par une action méthodique et une coopération possible entre les individus composant la meute. Les caractéristiques physiques et physiologiques du loup qui conditionnent le succès de la prédation seront également développées, ainsi que les différentes espèces proies du loup. Dans un second temps, seront abordés les facteurs de variation de la prédation, à la fois climatiques ou propres à l’espèce d’intérêt. Nous étudierons les différents schémas de prédation existants en distinguant les loups solitaires et ceux chassant en meute. Enfin, nous analyserons les adaptations des proies sauvages à la prédation du loup et dresserons un état des lieux de la situation du loup en France et de la problématique de sa prédation sur les troupeaux domestiques avant d’envisager les moyens proposés pour limiter l’impact du loup sur le bétail.

Première partie : comportement de chasse du loup

Appartenant à la famille des Canidés, le loup est un carnivore et se nourrit donc principalement des animaux qu’il capture ou trouve à l’état de cadavres. Pour couvrir ses besoins alimentaires importants et compenser l’énergie dépensée lors de sa quête de nourriture, le loup privilégie les proies de grande taille.

Les sens olfactifs, auditifs et visuels du loup sont très développés et lui sont indispensables lors de la chasse. La morphologie de ce canidé a évolué au cours du temps pour s’adapter à des conditions de prédation parfois extrêmes. La prédation caractérise une interaction dans laquelle un organisme vivant (le prédateur) attaque et se nourrit d’un autre organisme vivant (la proie) (White et Garrott, 2013).

    ALMO Nature

Une des clés du succès de la prédation réside notamment dans le fait que le loup vit en règle générale au sein d’une structure sociale organisée, la meute. Cette organisation sociale également retrouvée chez diverses espèces de singes (Landry, 2017a) constitue pour les loups une adaptation à un régime alimentaire essentiellement basé sur la prédation de grands animaux, et permet la défense d’un territoire et des ressources alimentaires s’y trouvant. La meute doit assurer la survie et l’éducation des louveteaux, aussi tous les membres de la meute peuvent nourrir les louveteaux après la chasse et participer à leur apprentissage. Cette pratique d’« alloparentalité » (Baan et al., 2014 ; Jacobs et Ausband, 2019) est propre aux loups et permet d’augmenter les chances de survie de la progéniture et, au-delà, d’assurer la pérennité de l’espèce elle-même.

I. Besoins alimentaires du loup

Le loup est un carnivore opportuniste (Sand et al., 2016 ; Ståhlberg et al., 2017). Il se nourrit préférentiellement de grosses proies animales comme les ongulés sauvages (cerfs (Cervus elaphus), chevreuils (Capreolus capreolus), chamois (Rupicapra rupicapra)). Quand ce type de proie est absent, les ongulés domestiques (moutons (Ovis aries), chèvres (Capra hircus), boeufs (Bos taurus)), mais aussi de plus petites proies sauvages, comme les lagomorphes, peuvent être intégrées dans son régime alimentaire. Lors de pénurie alimentaire, le loup peut consommer des baies ou se rabattre sur les décharges à proximité d’habitations humaines.

Les loups peuvent également se nourrir sur les carcasses comme le font les charognards (Ståhlberg et al., 2017).

Suite à un repas conséquent, le loup peut jeûner plusieurs jours consécutifs, ce qui peut être utile lors de pénuries de proies. La plus longue période de jeun connue est de 17 jours. L’estomac du loup est en effet capable de contenir de grosses quantités de nourriture suite à la prise alimentaire. Mech et al. (2015a) rapportent que le loup peut avaler jusqu’à dix kilogrammes de nourriture en une prise.

1. Poids du loup

Les loups sont les plus grands représentants de la famille des canidés. Les mâles pèsent entre 28 et 45 kilogrammes (kg), certains peuvent même atteindre 78 kg, tandis que les femelles ont un poids moyen compris entre 25 et 39 kg ; certaines femelles peuvent peser jusqu’à 54 kg (Mech et al., 2015a).

Le poids des loups diffère en fonction de leur localisation géographique. Les loups situés plus au Nord présentent des membres plus courts ce qui limite leur déperdition énergétique. Ces loups sont plus lourds (50 kg pour Canis lupus arctos, sous-espèce la plus septentrionale). En Scandinavie, 89 loups adultes de la sous-espèce Canis lupus lupus (âgés de plus de deux ans) et 58 loups âgés de moins d’un an ont été équipés de colliers GPS en hiver entre les années 1998 et 2013 (Zimmermann et al., 2015). Cette étude confirme que les loups vivant dans les régions les plus nordiques sont plus lourds, puisqu’en moyenne, les mâles pèsent 46,8 (+/- 1,1) kg, et les femelles 38,3 (+/- 1,1) kg. Au contraire, les loups vivant dans des zones plus méridionales sont plus légers et possèdent des membres plus longs (Landry, 2017a).

2. Métabolisme des loups au repos et en activité

Peterson et Ciucci (2003) expliquent que le loup est peu exposé au risque de carences alimentaires du fait de la consommation de proies entières dont la composition en constituants élémentaires est somme toute très similaire à celle des prédateurs eux-mêmes. Cependant, aucun cadavre de loup n’a pu être analysé et sa composition analytique précisément décrite ; aussi les études se basent-elles sur la comparaison avec la composition du corps d’un chien (très proche génétiquement). A priori, les loups seraient composés de 56 % d’eau [42-67 %], de 16 % de protéines [11-20 %], de 23 % de graisse [10-41 %], de minéraux [3 à 5%] et de glucides (1,7 %). Cette étude permet d’en déduire les besoins et les apports nutritionnels du loup.

La capture de proies doit permettre un gain énergétique suffisant au loup pour lui permettre d’assurer ses fonctions vitales, se reproduire et chasser. Le métabolisme de base correspond aux besoins énergétiques minimaux permettant la survie de l’animal. La sous-espèce lupine présente en Eurasie (Canis lupus lupus), a un besoin estimé entre 935 et 1042 kilocalories (kcal) par jour pour le mâle et entre 813 et 943 kcal pour la femelle (Landry, 2017b).

Le métabolisme en activité est quant à lui quatre fois plus élevé, équivalent à 4227 kcal pour un poids moyen de 37 kg.

Le rapport « métabolisme en activité / métabolisme de base » est plus élevé chez les loups par rapport aux autres mammifères, indiquant que les besoins spécifiques liés à l’activité de l’animal sont plus importants. En effet, en comparant les besoins énergétiques d’un mammifère de 37 kg en pleine activité et ceux d’un loup en activité de même poids corporel, Kreeger (2015) s’est aperçu que les besoins énergétiques du loup sont supérieurs. En effet, un loup actif requiert un apport énergétique de 4234 kcal/ jour, tandis qu’un mammifère de même poids corporel nécessite 3373 kcal/ jour (soit 26% moins que le loup).

En convertissant le besoin calorique en « équivalents viande stricto sensu (tissu musculaire) » ingérés par jour, le loup devrait consommer entre un et deux kilogrammes de muscles quotidiennement, ce qui équivaut en termes de carcasse (incluant viscères, os et crâne), à 4,1 kg d’une carcasse de cervidé en moyenne. Des loups d’un poids moyen de 28 kg consommeraient donc par an en moyenne 19 cervidés d’un poids moyen de 80 kilogrammes environ (Landry, 2017b).

Pour préciser le calcul du métabolisme de base, Peterson et Ciucci (2003) utilisent la formule couramment admise :

Poids métabolique (kg) = 70 * (poids vif en kg)0,75.

Cette formule montre qu’un loup d’un poids moyen de 35 kg présente un besoin énergétique minimal de 1007 kcal /jour.

Or, l’énergie métabolisable ingérée lors de la consommation d’une proie serait en moyenne de 1,84 kcal/g de proie (Peterson et Ciucci, 2003) ; le loup devrait donc consommer 0,55 kg de proie par jour pour couvrir ses besoins énergétiques. En réalité, en tenant compte des pertes digestives et urinaires qu’il faut soustraire à l’énergie totale (ou énergie brute) ingérée, le loup devrait consommer 0,65 kg de proie par jour pour répondre aux besoins énergétiques de son métabolisme de base.

Pour calculer le métabolisme du loup en activité, Peterson et Ciucci (2003) se sont inspirés d’une étude réalisée en Afrique estimant les besoins énergétiques d’un chien en train de chasser ; ils ont ainsi montré que, pour faire fonctionner un organisme en activité, il faut multiplier le besoin énergétique de base par un facteur cinq. Un loup de 35 kg devrait donc consommer 3,25 kg de proie par jour, ce qui équivaut à la consommation de 0,09 kg de proie par kg de loup quotidiennement (tableau 1).

Peterson et Ciucci (2003) ont ensuite procédé à une méta-analyse sur dix-huit études réalisées dans le Nord de l’Amérique estimant les quantités de proies quotidiennes nécessaires à la survie d’un loup. Leur conclusion évalue la consommation journalière de nourriture pour un loup à 5,4 kg, soit 0,14 kg de proie par kg de loup (tableau 1).

Dans l’étude réalisée en Scandinavie par Zimmermann et al. (2015), la principale espèce chassée est l’élan (Alces alces) avec en moyenne 0,061 élan tué par loup par jour [0,012-0,135]. La biomasse disponible est donc en moyenne de 7,6 (+/-1) kg par loup par jour [1,2-16,1]. Cette quantité est supérieure aux résultats des études précédentes mais concerne des loups plus lourds. En considérant le poids moyen des loups dans cette région, la consommation journalière de nourriture est de 0,16 kg de proie par kg de loup mâle et 0,2 kg de proie par kg de loup femelle. Cette consommation accrue peut être liée aux conditions climatiques parfois extrêmes de Scandinavie qui provoquent une déperdition énergétique plus élevée chez le loup.

Tableau 1 : estimation journalière des quantités de proies nécessaires

Etude des Besoins alimentaires

Landry, (2017b) 0,11 kg de proie par kg de loup par jour

Peterson et Ciucci, (2003) 0,09 kg de proie par kg de loup par jour

18 études synthétisées par Peterson et Ciucci, (2003) 0,14 kg de proie par kg de loup par jour

Zimmermann et al., (2015) 0,16 kg de proie par kg de loup par jour pour un loup mâle, 0,2 kg de proie par kg de loup par jour pour un loup femelle

    PETERSONS Hunting

II. Une anatomie du loup adaptée à la chasse

1. Caractéristiques des appendices permettant la chasse

Pour assurer ses besoins nutritionnels quotidiens, le loup doit donc chasser un certain nombre d’animaux. La capture des proies n’est cependant pas aisée. En effet, par instinct de survie, les animaux traqués peuvent prendre la fuite sur des kilomètres à une vitesse relativement soutenue. Le loup doit donc être capable de les suivre sur de longues distances, parfois sur des terrains escarpés. Les pattes du loup sont particulièrement larges et flexibles, et lui permettent d’être à l’aise sur tout type de terrain. Lorsque les conditions climatiques sont hivernales, leurs coussinets sont susceptibles de s’écarter facilitant leurs déplacements sur la glace comme sur la neige poudreuse (Boyac, 2017).

Les membres du loup se sont modifiés au cours de l’évolution évoluant vers une posture digitigrade, ce qui a amélioré ses performances de prédation. La partie distale de ses membres s’est allongée : le tibia est devenu plus long par rapport au fémur et les muscles se sont principalement développés sur la partie proximale des membres. Ces modifications lui ont permis de faire de plus grandes foulées lors de la course.

De façon concomitante, le nombre de doigts a été réduit permettant une vélocité accrue : l’ergot présent sur les pattes antérieures a régressé tandis qu’il a disparu sur les pattes postérieures (Landry, 2017a). Le loup est donc capable de parcourir de longs trajets et de faire des pointes de vitesse.

En moyenne, le loup parcourt environ 8,7 kilomètres par heure et il peut couvrir 76 km en 12 heures (Mech et al., 2015a). Landry (2017b) note que l’allure habituelle du loup est le trot (11 à 13 km/h). Pour capturer une proie, le loup peut atteindre une vitesse de pointe de 45 à 50 km/h (figure 1). La faculté des loups à parcourir de longues distances les aide lors de la recherche de proies puisqu’ils peuvent choisir les animaux les plus vulnérables qu’ils chassent en prenant un minimum de risques. Un proverbe russe illustre parfaitement cette notion : « les loups sont nourris grâce à leurs pieds » (Mech et al., 2015a).

Figure 1 : le loup est un excellent coureur (Landry, 2017)

Le loup est également capable de sauter (par-dessus un obstacle comme une barrière) et il peut bondir sur plusieurs mètres de longueur (cinq mètres environ). En l’absence de fort courant, il s’avère bon nageur (Landry, 2017b).

2. La dentition et les muscles masticateurs

La dentition du loup est requise pour capturer ses proies et leur infliger des morsures de mise à mort efficaces. Peterson et Ciucci (2003) ont étudié la dentition des canidés. Ces derniers infligent généralement de nombreuses morsures peu profondes. En premier lieu, incisives et canines sont utilisées par le loup pour maitriser sa proie. Il est capable de déplacer des proies faisant deux à trois fois son propre poids.

A l’âge adulte, la dentition du loup est composée de 42 dents ; 20 dents sur la mâchoire supérieure et 22 dents sur la mâchoire inférieure. La formule dentaire du loup par demi-mâchoire est la suivante (I pour incisive, C pour canine, P pour prémolaire, M pour molaire) : 3I 1C 4P 2M 3I 1C 4P 3M

La mâchoire supérieure du loup a une longueur variant entre 100 et 105 mm chez l’adulte, tandis que la longueur de la mâchoire inférieure varie entre 165 et 200 mm selon le sexe de l’individu (Boyac, 2017).

Les canines incisent la peau en la lacérant et provoquent des saignements importants pouvant tuer la proie par choc hémodynamique. Ces dents ont une forme adaptée pour résister à la traction exercée par les proies pour échapper aux crocs du loup lors des morsures de préhension. En effet, la base des canines a une section elliptique (figure 2).

Figure 2 : canines du loup (Landry, 2017)

Les incisives complètent l’action des canines en permettant de tenir les proies de grande taille. Ces dents jouent également un rôle lors de l’ingestion de petites proies (petits mammifères) ou de baies.

Les muscles de la mâchoire complètent l’action des dents lors de la capture d’une proie. Le muscle temporal confère de la puissance à la mâchoire inférieure. Les loups peuvent exercer une pression de morsure de 28 kg/cm² grâce à la contraction des muscles masséters, leur permettant ainsi de dépecer la chair et de casser les os (Peterson et Ciucci, 2003). Le loup peut même exercer une pression de serrage dont l’intensité peut s’élever jusqu’à 150 kg/cm².

Une fois la proie mise à mort, le loup va la consommer. Les incisives permettent de retirer les tissus de la carcasse. Les carnassières, spécifiques des carnivores, qui correspondent à la quatrième prémolaire supérieure et à la première molaire inférieure, tranchent muscles et peau. Chaque carnassière est dotée de deux bouts tranchants séparés par une encoche en forme de V. Lorsque les mâchoires se ferment, les bords tranchants du haut et du bas cisaillent la nourriture (Peterson et Ciucci, 2003).

3. Les loups sont-ils capables de consommer les os ?

Des loups en captivité dans la Creuse en France ont été observés afin de savoir si les mâchoires et les dents du loup lui permettent de se nourrir d’os (Campmas et Beauval, 2008). Les loups s’attaquent en fait aux os selon une certaine séquence : tout d’abord ils en consomment les extrémités saillantes, faciles à saisir. Les dents du loup sont capables de pénétrer les extrémités de l’os en profondeur (os compact et os spongieux). Les diaphyses des os longs présentent souvent des morsures plus superficielles. En fin de consommation, le nombre de sillons de mâchonnements est plus important sur les os.

La consommation de certains os dénote une exploitation parfois très complète de la carcasse : par exemple le talus situé au centre du tarse ne peut être consommé qu’une fois l’animal désarticulé.

L’étude montre qu’en captivité, les loups sont capables de briser les os. Néanmoins les champions en la matière restent les hyénidés dont la puissance de la mâchoire est sans rivale et qui procèdent plus rapidement encore (Campmas et Beauval, 2008). La transposition au monde sauvage présente quelques différences puisque les loups vivant en liberté ne consomment pas intégralement la carcasse pour éviter de se faire repérer. En captivité, au contraire, le temps de contact entre le prédateur et la carcasse est prolongé et une longue séquence de consommation plus exhaustive peut alors être observée.

4. L’usure des dents du loup, un bon indicateur de la disponibilité des proies

Lorsque le ratio prédateur/proie augmente, les proies sont davantage consommées et les dents des prédateurs plus souvent cassées (Van Valkenburgh et al., 2019). La fréquence de dents cassées retrouvées sur les carcasses des loups est un bon indicateur du stress énergétique auquel ils ont fait face. Quand la densité des proies diminue, les loups ont tendance à passer plus de temps à se nourrir sur les carcasses pour en retirer le gain énergétique maximal. Aussi en consomment-ils également les os, ce qui favorise l’usure des dents, voire provoque des cassures.

Des chercheurs (Van Valkenburgh et al., 2019) ont échantillonné les carcasses de loups dans trois zones : sur l’Isle Royale (Michigan, Etats-Unis d’Amérique), dans le Parc National du Yellowstone (Etats-Unis d’Amérique), et en Scandinavie. La densité de proies diffère dans ces trois régions. Par exemple, en Scandinavie où les loups chassent les élans, le ratio est de 499 grands cervidés par loup, tandis que sur l’Isle Royale le ratio chute à 55 élans par loup. Les canidés tendent de fait à consommer moins exhaustivement les carcasses en Scandinavie en lien avec une meilleure disponibilité des proies. Les loups avec au moins une dent cassée correspondent à moins de 38 % de la population de loups en Scandinavie, alors qu’ils représentent 72 % de l’effectif sur l’Isle Royale (Van Valkenburgh et al., 2019).

Dans le Parc National du Yellowstone (PNY), deux périodes ont été distinguées : de 1995 à 2006, soit juste après la réintroduction des loups, et après 2006. La proie principale dans le parc du Yellowstone est le wapiti (Cervus canadensis). Lors de la première période considérée, le ratio proie/prédateur était de 600/1. Après 2006, ce ratio a été divisé par six consécutivement à l’effondrement de la population de wapitis. Parallèlement, la proportion de loups ayant au moins une dent cassée est passée de moins de 38 % au moment de leur réintroduction dans cette zone à 64 % après 2006. Les résultats ont montré que les incisives et les molaires sont plus souvent cassées là où se trouvent des bisons (Bison bison). En effet, leurs os sont très épais, donc pour réussir à se nourrir, les loups doivent insister davantage, ce qui a pour conséquence de favoriser les lésions dentaires. Les canines ne sont pas les dents les plus affectées contrairement aux carnassières. En effet, le loup se sert de ces dernières pour briser l’os pour pouvoir le consommer.

En plus de ses caractéristiques physiques profilées pour la chasse, le loup fait montre de coordination et de coopération lors de la poursuite d’un animal, ainsi que de stratégie et de persévérance lors de la recherche de ses proies. Les loups ont également un sens de l’apprentissage développé : ils mettent en place des techniques de chasse leur permettant d’être plus performants ; ils apprennent à repérer les proies les plus vulnérables et transmettent l’art de la chasse à leur progéniture (Mech et al., 2015a).

III. Des sens développés faisant du loup un animal social mais aussi un prédateur efficace

Pour repérer efficacement ses proies, le loup se sert avantageusement de ses sens olfactifs, visuels et auditifs particulièrement développés. En effet, Mech et al. (2015a) rapportent que lors de leurs observations sur l’Isle Royale aux Etats Unis d’Amérique, les loups ont utilisé leur odorat dix fois sur 17 occurrences pour localiser leur proie, la vision à six occasions et ont repéré les traces de pas de leurs proies dans la neige dans un cas.

1. L’odorat

L’odorat du loup est très développé grâce aux lames osseuses situées à l’intérieur des fosses nasales que l’on dénomme volutes ethmoïdales. La surface de contact des molécules odorantes avec les neurones chémorécepteurs olfactifs s’en trouve ainsi considérablement accrue. Les neurones olfactifs sont de plus 40 fois plus nombreux que chez les humains (environ dix millions pour l’homme pour une surface de dix centimètres carrés, contre 225 millions de neurones pour une surface de 200 centimètres carrés chez le labrador) (Landry, 2017a).

Par conséquent, le loup possède un odorat très performant, 100 à 10 000 fois plus développé que celui de l’homme (Landry, 2017a). Il peut en effet détecter une proie potentielle à plusieurs kilomètres si le sens du vent est favorable. Contre le vent, un animal peut être détecté à 270 mètres. Le loup traque la proie à l’aide des différentes odeurs émises par celle-ci (urines, phéromones sexuelles, excréments…).

2. La vision

La vision du loup est une aide précieuse pour la recherche de ses proies. Des chercheurs (Harrington et Asa, 2003) expliquent en effet que pour intégrer rapidement les informations visuelles reçues, le loup doit disposer d’une acuité visuelle correcte pour localiser ses proies à distance, et être capable de voir même en condition de faible luminosité. Harrington et Asa (2003) rapportent que les loups et les chats possèdent le même nombre de cellules ganglionnaires (200 000 contre 115 000 chez le chien) et suggèrent donc que l’acuité visuelle du loup se rapproche de celle du chat, et est meilleure que celle du chien. En comparaison, les humains possèdent un nombre six fois plus important de cellules ganglionnaires (1.2 millions), l’acuité visuelle du loup est donc nettement inférieure à celle de l’Homme.

L’oeil du loup ne possède que deux types de cônes (cônes violet et bleu a priori) : sa vision est donc dichromatique. Néanmoins, des scientifiques (Landry, 2017a) ont pu se rendre compte que les loups sont en réalité sensibles aux infrarouges d’une longueur d’onde de 850 nm alors qu’ils ne disposent pourtant pas des cônes nécessaires a priori.

Le loup peut aussi bien voir la nuit que la journée : sa vision est donc diurne, crépusculaire et nocturne. Les bâtonnets de sa rétine sont en effet très sensibles à la lumière ce qui confère au loup une bonne vision dans des conditions de luminosité faible. Il possède un tapetum lucidum, c’est-à-dire une zone qui permet de réfléchir une faible luminosité sur les photorécepteurs de l’oeil améliorant ainsi la vision nocturne.

Sur la rétine, une zone appelée area centralis permet d’augmenter l’acuité visuelle puisque la concentration de cônes y est supérieure. En périphérie de sa rétine, le loup possède une densité plus élevée de cônes, de bâtonnets et de cellules ganglionnaires par rapport au reste de l’oeil, exception faite de l’area centralis. Cette concentration en cellules ganglionnaires est d’ailleurs plus élevée chez le loup que chez le chien en moyenne (12000 à 14000 cellules/ mm² contre 6440 à 14400/ mm² respectivement). Ainsi, le loup peut-il saisir plusieurs détails à la fois sans avoir à se focaliser sur un point précis en particulier : cette capacité est particulièrement intéressante lors de la chasse car il peut ainsi suivre la proie des yeux tout en gardant ses congénères dans son champ visuel (Landry, 2017a).

De plus, le loup peut percevoir 70 % de son environnement sans avoir à bouger la tête ! 

Figure 3 : comparaison champ binoculaire homme et loup (d’après Landry, 2017a)

La position de ses yeux lui permet d’avoir un champ binoculaire de 70 ° et donc un champ visuel total de 260° (figure 3). Cette capacité reste inférieure à celle des ongulés puisque ces derniers sont capables de capter 83 % à 97 % de leur environnement sans bouger la tête (Landry, 2017a).

3. L’ouïe

Le loup possède une ouïe développée permettant de percevoir un spectre de sons large, et l’orientation volontaire possible de son pavillon auriculaire en direction de bruits suspects lui permet de rechercher plus efficacement l’émetteur.

Un loup est capable d’entendre hurler d’autres loups à 6,4 km voire 9,6 km de distance (Landry, 2017a). Il peut discriminer la voix d’un ses congénères parmi les hurlements de plusieurs loups.

Les capacités auditives du loup n’ont pas été beaucoup étudiées, aussi les études s’appuient-elles principalement sur le chien. Le loup serait sensible aux basses fréquences (de façon comparable aux félidés ou aux hommes) mais il percevrait également les hautes fréquences. Son spectre sonore serait compris entre 67 Hertz (Hz) et 41 kHz. Les loups percevraient donc les ultrasons (Landry, 2017a).

Le pavillon auriculaire des loups est développé et permet de concentrer les sons propagés dans l’air vers le conduit auditif. De plus la mobilité de ce pavillon auriculaire permet d’amplifier un son faible dans un environnement sonore sans avoir à tourner la tête, permettant ainsi au loup de localiser sa proie (Landry, 2017b).

L’odorat, la vue et l’ouïe du loup sont donc très développés et permettent une prédation efficace. Bien que le prédateur ne puisse pas distinguer a priori une large gamme de couleurs, sa vision reste un atout pour la chasse car elle est performante en faible condition de luminosité. Ces trois sens sont les plus importants lors de l’acte de prédation, mais il ne faut pas oublier les sens tactiles et gustatifs qui jouent un rôle prépondérant dans la recherche alimentaire et dans le développement social du loup.

4. Le toucher

Le sens tactile semble jouer un rôle social entre les loups, puisque de nombreux contacts corporels ont été observés (Harrington et Asa, 2003).

Le toucher joue un rôle important dans l’apprentissage des louveteaux. En effet, la mère stimule la défécation dès leur plus jeune âge en léchant le pourtour de la zone anale, et la miction par stimulation de la zone vaginale ou préputiale.

Le toucher intervient également lors de la distribution de nourriture, puisque pour réclamer leur part, les louveteaux lèchent les babines des adultes.

En période de froid, les louveteaux se blottissent les uns contre les autres pour se réchauffer et évitent des déperditions de chaleur conséquentes. Le jeu met en oeuvre des contacts physiques entre les louveteaux et leur permet d’apprendre à se battre entre eux ; ils impriment ainsi les schémas des prédations futures qu’ils appliqueront à l’âge adulte (Harrington et Asa, 2003).

Le toucher intervient également chez les adultes pour réguler leurs relations sociales. Lors de la période sexuelle active, le mâle lèche la zone génitale de la femelle pour la courtiser. Les contacts amicaux surviennent régulièrement entre les membres d’une même meute : il est courant d’observer les loups se frotter le museau l’un contre l’autre. Par ailleurs, les comportements agonistiques (c’est-à-dire une interaction négative en situation de compétition et incluant les comportements d’agression, d’évitement et de soumission (Titeux et al., 2013)) s’accompagnent de contacts violents : le loup peut pousser son adversaire en le touchant au flanc (Harrington et Asa, 2003).

La communication tactile entre les loups adultes en dehors des périodes de reproduction semble avoir deux rôles :

- Elle renforcerait les liens sociaux entre les loups tout en réduisant leur stress. Cette supposition s’appuie sur des études portant sur la réduction du stress humain lors de caresse à un chien par exemple (diminution du rythme cardiaque et de la pression artérielle notamment) ;

- Le contact lors d’un comportement agonistique entre deux loups permet à chacun d’évaluer la force et la compétence de son adversaire. D’autres informations telles que l’odeur et la taille de l’adversaire sont de bons indices pour juger de sa capacité à combattre son rival (Harrington et Asa, 2003).

Au contact du sol, le loup peut recueillir des informations sur la consistance, la température de la terre et ressentir de possibles vibrations correspondant à des déplacements de troupeaux lointains. La perception de ces vibrations permet de l’orienter vers ses proies (Landry, 2017b).

5. Le goût

Comme le chien, le loup possède des récepteurs gustatifs pour les saveurs salée, sucrée, amère et acide (Harrington et Asa, (2003), Landry, (2017b)). Cependant, le goût ne semble pas jouer de rôle dans la détection de la proie.

Les sens développés du loup lui permettent d’effectuer une prédation efficace et interviennent dans la vie sociale de l’espèce, puisque ces prédateurs tendent à vivre en groupe, la meute, qui est elle-même gage d’efficacité lors de l’acte de prédation.

IV. La vie en meute : une caractéristique propre à la prédation des loups

1. Organisation sociale d’une meute

Le loup est avant tout une espèce sociale : il présente tous les critères de socialité à savoir la stabilité temporelle, la cohésion spatiale, la communication et la coordination des activités, la reconnaissance des membres du groupe et des non-membres (Titeux et al., 2013).

Au cours de l’évolution, l’organisme des loups s’est adapté pour optimiser leur prédation. Aux qualités individuelles de prédation s’ajoute le fait que la majorité des loups vit en meute. Celle-ci correspond à une unité sociale organisée qui chasse, élève les jeunes et protège un territoire commun, en tant que groupe stable. Les membres de la meute sont généralement des individus apparentés : un couple reproducteur et leurs descendants (Mech, 2000).

Les définitions de la meute diffèrent en fonction du contexte d’observation des loups en captivité versus en milieu sauvage. Il convient d’examiner d’abord les distinctions qui existent entre ces deux modes de vie, puis nous privilégierons la définition s’appliquant à la meute sauvage.

De nombreuses observations de loups en captivité ont montré que la meute était hiérarchisée (Landry, 2017a). Les interactions entre les individus sont souvent liées à des comportements de dominance et de soumission. Le couple dominant de la meute dit « Alpha » domine et dirige tous les individus de la meute, initie les activités de chasse et est le seul à se reproduire. Lors du nourrissage, ils sont les premiers individus à se nourrir et à pouvoir choisir les morceaux de choix. A l’opposé du couple Alpha, se trouve le loup Oméga situé au rang inférieur dans la hiérarchie de la meute. Il fait l’objet de nombreux harcèlements par les autres loups et permettrait par ce biais de désamorcer les tensions au sein de la meute (Busch, 2007).

Comme nous l’avons dit, il faut cependant différencier les observations des meutes de loups captives, de celles vivant à l’état sauvage. En effet, dans les écosystèmes naturels, la meute se résume à une cellule familiale restreinte réunissant le couple reproducteur, les subadultes et les louveteaux (Landry, 2017c). Les meutes de plus grande taille peuvent parfois compter 20 à 30 individus mais elles finissent par se fragmenter ensuite en différentes meutes dont la taille sera nécessairement réduite. Tous les membres de la meute ont pour fonction de s’occuper des louveteaux afin de maximiser leurs chances de survie en défendant notamment leur territoire.

    David MECH

Pour mieux connaître l’organisation sociale des meutes, Mech (2000) a suivi des meutes sur l’île d’Ellesmere au Canada pendant les étés 1986 à 1998. Les loups ne connaissant pas la présence humaine n’étaient pas effarouchés par l’auteur. Ses observations ont eu comme conclusion que la meute de loups doit être définie comme une entité familiale avec un couple reproducteur (les parents) qui initie les activités et partage le leadership. En cas de compétition pour la nourriture lorsqu’elle est présente en quantité insuffisante, le couple reproducteur sera prioritaire.

Les subadultes, soit les jeunes loups âgés d’un à deux ans, participent à l’élevage des louveteaux, à la défense du territoire et à la chasse. Ils s’occupent du maintien de l’ordre, et surveillent notamment les interactions entre les louveteaux jusqu’à ce que des règles établies régissent leurs relations (Landry, 2017c). Ces jeunes animaux peuvent rester avec leurs parents jusqu’à l’âge de 54 mois (Mech et Boitani, 2003). En effet, certains ne sont pas matures sexuellement avant l’âge de trois ans, et pour d’autres, il leur faut attendre cinq ans pour que leurs taux d’hormones sexuelles soient suffisants. Rester avec leurs parents leur permet également d’améliorer leurs compétences de chasseur.

Le couple reproducteur joue de nombreux rôles au sein de la meute. Il initie les déplacements notamment, les loups avancent alors en file. En dehors de la période de reproduction, le mâle reproducteur se trouve souvent en première place dans cette file. Lors de la saison de reproduction, l’ordre des loups est influencé par l’oestrus de la femelle reproductrice. Le mâle reproducteur reste derrière celle-ci, tant pour la protéger des autres loups que pour saisir l’opportunité de se reproduire (Mech, 2000).

Lors de la chasse, le couple d’individus reproducteurs initie l’attaque en général (Macnulty et al., 2012 ; Escobedo et al., 2014 ; Jacobs et Ausband, 2019).

Il faut cependant savoir que tout membre de la meute ayant l’opportunité d’attaquer le fera ; mais lorsque la meute est réunie, c’est le couple reproducteur qui mène l’attaque (Mech, 2000). Le mâle reproducteur engage les activités de recherche de nourriture tandis que la femelle reproductrice s’occupe de la protection de la meute et des nouveau-nés. Le couple reproducteur régule également les activités reproductrices : la femelle empêche les autres louves de la meute de se reproduire, ce qui a pour conséquence de réduire le nombre de bouches à nourrir.

Le mâle reproducteur s’occupe de rapporter la nourriture (morceau de proie ou régurgitation) à la femelle reproductrice lorsque celle-ci ne peut pas quitter la tanière. Il régurgite également de la nourriture aux louveteaux, mais ce rôle ne lui est pas propre. Chaque loup de la meute y contribue.

Le fait de chasser en meute avantage considérablement les loups par rapport aux proies. La taille de la meute est fonction de la survie des nouveau-nés de l’été précédent, de la survie des adultes, et du taux de dispersion (Mech et al., 2015a). La meute n’est pas une entité figée : une femelle de la meute peut ainsi prendre la place de la louve reproductrice si celle-ci est blessée ou tuée, de même pour le mâle alpha. Des loups solitaires peuvent également tenter de rejoindre la meute ; ils peuvent être acceptés dans la meute si un membre manque, ou être rejetés par le mâle reproducteur à l’issue d’une bagarre.

La meute est donc une entité sociale structurée : aussi la disparition soudaine par abattage d’un des deux reproducteurs peut-elle désorganiser une petite unité. En effet, l’inhibition de la reproduction exercée jusqu’alors sur les femelles subalternes peut cesser et le nombre de naissances augmenter dans un contexte de ressources alimentaires toujours limitées cependant (Landry, 2017c).

2. Le rôle du jeu pour l’instauration des relations sociales et des comportements de chasse chez les loups

Cafazzo et al. (2018) ont étudié l’importance du jeu dans la mise en place des relations sociales chez des groupes composés uniquement de louveteaux et des groupes mixtes de louveteaux et d’adultes élevés en captivité en Amérique du Nord. Ils ont observé les interactions entre louveteaux d’une part, et celles intervenant entre la progéniture et les adultes d’autre part. Deux phases de jeu ont été mises en évidence : les jeux compétitifs caractérisés par des attaques, des défenses et des contre-attaques et les jeux relaxants. Les premiers permettent de tester la force ou la faiblesse de l’adversaire potentiel et clarifient la situation de dominance dans un contexte de jeu sans les risques d’une agression ouverte. La phase compétitive est davantage observée entre les loups qui doivent se positionner en termes de hiérarchie au sein de la meute. Dans ce cas, le dominant a un comportement offensif tandis que l’autre loup présente un comportement de « self-handicapping » (Essler et al., 2016), c’est-à-dire un comportement « d’auto-handicap » donnant un avantage compétitif à son adversaire (par exemple en se mettant sur le dos pour se retrouver sous le partenaire). Ces observations sont en accord avec celles de Cordoni (2009).

Les auteurs ont remarqué qu’au cours du jeu entre adultes, le leadership n’est que rarement renversé. A la suite de ces interactions compétitives, l’agression entre les membres de la meute est réduite. Cependant, dans les groupes composés uniquement de louveteaux, l’augmentation du temps de jeu compétitif entraîne une agressivité accrue en dehors du jeu. Essler et al. (2016) expliquent alors que la notion de leadership n’existe pas encore chez les jeunes loups.

    PICFAIR

Les jeux « relaxants » sont caractérisés par des frottements de museau, des léchages entre protagonistes. Ils traduisent des liens sociaux forts (Cafazzo et al., 2018).

Le jeu permet donc de renforcer les liens sociaux en augmentant la confiance mutuelle des individus et en réduisant le comportement d’agressivité entre partenaires sociaux. De plus, il permet d’évaluer les compétences des autres membres de la meute pour établir et maintenir une relation de leadership (Cafazzo et al., 2018).

3. Les interactions entre les membres de la meute

Les conflits entre les membres de la meute impliquent un risque de blessures, des niveaux de stress augmentés ou la dégradation des relations sociales pouvant mener à l’exclusion d’un membre du groupe.

La gestion des conflits implique donc des stratégies comportementales qui préviennent les conflits avant qu’ils ne surviennent, les atténuent lorsqu’ils se produisent ou favorisent leur résolution avec des conséquences négatives moindres (Baan et al., 2014).

Pour cela, les loups vont chercher à s’éviter, ou instaurer une relation de dominance stable, se soumettre et se toiletter mutuellement.

Les membres d’une meute sont interdépendants : ils coopèrent pour l’éducation des louveteaux et profitent ensemble des bénéfices de la chasse. Ils cherchent donc à restaurer la paix après un conflit. Trois comportements sont observés : la réconciliation qui est un contact amical entre les deux opposants survenant juste après le conflit, la consolation, c’est-à-dire une interaction affiliative initiée par un membre tiers envers la victime du conflit, ou encore une consolation sollicitée, c’est-à-dire que la victime demande consolation à un tiers.

Les auteurs (Baan et al., 2014) ont observé des loups en captivité et ont pu noter un comportement de réconciliation dans 61 % des cas de conflits, une consolation dans 4,9 % des cas et une consolation sollicitée dans 19,5 % des cas. Dans 14,5 % des conflits, la victime n’interagit ensuite avec aucun autre membre de la meute. Une nouvelle agression peut survenir dans 20,5 % des périodes post-conflictuelles.

Les différents comportements affiliatifs observés sont l’inspection, le léchage, le reniflement, et le contact avec le museau.

Souvent, les perdants du conflit initient un contact amical avec leur opposant après le conflit. La notion de réconciliation est souvent initiée par les subordonnés en montrant qu’ils respectent la relation de dominance et ne la remettent pas en cause afin de prévenir une nouvelle attaque. La consolation montre l’investissement de tous les membres de la meute dans la paix sociale (Baan et al., 2014).

Les auteurs (Baan et al., 2014) ont noté que moins d’agression survenait après un conflit lorsqu’un comportement affiliatif avait lieu dans la minute suivant le combat. Cet apaisement peut être expliqué en partie par la sécurité ressentie par le dominant lorsque le subordonné lui montre sa soumission. La résolution des conflits survient également dans un contexte de coopération globale.

V. Communication entre les loups : importance de la communication vocale et olfactive

Pour communiquer entre eux, les loups utilisent les fonctions tactiles, visuelles et vocales. La communication par le toucher a déjà été développée. La communication visuelle est exprimée par la position des oreilles du loup : si celles-ci sont aplaties en arrière, le loup est sur la défensive alors que si elles sont dressées vers l’avant, le loup cherche à inspirer le respect. La crinière du loup peut également se hérisser lors de situations défensives (Ellis, 2015a). Cette communication visuelle intervient notamment lors de la rencontre avec des loups étrangers à la meute. Elle peut également survenir au sein de la meute lors de conflits avec le mâle reproducteur notamment.

Cette partie aborde plus spécifiquement la communication vocale de longue distance : il s’agit du hurlement (figure 4). Celui-ci a trois fonctions principales :

- il permet à chaque individu de la meute de connaître l’emplacement des autres loups et peut ainsi faciliter leur regroupement ;

- il a aussi pour rôle la défense du territoire et met en garde lors d’une intrusion ;

- il permet enfin de motiver le reste de la meute à se joindre à la chasse (Peterson et Ciucci, 2003)


Figure 4 : hurlement chez le loup (Peterson et Ciucci, 2003)

Des chercheurs ont étudié les hurlements spontanés chez des loups équipés de colliers radios dans la forêt polonaise de Białowieża (Nowak et al., 2007). Les loups y hurlent au coeur de leurs territoires et non en périphérie.

Dans les populations étudiées, les hurlements servent principalement à la communication au sein de la meute, notamment dans celles dont les individus sont séparés temporairement (43 % des cas). Les hurlements surviennent aussi avant de partir à la chasse (22 %), et après la réunion des membres de la meute (18 %) (Nowak et al., 2007).

Le taux de réponse aux hurlements dépend de l’âge et du statut social de l’animal : parmi les adultes, seuls les mâles reproducteurs répondent toujours seuls, et leur fréquence de réponses ainsi que le nombre de hurlements par session excèdent toujours celui des autres membres de la meute. Les jeunes répondent beaucoup aux hurlements au cours de leurs sept premiers mois puis ils réagissent moins que les adultes (Harrington et Mech, 1979).

1. Répartition des hurlements dans la journée et dans l’année et durée de ces hurlements

Dans la forêt de Białowieża en Pologne (Nowak et al., 2007), plus de la moitié des hurlements enregistrés pendant l’année ont eu lieu entre juillet et octobre avec un pic de vocalisations au mois d’août. De façon quotidienne, les loups hurlent davantage entre 18h00 et 00h00, ce qui correspond au premier pic de mobilité des loups lors du crépuscule.

Dans une étude réalisée dans la forêt du Minnesota aux Etats-Unis d’Amérique (Harrington et Mech, 1979), huit meutes de loups et dix spécimens solitaires ont été équipés de colliers radio et leurs réponses à des hurlements humains ont été analysées. Leur taux de réponse varie significativement selon la période de l’année. Au milieu de l’hiver, une augmentation des hurlements est notée en lien avec la saison des amours. Un autre pic de réponse a lieu en août, correspondant à la présence des louveteaux, puis le taux de réponse décline progressivement jusqu’au début de l’hiver. La diminution de réponses survient plus vite dans les meutes où les jeunes se développent rapidement.

Dans les deux zones étudiées, les périodes de hurlements les plus importantes culminent pendant le mois d’août avec la présence des louveteaux en lien avec la protection commune de la progéniture par la meute, et également lors de la saison des amours afin de faciliter l’accouplement.

La durée des hurlements augmente de façon significative avec la taille du groupe. Les hurlements de loups isolés ou en petite meute durent en moyenne 34 à 40 secondes tandis que les meutes composées de cinq à sept loups ont des hurlements de durée moyenne supérieure, soit 67 à 95 secondes avec une durée maximale de presque quatre minutes (Nowak et al., 2007).

2. Le rôle social des hurlements

Les hurlements des loups permettent la communication entre les individus séparés temporairement et facilitent ainsi leur regroupement. Ils peuvent être émis par un loup seul ou simultanément par plusieurs membres de la meute, à des fréquences plus ou moins rapprochées.

Des chercheurs (Tooze et al., 1990) ont répertorié les hurlements de sept loups captifs (308 hurlements au total). Ceux-ci sont propres à chaque animal. La fréquence fondamentale (en Hertz) est la caractéristique principale pour discriminer l’appartenance des hurlements. Les loups peuvent ainsi reconnaître les hurlements des membres de leur meute de façon immédiate et ce à longue distance. Cette aptitude à discriminer les hurlements est également utile pour les animaux qui se dispersent. En effet, dans le cas où les loups ne reconnaissent pas les hurlements, ils peuvent éviter des interactions sociales dangereuses en se cachant ou en changeant de chemin.

Une étude a été réalisée au Wolf Center Park en Autriche. Elle a consisté à retirer chaque loup de sa meute pendant 45 minutes et à enregistrer les hurlements des loups restants. Cette étude (Mazzini et al., 2013) avait pour but d’estimer si les hurlements des loups étaient influencés par le statut du loup séparé de sa meute, par la relation entretenue entre eux ou enfin par le stress.

Les résultats ont montré que le nombre moyen de hurlements émis par la meute est significativement affecté par le rang hiérarchique de l’individu isolé (p=0,006), avec une augmentation de la proportion de hurlements émis lorsqu’un leader quitte la meute temporairement (Mazzini et al., 2013).

Le nombre moyen de hurlements dépend également des relations d’affinité entre l’animal vocalisant et l’animal retiré de la meute. Ces relations qualifient des interactions affiliatives, amicales, tolérantes, et de proximité entre deux individus et inclut les comportements de toilettage, de léchage et de frottement (Titeux et al., 2013).

La variation de la fréquence des hurlements en fonction de l’importance de l’individu dans la meute et des interactions affiliatives suggère que le stress de la séparation d’un leader ou d’un partenaire préféré peut stimuler les hurlements (Mazzini et al., 2013).

Dans le but de vérifier cette théorie, les niveaux de cortisol sanguin des loups restants ont été mesurés. Les résultats montrent que les taux de cortisol ne sont pas corrélés avec le fait de séparer un animal avec lequel les loups restants présentent des relations affines. Le loup vocalisant n’est donc pas forcément sous l’influence du stress mais son hurlement a plutôt pour but de rassembler les individus qui lui sont importants.

Par contre, le statut de l’animal retiré de la meute semble avoir un léger effet sur le taux de cortisol. Les loups semblent en effet soumis à un stress discret une fois privés de la présence du leader, lequel a pour fonction d’initier les activités sociales et la chasse (Mazzini et al., 2013).

De façon générale, les loups, lors de leurs vocalisations, cherchent à reprendre contact avec les animaux qu’ils considèrent importants. Ces hurlements ne sont pas forcément influencés par le stress mais les relations affines entretenues avec le loup retiré de la meute provoquent ces hurlements.

3. Le rôle des hurlements dans la protection des ressources et du territoire

L’étude réalisée dans la forêt du Minnesota par Harrington et Mech (1979) montre que les plus grandes meutes présentent un taux de réponse supérieur aux plus petites meutes.

Les hurlements interviennent de façon importante lors des périodes de chasse. En effet, en dehors de la période de reproduction et de croissance des louveteaux, les taux de réponses augmentent dans les meutes et chez les loups solitaires qui chassent. De plus, Harrington et Mech (1979) ont noté que plus la quantité de nourriture récupérée après la chasse est conséquente, plus le taux de hurlements est important.

Les hurlements jouent un rôle dans le maintien du territoire (Harrington, 1987) : en effet, les sites où se localisent des proies mortes et des jeunes individus présentent des taux de réponses importants. Le nombre de réponses aux meutes étrangères est influencé par différents facteurs : la taille de la meute, le rôle social entretenu par l’animal hurleur et la saison des amours. Les hurlements sont efficaces lors de comportement d’évitement entre deux meutes, notamment quand celles-ci partagent un territoire commun (Harrington, 1987). Les loups utilisent aussi les vocalisations lors de leur retour sur une zone qu’ils ont peu utilisée au cours des semaines précédentes afin de prévenir les intrus et de défendre leur territoire. Enfin, les loups solitaires sans territoire propre répondent rarement, pour éviter de se faire détecter par les autres meutes (Harrington et Mech, 1979 ; Harrington, 1987).

Lors des sessions de hurlements, les loups demeurent souvent près du site où ils ont répondu. En cas d’absence de réponse, ils s’en éloignent pour éviter des rencontres accidentelles.


4. Les différentes réponses à des hurlements de loups étrangers

Une étude a été réalisée afin d’observer la réponse des meutes de loups à des hurlements de loups enregistrés qui leur étaient donc étrangers. Il existe différentes catégories de réactions (tableau 2).

Tableau 2 : réponses des loups aux hurlements de loups étrangers à la meute (Harrington, 1987)

Retraite en silence : Les meutes s’éloignent sans répondre.

Retraite et réponse : Les meutes répondent mais se retirent. Souvent un seul loup hurle une ou deux fois.

Rester silencieux : Les meutes restent sur le site initial mais ne répondent pas en dépit des hurlements répétés des loups étrangers.

Rester et répondre :La meute répond en coeur et reste sur sa localisation initiale.

Rester puis répondre en s’approchant silencieusement : La meute répond initialement aux hurlements étrangers mais après des hurlements répétés, un loup ou plusieurs loups (rare) s’approchent de la meute étrangère sans vocaliser.

Rester puis répondre en s’approchant en vocalisant : Tout en continuant l’interaction vocale avec les étrangers, un loup s’approche et une fois rendu à proximité, il hurle une à plusieurs fois. A chaque fois que l’animal a pu être identifié, c’était un mâle dominant.


La retraite est possible pour les loups lorsqu’ils peuvent quitter leur localisation actuelle sans abandonner des ressources importantes. Mais si le site est au contraire stratégique ou si les louveteaux sont présents, alors la meute est peu encline à se retirer.

Lorsque les loups ne bougent pas et répondent, ils dévoilent alors leur position aux étrangers. Généralement, cette réponse permet d’éviter une rencontre fortuite avec un étranger mais, parfois au contraire, cela conduit à une attaque (Harrington, 1987).

Les animaux qui s’approchent tout en vocalisant répondent de façon plus agressive.

La moitié des approches ont été faites de façon silencieuse. Les auteurs ont remarqué que les loups solitaires adoptaient des approches similaires. Ces loups étaient toujours des femelles et leur comportement pouvait être interprété comme une façon de rechercher une compagnie ou trouver une source de nourriture tuée par le loup étranger (Harrington, 1987).

5. L’agressivité dans les hurlements de loups

Pour intimider leurs rivaux, les loups vocalisent dans les tons graves, tandis que pour apaiser un loup étranger et ainsi éviter tout conflit, leur vocalisation se fait plus aiguë.

L’étude précédente (Harrington, 1987) a mis en évidence que les loups qui osent s’approcher des loups étrangers tout en continuant de vocaliser hurlent dans une tonalité plus grave et plus dure ; l’hostilité du loup envers un rival semble donc s’exprimer par ce biais.

Les louveteaux ont une voix plus aigüe que les adultes. Chez les humains, le taux de testostérone est corrélé positivement aux tonalités graves de la voix. Cette relation peut être appliquée aux loups : les animaux ayant des hurlements graves sont plutôt des mâles et le loup présentant le hurlement le plus grave serait le mâle dominant. Or, les mâles adultes s’avèrent plus agressifs envers les étrangers. Pour indiquer à ses rivaux que le loup qui approche est physiquement capable de se battre, ce dernier tirera avantage d’exprimer un hurlement le plus grave possible pour intimider l’autre loup (Harrington, 1987).

Le hurlement est un outil de communication fortement utilisé par le loup et la meute. Les hurlements permettent de regrouper les individus de la meute, de protéger les louveteaux et de réaliser une défense efficace de leur territoire. Pour indiquer la possession d’un territoire, les loups réalisent également le marquage urinaire.

6. Le comportement de marquage urinaire

Asa et al. (1990) se sont intéressés au marquage urinaire de loups captifs. Ils ont mis en évidence que seuls le mâle et la femelle dominants présentent ce comportement. En période de reproduction, c’est-à-dire en automne / hiver, le mâle reproducteur marque davantage son territoire.

L’étude s’interroge également sur le rôle de la testostérone dans le comportement de marquage. Les chercheurs ont en effet noté une variation saisonnière de testostéronémie (Harrington et Mech, 1979) qu’ils ont mise en parallèle avec la variation de fréquence du marquage urinaire chez les loups, lequel serait influencé par les hormones.

Pour marquer leur territoire, le couple reproducteur utilise des postures spécifiques. Le loup mâle lève la patte. La femelle reproductrice urine soit en position accroupie soit en fléchissant la patte.

La femelle reproductrice a une fréquence de marquage deux fois plus élevée en automne et en hiver, soit au moment de la reproduction. Le mâle reproducteur manifeste un comportement de marquage deux fois plus fréquent que la femelle de façon générale.

   M.DUPUIS

Les loups marquent aussi leur territoire avec leurs fèces et les sécrétions de leurs glandes anales (Asa et al., 1985).

Le marquage et les hurlements sont complémentaires dans la défense du territoire puisque le marquage s’inscrit sur le long terme (dont la durée n’est pas précisée dans l’étude d’Harrington et Mech (1979), mais des études portant sur du marquage urinaire réalisé par des souris montrent une persistance du marquage pendant au moins sept jours (Arakawa et al., 2008)) sur un site spécifique délimité tandis que les hurlements n’agissent qu’à un instant donné mais ont une longue portée (Harrington et Mech, 1979).

7. Communication par les postures entre les membres d’une meute

McLeod (1996) a étudié les différentes composantes posturales (notamment la position des oreilles et de la queue). Les loups présentant la queue basse manifestent un comportement de soumission. Dans le cadre du jeu, ce comportement est observé lors des phases de poursuite et a pour but de limiter le combat. Quand la queue du loup remue de façon horizontale, le loup exprime alors un comportement soit de soumission soit d’agressivité en fonction de la vitesse de balance de sa queue.

L’animal montrant sa soumission tient sa queue complètement repliée entre les pattes arrière et ses oreilles sont couchées sur le côté. La position de soumission totale consiste à se coucher sur le dos, ventre exposé. Le leader peut alors poser ses pattes avant sur le corps de l’animal dominé (figure 5).

Figure 5 : position de soumission (Busch, 2007)

Par le regard, le loup peut afficher son caractère dominant voire agressif en fixant son partenaire avec des yeux grand ouverts. Dans ce cas, l’autre loup détourne le regard pour éviter le conflit. Pour montrer son agressivité, le loup peut hérisser ses poils dorsaux, retrousser les babines voire grogner (Busch, 2007).

VI. Les types de proies chassées par le loup

Afin de couvrir son besoin nutritionnel quotidien, le loup chasse de nombreuses proies. Il privilégie les proies de grande taille pour disposer d’un apport calorique important. Les proies de petite taille constituent une alternative possible mais qui convient davantage aux loups solitaires. En fonction des régions concernées, les animaux traqués ne sont pas les mêmes. Des études ont été réalisées dans le Parc National du Mercantour en France et dans la région de la Ligurie en Italie, zones de pression de prédation fortes du loup, afin de connaître précisément son régime alimentaire. Enfin, pour une même espèce proie, la fréquence de prélèvement peut varier selon la densité de sa population dans une zone géographique donnée et également en fonction de la diversité locale des autres espèces pouvant être sélectionnées par le prédateur.

1. Le régime alimentaire du loup

Pour couvrir ses dépenses énergétiques importantes, le loup doit pouvoir chasser de grandes proies ; les ongulés constituent donc sa base alimentaire. Les proies de plus petite taille comme les lagomorphes (lièvres et lapins), les marmottes (Marmota marmota), les petits rongeurs, les poissons (saumons Salmo sp. par exemple), et parfois les renards (Vulpes vulpes) font également partie de son régime. Le loup complète enfin son alimentation par des baies, des insectes riches en lipides comme les orthoptères (sauterelles, criquets), des batraciens, des oiseaux et des reptiles.

Les graminées et les baies (myrtilles, framboises …) peuvent être consommées dans un but curatif plutôt, notamment pour détoxifier leur organisme.

Le loup est également un charognard opportuniste. Il peut aussi s’approvisionner dans les décharges en cas de pénurie alimentaire (Landry, 2017b). Ce comportement alimentaire de nourrissage dans les décharges accessibles est également observé chez les loups solitaires qui choisissent ainsi une facilité d’accès à des ressources alimentaires parfois abondantes pour cette espèce (Kuijper et al., 2019).

Pour déterminer précisément le régime alimentaire des loups, une étude réalisée dans la péninsule ibérique (Barja, 2009), s’est intéressée à leurs proies préférentielles. Des excréments de loups (593 échantillons) ont donc été récoltés tous les 45 jours entre mai 1998 et octobre 2002. Un modèle de régression linéaire a été utilisé pour déterminer à la fois la masse totale ingérée et la masse d’une proie particulière ingérée. La majorité des fèces contenait les restes d’une seule proie (98,5 %). Le reliquat en contenait deux.

Les loups ont prélevé majoritairement des ongulés sauvages. En effet, 87,1 % des fèces analysés permettaient l’identification d’ongulés sauvages. Le chevreuil (Capreolus capreolus) et le cerf (Cervus elaphus) étaient prépondérants dans leur régime alimentaire (42.9 % et 31.6 % respectivement). Le sanglier (Sus scrofa) comptait pour 11.5 % du total. Les ongulés domestiques représentaient 11,3 % des prélèvements (chèvre (3%) et mouton (8.3 %)). Les autres proies concernées étaient les carnivores (1 %) et les lagomorphes (0,5 %) (Barja, 2009).

Dans la région concernée, les loups régulent la population de chevreuils et de sangliers sans que leur prédation sur les bovins et les petits ruminants n’impacte significativement l’effectif des troupeaux.

2. Régime alimentaire en fonction de la zone géographique en France

Une étude (Fluhr, 2011) a effectué une comparaison du régime alimentaire de meutes de loups occupant des territoires différents dans une même région (Alpes françaises). Cette étude visait à déterminer la diversité et la proportion des proies dans le régime alimentaire du loup, et en analyser d’éventuelles variations spatio-temporelles.

Pour réaliser cette étude, 1357 excréments de neuf meutes de loups ont été collectés entre 1995 et 2006 dans les Alpes françaises. Des analyses génétiques sur les fèces ont été effectuées pour déterminer l’origine lupine de ces excréments à l’aide de l’analyse de l’ADN mitochondrial issu des cellules épithéliales intestinales. Quatre meutes étaient localisées dans le massif du Mercantour (plus particulièrement en Haute-Tinée, en Moyenne Tinée, en Vésubie-Roya et en Vésubie-Tinée). Les cinq autres meutes étaient présentes dans les massifs du Béal-Traversier, de Belledonne, du Queyras, des Hauts Plateaux et du Vercors Ouest.

Les différentes proies retrouvées dans les excréments étaient de quatre types : des ongulés sauvages (mouflon (Ovis gmelini), chamois, bouquetin (Capra ibex), chevreuil, cerf, sanglier), des ongulés domestiques (mouton, chèvre, vache (Bos taurus), cheval (Equus caballus)), des petits mammifères (lagomorphe, marmotte, renard et mustélidés) et des animaux non identifiés.

L’étude de Fluhr (2011) montre que le régime alimentaire moyen des neuf meutes de loups est composé de 76 % d’ongulés sauvages et de 16 % d’ongulés domestiques. Les autres proies comptent pour 8 % de l’ensemble.

Le régime alimentaire précis de chaque meute diffère selon sa localisation. Les meutes situées en dehors du massif du Mercantour consomment davantage de chevreuil (37 % (+/- 7 %) contre 9 % (+/- 3 %) dans le Mercantour). Cette espèce de cervidé est présente en effectif important dans cette zone, et la probabilité de rencontre avec le loup accrue. Le chevreuil représente alors le meilleur rapport coût/ bénéfice entre le temps consacré à sa recherche et sa facilité de capture. Le chevreuil est davantage chassé en hiver, notamment du fait de sa difficulté à se mouvoir dans la neige, comme nous le verrons dans la deuxième partie.

En dehors du Massif du Mercantour, les loups consomment peu d’ongulés domestiques (8 % (+/- 4 %)) versus 26 % (+/- 15 %) dans le Massif du Mercantour. Les autres types de proies sont peu fréquents (Fluhr, 2011).

Les meutes situées dans le Massif du Mercantour se distinguent des autres meutes par un régime pauvre en chevreuils mais composé dans une large mesure d’ongulés sauvages. (Fluhr, 2011). En effet, les meutes de Haute Tinée et de Vésubie Tinée consomment principalement des chamois (29 % +/- 9 %), des mouflons (18 % +/- 10 %), et des bouquetins (14 %). Ces proies sont surtout consommées en hiver.

Pour rappel, le mouflon a été introduit dans les Alpes en 1949, mais s’avère peu adapté au milieu alpin car il présente notamment des difficultés à se mouvoir dans la neige profonde. Il est donc très vulnérable à la prédation ce qui a provoqué sa raréfaction : le mouflon n’est donc pas profitable pour le loup sur le long terme dans ces conditions. Après plusieurs années de présence d’une meute sur un même territoire, faute de mouflons, le loup se rabat sur le chamois, le bouquetin et le chevreuil.

Dans le Massif du Mercantour, les meutes attaquent les ongulés domestiques en quantité importante (12 à 29 % de leur régime) surtout pendant la période estivale quand les troupeaux pâturent sur les alpages (figure 6). La meute de Vésubie Roya prélève un nombre important d’ongulés domestiques quelle que soit la période de l’année. Ils comptent pour 46 % du régime alimentaire de cette meute (figure 6) : cette prédation préférentielle peut s’expliquer par la pratique locale d’un pastoralisme qui se traduit par la présence d’une dizaine de troupeaux en alpage dix mois de l’année sur douze. Sur la dizaine d’unités pastorales présentes, deux troupeaux concentrent l’essentiel des attaques (Fluhr, 2011). Aucune donnée concernant la mise en place de mesures de protection des troupeaux dans la région ne figure dans cette étude.

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Figure 6: proportion d'ongulés domestiques dans le régime alimentaire du loup en fonction de la meute et des saisons (Fluhr, 2011)


3. Prédation dans la vallée de la Haute Tinée (Massif du Mercantour) par suivi GPS

Le programme prédateur-proies (Anceau et al., 2015) a été mis en place à partir de 2005 dans la vallée de la Haute Tinée (dans le Parc National du Mercantour) pour une période de neuf ans afin de connaître plus précisément le régime alimentaire du loup. Quatre louves ont été capturées et équipées d’un collier GPS afin de suivre leurs déplacements, déterminer le domaine vital de la meute, connaître les lieux de prédation et permettre ainsi aux chercheurs de retrouver les carcasses des différentes proies prélevées par le loup. Leurs positions GPS étaient relevées toutes les demi-heures.

L’étude a permis de confirmer que le loup est une espèce opportuniste (Anceau et al., 2015). En effet, son régime alimentaire résulte de la sélection de proies sur la base de leur vulnérabilité et de leur abondance. Plus les proies sont présentes en grande quantité, plus le loup a d’opportunités de les rencontrer. Les proies les plus vulnérables facilitent leur capture par le prédateur.

Ainsi, lors de la période des naissances, le loup s’attaque-t-il davantage à la progéniture des mouflons car ceux-ci abondent et ne savent pas se défendre. Lors d’épisode neigeux, le loup tue davantage les chevreuils qui se sentent gênés dans leurs déplacements, voire les mouflons adultes.

Les figures suivantes illustrent les animaux prédatés par les différentes louves. La première femelle a été blessée sur la période d’étude et aucun acte de prédation afférent n’a été rapporté.

La louve 2 a été suivie pendant 41 nuits entre avril et mai 2010. L’enneigement a été très important sur cette période, ce qui explique que le chevreuil ait été davantage vulnérable à la prédation. Sur 33 proies retrouvées, 16 chevreuils ont été tués, un seul chamois et les petits des mouflons ont largement contribué au régime alimentaire des loups (notamment lors du pic des naissances) (figure 7).

Figure 7 : suivi de la louve 2 de la meute et variété des proies tuées en Haute Tinée entre 2010 et 2012 (Anceau et al., 2015)

La louve 3 est la louve reproductrice qui a remplacé la louve 2. Elle a été suivie 41 nuits entre avril et août 2011. Vingt-huit carcasses ont été retrouvées (figure 8). L’hiver a été plus clément, aussi les chevreuils et les chamois représentent-ils une part similaire du régime alimentaire (6 chamois et 4 chevreuils prédatés). Lors des naissances, les agneaux des mouflons contribuent au régime alimentaire du loup dans une plus large proportion. En été, lors des périodes de pâturage des moutons, la proportion d’ovins augmente dans le régime alimentaire du loup.


Figure 8 : suivi de la louve 3 de la meute et variété des proies tuées en Haute Tinée entre 2010 et 2012 (Anceau et al., 2015)

La louve 4 est une subadulte, elle est née l’année précédente et sa mère est morte quelques semaines avant le suivi. Elle a été suivie 67 nuits entre mi-octobre 2011 et mi-février 2012. L’hiver a été clément, ainsi plus de 60 % des actes de prédation se sont-ils portés sur des chamois (figure 9). Le suivi GPS de cette femelle a été réalisé au cours de phases de déstructuration sociale de la meute (la louve reproductrice a en effet été braconnée), aussi la louve 4 a-t-elle été régulièrement observée en train de se nourrir opportunément sur des charognes. Les données recueillies sur les températures et les rythmes d’activité permettent d’insister sur l’absence de prédation de ces animaux par la louve 4. La déstructuration de la meute explique le faible nombre d’animaux prédatés par la louve retrouvés (27) par rapport au nombre de jours de suivi en comparaison des deux autres louves.

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Figure 9 : suivi de la louve 4 de la meute et variété des proies tuées en Haute Tinée entre 2010 et 2012 (Anceau et al., 2015)

4. Prédation préférentielle de certaines proies chez le loup : explications rationnelles

Le phénomène de prédation sur les ongulés domestiques dépend de différents facteurs :

- la densité de loups sur le territoire ;

- le chevauchement de l’aire de répartition de la population lupine avec les zones de présence du bétail ;

- l’abondance et la vulnérabilité des troupeaux liées aux traditions d’élevage locales (Pimenta et al., 2017 ; Pimenta et al., 2018) ;

- la grande adaptabilité du loup aux conditions locales ;

- la faible disponibilité voire l’absence de proies sauvages (Fluhr, 2011).

Dans les pays où les ongulés sauvages sont peu abondants comme en Grèce et au Portugal, les loups se nourrissent surtout de bétail (Torres et al., 2015). En Allemagne, les attaques sur les troupeaux restent rares du fait de la présence de nombreux ongulés sauvages dans la région. De plus, les pâtures sont entourées de clôtures électriques pour protéger les troupeaux (Imbert et al., 2016). En France ou au Nord de l’Italie par exemple, les ongulés sauvages restent la proie principale du loup mais les canidés sauvages consomment aussi le bétail de façon non négligeable.

Une étude a été menée en Scandinavie par Sand et al. (2016) pour étudier la variation de la prédation sur les élans et les chevreuils. Les loups en couple tuent davantage de chevreuils par rapport aux meutes. Les chevreuils sont davantage victimes du loup quand leur densité augmente.

La sélection des proies est également fonction de l’énergie dépensée par le prédateur pour localiser sa proie, la traquer, la capture et la tuer.

Bien que les plus grandes proies soient a priori davantage profitables pour les prédateurs, elles demandent un effort physique plus important et peuvent occasionner des blessures importantes pendant la phase finale de la chasse. La prédation des chevreuils augmente dans les zones où leur densité est plus forte, le loup se rabattant sur une autre espèce proie dans le cas contraire. En effet, le gabarit des chevreuils est trop limité pour qu’une quête longue et énergivore soit rentable pour le loup. Ce prédateur opportuniste ne négligera cependant pas cette espèce s’il la rencontre de façon inopinée.

Les conditions environnementales peuvent aussi impacter les efforts du prédateur et de la proie. En Biélorussie, dans la forêt de Naliboki (Sidorovich et al., 2017), se trouvent une grande diversité de proies (castor (Castor fiber), cerf, chevreuil, sanglier notamment). En 2012, l’hiver a été caractérisé par une longue période de neige qui a sévèrement affecté la population de chevreuil et de sangliers. S’en sont suivis cinq étés de sécheresse qui ont contribué à diminuer fortement la hauteur d’eau des rivières. La population de castors a alors été fortement impactée car ils constituent la nourriture principale des louveteaux dans cette zone et ils sont devenus plus faciles à capturer avec la diminution du niveau d’eau.

Suite à ces conditions climatiques difficiles, les grandes meutes ont réorienté leur prédation sur les ongulés sauvages de grande taille tandis que les meutes de petite taille ont surtout attaqué des petits carnivores, des lièvres et le bétail.

Des études réalisées depuis les années 1987 dans les Apennins en Ligurie (Imbert et al., 2016) pour connaître le régime alimentaire du loup ont mis en évidence une augmentation de la consommation des ongulés sauvages mais aussi d’ongulés domestiques dans une proportion relativement importante, ce qui a eu pour conséquence de générer des conflits avec les éleveurs (Imbert et al., 2016). Les loups souffrent dans cette région d’une mortalité élevée du fait du braconnage notamment.

Une étude plus récente dans cette même région italienne (Imbert et al., 2016) a cherché à déterminer la composition de l’alimentation du loup et les facteurs de variations associés. Le régime alimentaire du loup a donc été analysé à partir de ses excréments entre 2008 et 2013.

Au moins 58 loups étaient présents dans cette région soit 21 loups regroupés en cinq meutes et 37 loups solitaires. Les fèces ont été relevés à des altitudes situées entre 0 et 2153 mètres dont 60 % à moins de 800 mètres. Les forêts occupaient une part majoritaire (63,8 %) des zones prospectées, les zones agricoles comptant pour 17,1 %, tandis que les pâtures et les zones urbanisées étaient minoritaires (6,2 % et 3,9 % respectivement).

Dans la région d’étude, les espèces d’ongulés sauvages présentes étaient le sanglier, le chevreuil, le daim (Dama dama, introduit pour y être chassé) ; le chamois, le cerf et le mouflon étant rares dans la zone d’étude (Imbert et al., 2016). Le bétail domestique comprenait à l’époque 15000 vaches et 33900 moutons et chèvres. Les troupeaux pâturaient en estives d’avril à octobre, sur des surfaces entourées d’arbres et de bois, mais seuls quelques bergers avaient adopté des mesures préventives (chiens de troupeau, barrières électriques).

Au bilan, vingt et une proies ont été identifiées dans les excréments et ont été regroupées en huit catégories. De façon générale, les ongulés sauvages constituaient la nourriture principale des loups avec les sangliers et les chevreuils ; ces deux espèces totalisaient ainsi 64,4 % de la prédation. Ensuite, les loups attaquaient préférentiellement les ongulés domestiques : en priorité les chèvres (26,3 %) puis les vaches (surtout les veaux) et les moutons. La consommation de chevaux demeurait négligeable. Enfin, les loups consommaient moins de 3 % de petits mammifères et moins de 1 % d’invertébrés, de fruits et de détritus (Imbert et al., 2016).

L’étude montrait qu’il existe une différence significative dans le régime alimentaire des cinq meutes (p= 0,0001) (Imbert et al., 2016). Deux zones ont été comparées :

- Dans la première zone, le loup se nourrissait en chassant presque exclusivement de la faune sauvage car celle-ci y était abondante et le bétail inaccessible car des moyens de protection étaient mis en place ;

- Dans la seconde zone, les loups survivaient en se nourrissant de bétail. En effet, les ongulés sauvages y étaient rares et le bétail n’était pas gardé. Il était donc très vulnérable à la prédation des loups car laissé sans surveillance.

L’étude (Imbert et al., 2016) met en évidence que l’ongulé sauvage le plus consommé dans la région est le sanglier (figure 10). Deux autres études parviennent à la même conclusion (Torres et al., 2015 ; Sand et al., 2016).

Cette sur-représentation du sanglier dans le régime alimentaire est liée à son abondance locale et au fait que cette espèce sociale vive en groupes plus facilement repérables par le loup. Des naissances de sangliers ont lieu tous les ans ; à cette occasion les subadultes (jeunes mâles de l’année précédente) ne sont plus admis dans le groupe et sont donc vulnérables car ils deviennent des solitaires peu expérimentés face au risque de prédation.

   Javier Muñoz Gutiérrez. 

Le chevreuil est également beaucoup prédaté en Ligurie mais son comportement solitaire rend sa détectabilité et son occurrence des rencontres avec le prédateur plus faibles contrairement aux sangliers, à l’exception des zones où il est présent en forte densité.

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Figure 10 : prédation des ongulés sauvages dans la région de la Ligurie (Imbert et al., 2016)

En conclusion, cette étude (Imbert et al., 2016) montre que le régime alimentaire des loups varie selon la vulnérabilité et l’abondance des proies rencontrées. Si la faune sauvage est abondante, alors le loup consomme principalement des ongulés sauvages ; dans le cas contraire, si des troupeaux domestiques sont situés sur le territoire du loup et qu’ils sont peu protégés, alors le grand canidé reporte sa prédation sur le bétail.

Ainsi, est-il possible de conclure que l’abondance et la vulnérabilité des ongulés sauvages, la présence de meutes stables, l’absence de loups solitaires et l’adoption de mesures de prévention sur les pâturages constituent des facteurs contribuant à la réduction de la prédation sur le bétail.

VII. Le loup est-il spécialisé dans la prédation de certaines proies ?

Comme nous l’avons vu, le loup privilégie la prédation de certaines espèces de proies en fonction du rendement entre le coût énergétique liée à sa capture et le poids de la carcasse ainsi obtenu. Pour une même espèce proie, des critères de vulnérabilité vont davantage exposer certains individus à la prédation par le loup.

Mech et Peterson (2003) ont étudié les différentes espèces tuées en fonction de la zone géographique et des caractéristiques individuelles des proies influençant le comportement de prédation du loup (tableau 3).

Dans les montagnes rocheuses canadiennes, les loups attrapent davantage les cerfs et les élans. Certains loups vivant à proximité de fermes continuent à tuer des proies sauvages et dédaignent les animaux domestiques. Dans le Minnesota (Etats-Unis d’Amérique), les loups tuent davantage les caribous (Rangifer tarandus) bien que les élans soient plus nombreux. Mech (1970) explique que les loups peuvent se spécialiser dans la prédation d’une espèce proie donnée dans leur zone de chasse habituelle et deviennent alors des experts pour tuer ces proies. Ståhlberg et al. (2017) confirment ces propos. En comparaison, lorsque les loups se retrouvent face à des proies qu’ils n’ont pas l’habitude de chasser, il est possible qu’ils s’avèrent malhabiles et échouent dans leur tentative de capture.

Dans les lieux fréquentés par plusieurs espèces proies, certains indices montrent que le loup tend à cibler certaines espèces de prédilection, mais aucune preuve définitive n’a été apportée pour le moment. Néanmoins, au sein d’une même espèce, le loup sélectionne clairement ses victimes en fonction de leur sexe et de leur âge notamment (tableau 3).

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Tableau 3 : les caractéristiques intrinsèques de la vulnérabilité des proies à l'égard de la prédation par les loups (Mech et Peterson, 2003)

Critères

Facteurs de prédation préférentiels

Sexe des proies : Les mâles sont plus souvent prédatés en période d’accouplement car ils sont moins vigilants face aux prédateurs.

Âge : Les jeunes et les vieux animaux sont chassés de façon préférentielle.

Condition nutritionnelle :Une proie présentant une mauvaise condition nutritionnelle favorise la prédation.

Poids : Les individus plus légers sont les plus souvent tués car ils sont plus faciles à attraper

Maladie : Les individus malades sont prédatés préférentiellement du fait de leur condition physique affaiblie qui les ralentit lors de leur fuite en cas d’attaque de loup (Kuijper et al., 2019 ; Tanner et al., 2019).

Parasites : Les animaux atteints d’échinococcose et infectés par des tiques sont prédisposés à la chasse, du fait de leur mauvaise condition de santé.

Blessures : Les animaux blessés sont plus souvent prédatés, à la fois du fait de leur vulnérabilité, mais aussi par leur détection plus facile par les loups à cause de l’odeur spécifique qu’ils dégagent.

Condition des parents et des grands-parents : La sous-nutrition des mères et des grand-mères engendre des portées plus vulnérables à la prédation car les jeunes animaux ne sont alors pas en excellente condition physique.

Capacité de défense : L’agressivité des proies en cas d’attaque de loup peut faire reculer le prédateur et même lui faire abandonner la chasse.

Age des parents : La progéniture des parents âgés est moins souvent prédatée car les parents sont plus expérimentés dans la défense des louveteaux face aux prédateurs.


Dans son étude réalisée dans la péninsule ibérique pour déterminer le régime alimentaire du loup, Barja (2009) a voulu également tester l’hypothèse d’une prédation préférentielle de certaines classes d’âge. L’analyse de morceaux d’os restants dans les excréments récoltés a permis d’identifier les proies et leur âge. Parmi les populations de chevreuils et de sangliers, le loup semble sélectionner les juvéniles. En effet, 74,1 % des chevreuils et 82,6 % des sangliers consommés avaient un âge inférieur à un an.

Différents facteurs influencent donc la prédation du loup. Le prédateur cherche à chasser les proies dont la capture et la consommation s’avèrent le plus profitables sur le plan énergétique. Le loup a donc appris à cibler prioritairement ces animaux : il s’agit donc des individus jeunes, âgés, blessés ou malades notamment.

VIII. Technique de chasse : schéma général de l’acte de prédation

Les études de Mech et al. (2015a), mettent en évidence une relation entre l’âge des loups et la réussite lors de la prédation. Il apparaît que le succès de chasse est meilleur lorsque les loups ont entre trois et cinq ans, ce qui correspond à la période où l’animal dispose d’une condition physique optimale. MacNulty et al. (2009) rapportent en effet qu’après 4,75 ans, la masse musculaire du mâle commence à diminuer, quand celle de la femelle continue d’augmenter.

Les mâles sont considérés comme meilleurs chasseurs que les femelles car ils sont en moyenne 9 à 32 % plus lourds qu’elles. Les études ont permis d’établir des statistiques : les loups mâles attaquent leurs proies en moyenne plus souvent (+ 42 %) que les femelles a priori. De plus, ils sélectionnent davantage leur proie (+ 43 %) et enfin surpassent les femelles dans l’acte de mise à mort (+ 78 %) de leur proie.

Une étude menée par MacNulty et al. (2009) à partir d’observations répétées de 94 loups chassant les wapitis dans le Parc National du Yellowstone, a cherché à mesurer la relation entre la taille de l’animal et sa performance. Leurs résultats montrent que plus les loups sont grands, meilleures sont leurs probabilités de succès surtout lorsqu’ils doivent faire usage de la force. Par contre au-delà de 39 kg, les loups sont désavantagés lors de la phase de poursuite. Le dimorphisme sexuel permet d’expliquer pourquoi les mâles surpassent les femelles dans les phases d’attaque, de préhension et de mise à mort.

     Living with Wolves

Le plus souvent, la prédation se termine par un échec. Le pourcentage de réussite à la chasse est compris entre 1 et 9 % selon Mech et al. (2015a). Mech et Peterson (2003) évoquent un taux de succès compris entre 13 et 56 % en considérant le nombre total de proies impliquées. En comptant cette fois le nombre total de troupeaux attaqués, le taux de réussite, défini comme la mort d’un seul individu, est compris entre 10 et 49 % (Mech et al., 2015a).

L’acte de prédation est séquencé en plusieurs étapes essentielles à la réussite de l’obtention finale de la proie. Cet acte est très coûteux en énergie pour le loup, aussi ce dernier n’assurera-t-il toutes les étapes de la prédation que s’il est presque certain d’en retirer un gain énergétique suffisant.

1. La première phase de la prédation

Cette première phase est essentielle dans l’acte de prédation puisqu’elle va déterminer la poursuite de la chasse par le loup. En effet, le prédateur peut se faire repérer à tout moment par sa proie lors de cette phase initiale. Si celle-ci prend la fuite suffisamment tôt, le loup abandonnera la tentative de prédation rapidement.

- La localisation de la proie :

Pour localiser la proie, le loup se sert essentiellement de ses sens (Peterson et Ciucci, 2003), notamment de son odorat très développé, afin de repérer les odeurs laissées sur le sol suite au passage des proies. Le loup peut éprouver des difficultés à repérer sa proie en fonction de la capacité de celle-ci à parcourir de longues distances. L’endurance du loup est un avantage considérable lors de cette étape. En effet, les loups passent 28 à 50 % de leur temps à marcher afin de localiser leurs proies, surtout en hiver (Peterson et Ciucci, 2003).

Lors de ces trajets, les loups se suivent en file indienne généralement, mais quand ils arrivent sur des zones escarpées ou dans des paysages où la végétation ne les dissimule pas, ils se dispersent pour mieux surprendre leur proie et augmenter ainsi leurs chances de capture (Peterson et Ciucci, 2003). Une fois la proie repérée, le loup doit estimer rapidement s’il est capable de l’attraper en considérant les différents facteurs intrinsèques à la proie cités précédemment (âge, état physique) conditionnant sa vulnérabilité, mais il doit également tenir compte de ses propres capacités physiques pour savoir s’il continue son approche.

- La phase d’approche :

L’objectif est de s’approcher le plus près possible de la proie. Lors de cette étape, un schéma immuable peut être observé : le loup scrute attentivement son environnement, son déplacement est furtif, ses pattes sont fléchies et son corps tapi près du sol. Ses sens sont en alerte : les pavillons de ses oreilles sont tendus en direction du son perçu, son museau est pointé vers l’avant pour l’orienter vers l’odeur de sa proie.

Enfin, le loup accélère le pas tout en remuant la queue, signe d’une attention accrue, mais il doit toutefois veiller à ne pas se faire repérer (Peterson et Ciucci, 2003). Lorsque les loups avancent contre le vent, les proies ne peuvent pas les détecter avant qu’ils ne soient très proches car elles ne perçoivent pas leur odeur. Au contraire, si le vent souffle dans la même direction que les loups, ces derniers doivent avancer très vite pour ne pas se faire détecter par les proies trop tôt.

- La phase de confrontation :

Lorsque les loups se savent repérés par la proie, ils cessent leur approche discrète (Landry, 2017d). A ce stade, la proie peut réagir de trois façons différentes :

- la proie s’avance vers le prédateur en vue de se défendre ;

- elle ne bouge pas ;

- elle fuit.

Les espèces de proies qui tentent de se défendre et font face au loup sont le sanglier, le bison, le boeuf musqué (Ovibos moschatus), l’élan, le wapiti (Peterson et Ciucci, 2003). Ces proies peuvent être dangereuses pour le loup en se défendant à l’aide de leur groin (pour les sangliers), de leurs sabots ou même de leurs cornes. Ces armes défensives peuvent même être fatales pour le chasseur. De façon générale, les proies qui affrontent résolument le loup ne seront généralement pas pourchassées par le prédateur car il abandonne la chasse.

Le cerf et le caribou ont plutôt tendance à prendre la fuite afin de distancer le loup, mais parfois ils tentent aussi de dissuader le loup s’ils en ont la capacité physique (figure 11).


Figure 11 : le caribou fait face aux loups en les dissuadant d'attaquer (Mech et al., 2015a)

Parfois, l’immobilité de la proie semble inhiber le comportement de chasse du loup ; cela peut être une technique de défense passive pour les proies mais cette stratégie ne fonctionne pas toujours ; le loup peut être en effet dans un tel état d’excitation ou de faim qu’il poursuit la séquence de prédation.

2. La poursuite

Lorsque la proie prend la fuite, le prédateur engage presque toujours une poursuite. La première phase de la course reste la plus critique : en effet si la proie parvient à distancer le loup, alors ce dernier a peu de chance de la rattraper. Par contre, si dès les premiers mètres, le prédateur se rapproche suffisamment de la proie qu’il prend de vitesse, alors il pourra peut-être lui infliger des blessures (Landry, 2017d).

Pour traquer les proies de plus grande taille comme le caribou ou l’élan, les loups encerclent le troupeau en courant et cherchent un individu plus vulnérable. Dans le cas d’un troupeau de bisons ou d’élans fuyant au galop, le loup se met en chasse derrière eux et évalue les signes de faiblesse des différents animaux. En général, les animaux les plus jeunes et donc les plus vulnérables du groupe, sont cachés au centre du troupeau, aussi les loups tentent-ils de s’infiltrer pour cibler ces individus. Si le loup détecte des signes de faiblesse d’un adulte, il va également tenter de l’isoler du troupeau (Peterson et Ciucci, 2003). Les prédateurs ont pour habitude de faire courir leurs proies sur de longues distances afin de les épuiser et ainsi tenter de les rattraper (figure 12).

Figure 12 : poursuite d'un élan par une meute (Peterson et Ciucci, 2003)

La poursuite se fait sur plusieurs centaines de mètres et dure quelques minutes dans la majorité des cas. Sa durée dépend de l’espèce chassée et des caractéristiques individuelles de celle-ci (Peterson et Ciucci, 2003). Les lièvres, les jeunes caribous ou les jeunes cerfs, qui sont facilement tués ou blessés par quelques morsures, sont ainsi attrapés le plus rapidement possible.

La chasse ne se prolonge généralement pas, en dehors de quelques exceptions où certaines poursuites s’étendent sur des kilomètres (Mech et al., 2015a) : la chasse la plus longue observée a eu lieu sur une distance de 20,8 km sur les traces d’un cerf de Virginie (Odocoileus virginianus) (Mech et al., 2015a). Un chevreuil a été traqué sur 13,7 km. Un caribou et un élan ont été poursuivis sur huit et cinq kilomètres respectivement (Mech et al., 2015a). Aucune de ces tentatives exceptionnelles n’a abouti à la capture de la proie. En moyenne, les poursuites réussies ne dépassent pas une distance de deux kilomètres.

3. La phase d’attaque et de mise à mort

Lorsque les loups se trouvent suffisamment proches de leur proie, ils accélèrent afin d’entrer en contact avec elle. Ensuite, soit la mise à mort intervient rapidement, soit ils tentent de ralentir la fuite de la proie en lui infligeant des blessures à l’arrière train ou en lui saisissant les postérieurs. Dans le cas d’attaques avec plusieurs loups, certains tentent d’atteindre le cou ou les naseaux de l’animal afin de le faire basculer à terre, où la mise à mort interviendra alors rapidement (Landry, 2017d).

- Le harcèlement :

Si la mise à mort n’intervient pas immédiatement après l’attaque, alors les loups peuvent harceler leur proie afin de l’affaiblir et de la blesser. Cette étape peut durer de quelques minutes à plusieurs heures. Les loups restent parfois couchés à proximité de la proie en attendant le moment opportun (Landry, 2017d).

- La mise à mort :

La mise à mort est rapide. Après avoir chassé la proie et l’avoir attrapée par l’arrière train pour la blesser, le loup doit la maîtriser et l’arrêter afin de pouvoir la consommer (Mech et al., 2015a). La proie peut mourir lors de cette étape. Les loups n’ont pas de difficulté à maîtriser de petites proies comme les lièvres mais les grosses proies leur demandent plus de précautions. En effet, le plus souvent, les proies de grande taille tentent de prendre la fuite donc le loup saute sur leur arrière train et leur saisit la croupe ou une patte arrière. Cette étape, risquée, permet de ralentir la proie de manière à ce que les autres loups de la meute puissent ainsi l’attaquer par l’avant.

Dans le Parc National du Yellowstone, les loups saisissent les proies inférieures à un poids de 200 kg (renne et cerf par exemple) par le cou seulement ; les proies dont le poids est compris entre 200 et 270 kg sont quant à elles saisies à la fois par l’arrière train et le cou tandis que celles plus lourdes encore sont abordées par l’arrière train (élan, bison…) (Mech et al., 2015a).

Les proies de la taille d’un cerf ou d’un caribou se voient infliger des blessures profondes à la gorge par les loups. Ainsi trachée, veines jugulaires et artères carotides sont toutes exposées aux crocs des loups. Le choc de la morsure peut provoquer un arrêt cardiaque ou une hémorragie fatale.

Pour les proies de plus grande taille comme les élans, les loups saisissent souvent les naseaux entre leurs crocs et ils n’hésitent pas à attaquer à la tête les boeufs musqués et les sangliers. Le fait de tenir le nez ou la tête permet de « distraire » la proie pendant que le reste de la meute de loups l’attaque à l’arrière train. Si les loups parviennent à déchirer la région anale et provoquer l’extériorisation de l’intestin, la proie décédera d’une hémorragie interne.

Une fois que la proie est stoppée et maîtrisée, les loups peuvent commencer à se nourrir même si la proie n’est pas totalement morte (Mech et al., 2015a). Pour dépecer sa proie, le loup ne l’éventre pas. Il laisse les marques d’une morsure au cou de grand diamètre ainsi que d’autres traces de morsures sur la croupe et le dos. Il ouvre l’animal entièrement d’un côté en arrachant le membre antérieur, les muscles dorsaux et le membre postérieur.

IX. Comportement de consommation des proies

Une fois la proie capturée, les loups commencent la consommation de la carcasse. Ils choisissent d’abord les morceaux de choix les plus intéressants sur le plan nutritif (Peterson et Ciucci, 2003), et si la quantité de nourriture est trop importante, des morceaux de viande sont dissimulés dans plusieurs cachettes dispersées sur le territoire de la meute, pour être consommés ultérieurement.

1. Compétition alimentaire entre espèces

La façon de consommer les proies diffère selon la taille des animaux chassés. En effet, les petites proies d’un poids inférieur à 20 kg peuvent être dévorées entièrement en l’espace de quelques heures. Concernant les proies plus imposantes comme les élans, les loups ne peuvent pas les ingérer en totalité en une seule fois : en moyenne pour un élan tué, dix kilogrammes de carcasse sont consommés le premier jour, puis six kilogrammes les jours suivants (Peterson et Ciucci, 2003).

Cette consommation différée est à l’origine d’une compétition pour la prise alimentaire. En effet, les charognards tentent de se nourrir sur la carcasse lorsque les loups s’en éloignent et leur causent la perte de ressources alimentaires. La part de nourriture laissée aux charognards est variable selon la taille de la meute (Peterson et Ciucci, 2003 ; Nelson et al., 2011 ; Sand et al., 2016). Plus la taille de la meute augmente, moins cette quantité est importante (figure 13), car la consommation initiale de la proie est plus conséquente. De plus, les grandes meutes peuvent mettre en place une surveillance constante de la carcasse pour éloigner les charognards le temps que la proie soit totalement consommée.


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Figure 13 : proportion des carcasses laissées aux charognards en fonction de la taille de la meute (Peterson et Ciucci, 2003)

L’augmentation de taille de la meute permet de protéger les ressources alimentaires chassées contre le pillage réalisé par d’autres espèces ou même par d’autres loups (Nelson et al., 2011). Il semblerait donc qu’un nombre minimal d’individus dans la meute constitue un avantage évolutif. Cependant, ce propos doit être nuancé puisque différentes études ont montré que la disponibilité de nourriture par loup diminue lorsque la taille de la meute augmente (158 meutes de loups étudiées).

En dépit de ces observations, la chasse en meute semble plus avantageuse car la capture de proies est plus aisée, aussi les loups continuent-ils de chasser en groupe. De plus, la part de nourriture de la carcasse non consommée directement par les membres de la meute peut être distribuée directement aux jeunes par le couple reproducteur notamment, plutôt que laissée aux charognards (Peterson et Ciucci, 2003).

2. Ordre de consommation des proies

La consommation de la carcasse se fait dans un ordre préférentiel, certains organes de choix étant sélectionnés en premier. Il existe également un ordre de prise alimentaire au sein de la meute qui dépend du statut de chaque individu. Les subadultes doivent laisser le couple reproducteur se nourrir d’abord, surtout si la proie est de petite taille. Cet accès hiérarchisé régule donc l’effectif des meutes en relation avec la taille des proies et peut avoir une influence sur la dispersion des loups.

D’après des observations effectuées sur l’Isle Royale, la femelle et le mâle reproducteurs se nourrissent d’abord et sont les premiers à ouvrir la carcasse (Peterson et Ciucci, 2003). Cette entame est liée au fait que le couple reproducteur est souvent l’initiateur de la mise à mort de la proie. Il arrive également qu’après la capture, le couple se repose et que les autres membres de la meute commencent à dépecer la carcasse, mais ce n’est pas le cas le plus fréquent.

La proie est consommée dans un certain ordre. Les poumons, le coeur et le foie sont les organes préférés des loups. Le rumen est déchiré au cours des différentes manipulations et son contenu est éversé sans qu’il soit lui-même consommé contrairement à l’intestin. Les autres organes abdominaux tels que les reins ou la rate sont consommés immédiatement après la capture également. Les muscles des pattes constituent ensuite un morceau de choix (Peterson et Ciucci, 2003).

Suite au premier repas, l’estomac des loups est dilaté ; il peut atteindre alors un quart du poids total des loups.

Le foie est un organe très précieux sur le plan des apports nutritionnels car il fournit de nombreuses vitamines et minéraux. Les os permettent de subvenir aux besoins en calcium et phosphore du loup et contiennent également des protéines et de la graisse si le loup en consomme la moelle. Le cerveau contient un taux intéressant d’acides gras polyinsaturés, les loups consomment donc toujours la cervelle des proies à condition de réussir à ouvrir le crâne (Peterson et Ciucci, 2003).

3. Comportement de cache alimentaire

Lorsque le loup est suffisamment rassasié, il dissimule la nourriture excédentaire afin d’éviter le vol par les charognards et pour s’assurer d’avoir une ressource alimentaire disponible en cas de pénurie. La quantité de nourriture cachée peut varier : il peut tout à fait s’agir d’une proie dans son intégralité ou de morceaux de nourriture régurgités (Gadbois et al., 2015). Le comportement de cache alimentaire donne un avantage biologique aux prédateurs ; en effet ceux-ci, en plus d’être assurés d’avoir de la nourriture en cas de pénurie, n’ont pas besoin d’hiberner, ou ne souffrent pas de pertes de poids extrêmes en cas de disette.

Le comportement de cache alimentaire est variable en fonction des saisons (Gadbois et al., 2015). Les loups dissimulent rarement de la nourriture en hiver, saison où la capture de proies de petite taille s’avère la plus difficile du fait de l’hibernation de certaines espèces notamment. Les loups chassent donc en meute pour augmenter leurs chances de capture de proies de grande taille. Une meute peut alors facilement dévorer une carcasse entière en hiver.

En été, les loups chassent en plus petits groupes du fait de la présence de petites proies en abondance, aussi la cache de nourriture représente-t-elle un comportement essentiel. Elle permet de sécuriser la nourriture en excès lors des captures de petites proies mais surtout d’éviter la perte d’une proie de grande taille au profit des charognards.

La capture des proies reste toujours incertaine et irrégulière, c’est pourquoi les loups entreprennent de cacher leur nourriture pour pouvoir survivre en cas d’échec ultérieur à la chasse. Les proies cachées peuvent rester comestibles plusieurs mois, notamment dans les régions où le climat est froid. Un loup se nourrissant d’un lièvre attrapé un an auparavant a été observé sur l’île d’Ellesmere (Canada), région où le sol est gelé neuf à dix mois de l’année. Cependant, la nourriture cachée peut entrer en décomposition : cela est notamment dû au fait que les loups cachent rarement des proies entières mais plutôt des parties de proies déjà consommées. Toutefois, les loups ingèrent toujours en premier les organes internes qui sont le plus exposés au risque de décomposition.

Le comportement de cache alimentaire a été étudié : a priori, ce comportement est régulé par de nombreux facteurs internes et externes : des facteurs physiologiques comme le contrôle hormonal, la faim, la période de reproduction, l’effet de la lumière (intensité et photopériode), de la température externe mais aussi la stabilité sociale de la meute. Il faut également tenir compte du type de substrat rencontré dans la zone prévue pour la cache (sable, terre, neige), de la quantité et du type de nourriture à dissimuler. Cependant les loups étudiés (Gadbois et al., 2015) n’ont pas semblé tenir compte du substrat dans leur façon de soustraire la nourriture à la convoitise des charognards.

En premier lieu, les loups transportent la nourriture à dissimuler puis inspectent le site de cache. Cette deuxième étape n’est pas systématiquement observée chez les loups. Une fois le site choisi, le loup gratte le sol avec ses pattes avant. Ensuite, il creuse avec ses pattes avant pour obtenir un trou suffisamment grand pour accueillir le morceau de proie à dissimuler. Ensuite, le loup alterne entre des mouvements de tête pour pousser la nourriture dans le trou et d’autres mouvements pour recouvrir le trou de terre et de feuilles.

Concernant la nourriture régurgitée, le loup l’entrepose dans plusieurs caches alimentaires (Gadbois et al., 2015), contrairement aux mustélidés qui n’utilisent qu’une seule cachette. Pour cacher sa nourriture, le loup s’éloigne intentionnellement de la zone de mise à mort et de consommation de la proie (sur l’île d’Ellesmere, une louve a été observée en train de parcourir cinq kilomètres pour cacher de la nourriture), et cherche à réduire les traces de prédation en marchant dans l’eau par exemple. Cette étape est réalisée dans le but de réduire le pillage par les charognards. Les caches de nourriture sont néanmoins souvent trouvées par les ours (Ursidés), les renards ou les meutes voisines.

La technique de chasse des loups et le comportement de consommation des proies sont tous deux très codifiés. Ces schémas s’apprennent dès le plus jeune âge en observant les individus plus âgés.

X. Apprentissage de la chasse et des relations sociales par les louveteaux

La prédation du loup est un acte très organisé afin d’optimiser la réussite de capture des proies. Cette organisation s’apprend par l’observation des adultes de la meute dès le plus jeune âge. Dès que les louveteaux sont physiquement capables d’accompagner les adultes à la chasse, ils viennent les observer et peuvent même participer à l’attaque.

A partir de l’âge de huit semaines, les louveteaux apprennent les séquences de chasse en jouant (Cafazzo et al., 2018). Tout d’abord, ils se poursuivent et se cachent. Ces comportements correspondent à la phase de recherche et de poursuite de la proie.

Ensuite, les louveteaux tentent de mettre leur congénère à terre en le déséquilibrant soit par un coup d’épaule, soit en mordant l’arrière train, le flanc, les oreilles et le museau comme le font les adultes avec les proies qu’ils capturent. Les zones corporelles mordues correspondent aux zones de maintien des proies lorsque les loups adultes attaquent.

Enfin, lors des jeux, les louveteaux reproduisent les comportements de mise à mort des proies en lançant des attaques presque exclusivement dirigées vers l’épaule, l’encolure, la gorge et le museau (McLeod, 1996).

Lorsque les louveteaux atteignent l’âge de cinq à six mois, ils sont physiquement capables d’accompagner les adultes à la chasse, et par l’observation, ils vont acquérir les techniques de chasse. Ils peuvent aussi participer à la poursuite des proies ou à l’étape de harcèlement avec les adultes (Landry, 2017d).

Dans cette première partie, nous avons mis en évidence que le loup est un excellent prédateur, à la fois grâce à ses capacités athlétiques et anatomiques, mais également du fait de sa tactique de chasse élaborée. Il est capable de chasser tout type de proies et peut s’engager dans cette activité aussi bien seul qu’en meute. Cependant la chasse en groupe lui est favorable puisqu’elle augmente les chances de réussite de capture et donc la probabilité pour le loup de bénéficier d’un apport nutritionnel suffisant. Pour échapper à la prédation des loups, les proies tentent de se défendre en faisant face avec les moyens dont elles disposent, en s’enfuyant, ou en tentant de tirer avantage de leur nombre, tout comme fait le loup au sein de sa meute.


Deuxième partie : facteurs de variation de la prédation exercée par le loup


La prédation exercée par le loup n’est pas constante d’une année sur l’autre et dépend des saisons considérées. Des facteurs extérieurs, comme les conditions climatiques, sont sources de variations car ils peuvent notamment influencer la vulnérabilité des proies.

Le loup, bien que chassant préférentiellement en meute, est capable de chasser seul également. Il peut capturer des proies de grande taille, notamment lorsqu’elles ont une mauvaise condition physique.

Le comportement du loup peut varier selon que sa proie est sauvage ou domestique. En règle générale, le loup prélève la quantité de nourriture qui lui est nécessaire pour survivre. Parfois, des facteurs extérieurs peuvent cependant l’amener à tuer au-delà des limites de son besoin, et ce cas de figure est principalement observé lors d’attaques de bétail.

I. Saisonnalité de la chasse et des besoins nutritifs

Selon les proies disponibles, le régime alimentaire du loup va varier, tout comme son comportement de prédation. Les besoins énergétiques de la meute évoluent selon la période de l’année, et augmentent notamment après la naissance des louveteaux. Certaines proies sont davantage profitables pour le loup en hiver par exemple et cette vulnérabilité va conditionner leur prédation.

1. Variation de la prédation selon les saisons dans la péninsule Ibérique

Dans l’étude réalisée dans la péninsule ibérique pour déterminer le régime alimentaire des loups, Barja (2009) montre que le chevreuil est la proie la plus chassée en toutes saisons, bien que sa consommation soit plus importante en été et au printemps (52 % et 26,2 % respectivement des proies totales prédatées). La consommation de sanglier augmente au printemps (37,1 %) et en automne (31 %). Le cerf est davantage chassé au printemps (37,4 %) puis en automne (28,1 %).

La consommation d’animaux domestiques (moutons et chèvres) montre aussi une variation saisonnière avec une consommation plus élevée au printemps (50 %) et en été (23,8 %) qui s’explique par la montée des troupeaux en alpages (Barja, 2009).

Le chevreuil reste la proie principale quelle que soit la période de l’année mais la consommation de cette espèce culmine en été, ce qui coïncide avec la période où les faons sont particulièrement vulnérables. En effet, ces derniers sont laissés seuls pendant de longues périodes lorsque leurs parents recherchent de la nourriture et ils sont donc davantage vulnérables à la prédation des loups à ce moment-là. Ces prédateurs privilégient davantage les sangliers lors de la saison des naissances c’est-à-dire au printemps et en automne (Barja, 2009).

La diversité du régime alimentaire du loup dans la péninsule ibérique est maximale au printemps et en automne, avec une augmentation notable de la consommation de cerfs, de sangliers et de bétail pendant cette période. En revanche, en été, le loup se concentre davantage sur les individus les plus vulnérables, à savoir les faons.

2. Variation annuelle de la prédation du loup dans la région de la Ligurie

Dans son étude portant sur la diversité du régime alimentaire du loup dans la région de la Ligurie en fonction des zones géographiques considérées et des proies présentes, Imbert et al. (2016) ont évalué l’existence d’une variation temporelle dans le régime alimentaire du loup.

Dans la période d’étude concernée, entre 2008 et 2013, une différence significative dans le régime alimentaire du loup a été constatée entre les différentes années (p<0,0001). En effet, la consommation d’ongulés sauvages a augmenté entre le début et la fin de l’étude. Concernant le bétail, la prédation des moutons a fortement diminué pendant la période d’étude, alors que la proportion de chèvres et de bovins dans le régime alimentaire du loup s’est accrue la troisième année avant de décroître par la suite (Imbert et al., 2016).

Aucune variation saisonnière significative (0,05<p<0,153) de la consommation du bétail n’a été mise en évidence en Ligurie, mais l’étude a montré qu’il existe une variation saisonnière significative (p<0,0001) dans la consommation des ongulés sauvages.

Le sanglier est davantage consommé en hiver : en effet de nombreux suidés sont blessés par les chasseurs sans qu’ils soient systématiquement retrouvés. De plus, en hiver, la présence de neige handicape la fuite du sanglier à cause de ses sabots.

Quant au chevreuil, il est davantage tué en été car il est plus vulnérable du fait de la présence des jeunes (Imbert et al., 2016).

3. Variation du régime alimentaire du loup dans la péninsule scandinave

La composition saisonnière du régime alimentaire du loup a également été étudiée dans la péninsule scandinave en analysant 2063 fèces (Muller, 2006). Les excréments ont été collectés pendant l’été et l’hiver des années 1992 à 2005 : 794 excréments ont été recueillis en été, contre 1238 en hiver.

Dans la région d’étude se trouvaient 300 000 élans et un million de chevreuils. Les rennes domestiques étaient au nombre de 400 000. Pendant l’été, 2,1 millions de moutons pâturaient librement en Norvège, tandis qu’ils paissaient dans des prés entourés de clôtures dans leur majorité en Suède.

En Scandinavie, le loup affiche clairement une tendance à chasser préférentiellement une même espèce toute l’année, cependant ce choix s’avère moins exclusif en été avec la présence de deux espèces proies dans les fèces du loup dans 21,8 % des cas contre 11,9 % des cas en hiver (figure 14). En effet, bien que l’élan reste fortement prédaté, sa consommation diminue en proportion. En été, les petites proies comme le blaireau et le castor sont davantage capturées.

parents recherchent de la nourriture et ils sont donc davantage vulnérables à la prédation des loups à ce moment-là. Ces prédateurs privilégient davantage les sangliers lors de la saison des naissances c’est-à-dire au printemps et en automne (Barja, 2009).


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Figure 14 : nombre de proies identifiées dans les excréments (Muller, 2006)

Muller (2006) a donc montré que le régime alimentaire des loups varie selon les saisons : les élans sont les animaux les plus consommés mais leur part relative diffère avec des proportions de 88,9 % (tableau 4) et 95,7 % (tableau 5) de la biomasse totale de mammifères consommée en été et en hiver respectivement.

Tableau 4 : biomasse consommée par les loups en été (Muller, 2006)

Les figures 15 et 16 , non visibles, illustrent la prépondérance des élans dans le régime alimentaire du loup. Les jeunes élans sont davantage prélevés mais il faut noter la part importante que conservent les adultes de cette espèce dans le régime alimentaire du loup quelle que soit la période concernée.

Les autres proies comme le chevreuil, le lièvre et les oiseaux sont consommés régulièrement toute l’année, mais de façon plus importante en été. Pendant la période d’étude, les animaux domestiques ont contribué de façon marginale au régime des loups (0,6 % en été et 0,8 % en hiver).

L’étude de Muller (2006) a montré que l’élan est la proie principale des loups en Scandinavie, aussi bien en terme de fréquence de repas qu’en quantité de biomasse consommée. Sur les dix meutes de loups étudiées, neuf ont l’élan pour proie principale, la dernière optant pour le chevreuil. Les proies de plus petit format comme le castor, le lièvre, les rongeurs d’une part et les baies d’autre part ont une importance saisonnière avec un pic de consommation survenant en été. Les chevreuils sont moins mis à contribution dans ce contexte géographique même si leur consommation est un peu plus élevée en été qu’en hiver.

Figure 15 : régime alimentaire du loup en été en Scandinavie (Muller, 2006)

Figure 16 : composition du régime alimentaire du loup en Scandinavie et prépondérance de l’élan dans son alimentation (Muller, 2006)

Concernant les dégâts au bétail, seuls 200 animaux domestiques dont 95 % de moutons sont tués en moyenne chaque année en Suède, Leur contribution dans le régime alimentaire du loup demeure donc marginale. Il faut noter que le nombre de moutons tués est plus élevé en Norvège, probablement du fait de l’absence de protection des troupeaux.

Des végétaux ont été retrouvés dans les excréments, en été comme en hiver. Les végétaux et les baies sont davantage consommés en été du fait de leur plus grande disponibilité et de leur variété. Les loups pourraient se purger en absorbant des végétaux et nettoyer l’intestin des parasites et des poils (Peterson et Ciucci, 2003). Aucune preuve n’a été apportée quant à cette action purgatoire, mais il est possible que les végétaux permettent de débarrasser les intestins des parasites ou l’estomac des poils qui retardent le passage des aliments dans l’intestin.

Les loups tendent à consommer davantage de grands ongulés (élans dans cette étude) en hiver afin de maximiser la biomasse obtenue à chaque chasse fructueuse. Quatre-vingts pourcents des élans tués sont des jeunes : les loups attaquent les proies les plus faciles à attraper, leur coûtant le minimum de dépense énergétique et leur procurant néanmoins une quantité appréciable de carcasse lorsque l’attaque est réussie.

4. Variations saisonnières des besoins énergétiques des prédateurs et des proies : conséquences fatales de l’hiver pour certaines proies

En région tempérée, le climat change en fonction des saisons ainsi que la disponibilité des ressources alimentaires. Les variations saisonnières peuvent aussi influencer le comportement du prédateur et des proies (Espuno, 2004). Par exemple dans le Nord du Canada, le caribou qui est la proie principale du loup, migre entre les zones septentrionales où ils mettent bas et des régions situées plus au sud où ils hivernent. La variété de proies étant limitée dans cette région, le loup est obligé de suivre les mouvements saisonniers des caribous.

Les besoins énergétiques d’une meute de loups varient également au cours de l’année en fonction de la taille de la meute. La demande énergétique de la population de loups dans le massif du Mercantour a été étudiée (Espuno, 2004). Les effectifs de la population de loups sont maximaux après les naissances à la fin du printemps puis leur nombre diminue ensuite pour atteindre un minimum au début de l’hiver du fait de la mortalité et de la dispersion des individus. La demande énergétique totale va donc augmenter trois mois après les naissances en lien avec les besoins de croissance des louveteaux pour diminuer ensuite avec la réduction de la taille de la meute.

La condition physique des ongulés dépend de leur capacité à trouver de la nourriture, de l’énergie absorbée et des dépenses nécessaires pour parvenir à trouver des ressources alimentaires. Elle varie notablement en fonction des saisons, ce qui les rend plus ou moins vulnérables à la prédation (Espuno, 2004). Lors d’hivers marqués, la thermorégulation et les déplacements dans la neige accroissent notablement les dépenses énergétiques au moment où les ressources végétales, en repos végétatif, se font plus rares et sont difficiles à trouver. Il en résulte une surmortalité des ongulés sauvages. Les proies en moins bonne condition physique sont davantage vulnérables. Leur degré de vigilance est altéré facilitant la prédation de ces proies en situation de stress alimentaire.

De plus, la présence de neige au sol semble augmenter l’efficacité des prédateurs en réduisant les distances de recherche et en augmentant la probabilité de succès des attaques.

II. Influence de la neige sur la prédation

La présence de neige en abondance peut rendre certaines proies davantage vulnérables ; c’est le cas du chevreuil notamment. Ce petit cervidé est en effet peu adapté à supporter les conditions climatiques hivernales extrêmes car il présente des difficultés à courir dans la neige et ses réserves de graisse ne sont pas suffisantes pour répondre à l’augmentation de ses besoins énergétiques lors de neige. Pour maintenir sa température interne à 38°C, le chevreuil utilise 75 % de son énergie métabolisée, et en cas de fuite, il peut multiplier ses dépenses énergétiques par un facteur 20 par rapport à ses dépenses énergétiques au repos (Landry, 2017d). White et Garrott (2013) rappellent que les proies sont plus faciles à attraper en cas d’hiver rigoureux lorsque la profondeur de neige est importante. Le prolongement de ces conditions détériore l’état général de ces animaux qui au sortir de l’hiver constituent alors des proies faciles pour les loups.

Une étude (Rughetti et al., 2011) a cherché à caractériser l’influence de la neige sur la prédation des chamois par le loup. Trois zones où la chasse était interdite ont été considérées : le PNAM (Parc naturel des Alpes Maritimes) situé dans le sud du Piémont en Italie, le PNM (Parc national du Mercantour) en France et le PNGP (Parc national du Grand Paradis) dans le Nord du Piémont italien. Rughetti et al. (2011) cherchaient à estimer les conséquences de fortes chutes de neige sur la survie des adultes (animaux entre deux et neuf ans) et des vieux animaux (dix ans et plus).

L’hiver 2008-2009 a été caractérisé par des chutes de neige exceptionnelles dans ces régions. Dans le PNAM, il est tombé 490 centimètres de neige pendant l’hiver et la neige est restée de décembre à début juin. Les quantités d’enneigement ont été plus importantes que la moyenne à hauteur de plus 66 %. Le PNM a été recouvert de 165 centimètres de neige, soit deux fois plus que la moyenne des dix dernières années. La durée d’enneigement a également été supérieure. La quantité de neige dans le PNGP a été de 227 centimètres soit presque trois fois plus que la moyenne des dix dernières années.

Des chamois ont été capturés et équipés de colliers VHF (very high frequencies) dans les zones d’étude. L’âge a été déterminé en examinant les cornes. Les chamois étaient considérés comme morts quand des carcasses ou des colliers étaient retrouvés.

- Dans le PNAM, seules les femelles adultes ont été équipées de colliers VHF, tandis que les autres chamois ont été tatoués aux oreilles et équipés de colliers d’identification repérables à distance. Toutes les classes d’âge des deux sexes ont pu être étudiées. Les résultats montrent que les individus les plus âgés ont un taux de survie plus faible lors de fort enneigement (figure 17).

- Dans le PNM, les chamois ont été équipés de colliers VHF également avec des capteurs de mortalité et les signaux émis étaient vérifiés trois fois par semaine. Aucune donnée n’était disponible pour les mâles dont l’âge est supérieur à dix ans. De même que dans le PNAM, les femelles les plus âgées ont connu un taux de mortalité élevé (figure 17).

- Dans le PNGP, seuls des mâles ont été capturés et ont été surveillés une fois par semaine. Seize adultes ont été marqués, 15 étaient âgés de plus de dix ans, le dernier avait quatre ans. Les résultats sont moins notables du fait de la moindre représentativité de la classe d’âge deux-neuf ans, mais une forte mortalité a été enregistrée pour les individus âgés (figure 17).

Figure 17 : taux de mortalité en fonction de la classe d'âge et du parc considéré (Rughetti et al., 2011)

Cette étude (Rughetti et al., 2011) suggère que les vieux ongulés sont plus sensibles aux conditions climatiques extrêmes et notamment à un enneigement important. Les femelles âgées de deux à neuf ans ont subi une mortalité sept fois plus importante dans le PNAM (43 % de mortalité) par rapport aux hivers moins rigoureux où la mortalité s’élevait à 6 % en moyenne. Ce taux de mortalité important conduit à une diminution de densité de la population dans cette zone par la baisse consécutive du taux de reproduction également.

Le taux de mortalité de la population âgée de deux à neuf ans est par contre resté stable, à 6 % dans le PNM. Ce constat peut être dû à une combinaison de facteurs : les conditions météorologiques ont pu être moins rudes dans la région, mais il faut également tenir compte de la plus faible densité des populations de chamois par endroits. En effet, les effectifs de chamois dans le PNM avaient été réduits drastiquement l’année précédant l’étude par une épizootie de kérato-conjonctivite, il est donc resté une population réduite disposant de ressources alimentaires en excédent eu égard au nombre de survivants, ce qui a pu favoriser leur survie lors de l’étude. Par ailleurs, le taux de neige dans le PNM est moins important que celui du PNAM et peut donc être insuffisant pour affecter de façon considérable la survie des chamois.

Les données recueillies sur le sexe des animaux morts dans le PNAM et le PNM montrent qu’il n’y a aucune différence de résistance en fonction du sexe de l’individu (Rughetti et al., 2011).

Les taux de mortalité dans le PNAM montrent que l’hiver 2008-2009 a été difficile pour les chamois. Bien que les ongulés de montagne semblent adaptés au climat hivernal montagnard, des conditions météorologiques exceptionnelles peuvent affecter la survie, la taille et la dynamique de la population. C’est notamment le cas du bouquetin des Alpes dans le PNGP qui connaît un déclin sévère de sa population dès lors que l’épaisseur de neige est importante et les effectifs nombreux. Ces conditions difficiles affectent principalement la survie des vieux individus.

Une étude réalisée dans le Parc National du Yellowstone arrive aux mêmes conclusions (White et Garrott, 2013). Les jeunes wapitis et les vieux individus sont impactés davantage lors de conditions hivernales extrêmes.

Le régime alimentaire des loups peut changer lors de conditions météorologiques particulières. En effet, si les proies sont plus rares, leur profitabilité pour le loup s’en trouve diminuée même si elles sont davantage vulnérables, car le prédateur doit consacrer du temps à les localiser. Il peut donc s’orienter sur des espèces plus accessibles.

Cependant, si les ongulés de montagne, pourtant habitués aux conditions climatiques difficiles et aux terrains escarpés, voient leur population décimée, le loup disposera de peu de proies alternatives car les ongulés de montagne sont des proies très résistantes.

Une autre étude n’a pas prouvé la relation entre la présence de neige et la sélection des espèces proies (Sand et al., 2016). Cette étude a été menée en Scandinavie où les conditions climatiques sont plus difficiles sur l’ensemble de l’année. Aussi est-il possible que la population de proies vivant en Scandinavie ait d’ores et déjà été sélectionnée par la rudesse du climat.

III. Contribution des loups au contrôle des maladies chez les espèces proies

Tanner et al. (2019) ont étudié l’impact de la prédation des loups sur le contrôle des maladies. L’étude a été menée au nord-ouest de l’Espagne, dans les Asturies.

Dans les zones comptant des loups, la densité de sangliers a augmenté entre 2000 et 2014 (0,52 sanglier/km² contre 0,85 sanglier/km²). Elle s’est davantage accrue dans les zones sans loups (0,4 sanglier/km² puis 1,32 sanglier/km²). Dans cette région, 1051 sangliers ont été testés pour la tuberculose. La prévalence de cette maladie est de 5,42 % [4,21-6,98]. Dans les zones peuplées par les loups, la séroprévalence a diminué significativement chez les sangliers de 77 % à 16,7 (+/-7,47) % entre 2000 et 2007 pour finalement atteindre 3,87 (+/-1,76) % en 2014. Dans les zones sans loups, la prévalence était initialement plus faible et il n’y a pas eu de différence significative constatée dans la diminution de la prévalence de la tuberculose entre 2000 et 2014.

Dans les troupeaux domestiques, la prévalence moyenne de la tuberculose a augmenté de façon significative (+ 56 %) dans les zones sans loups : 0,16 % en 2005 jusqu’à 0,25 % en 2014. La prévalence de la tuberculose dans les zones où se trouvent des loups est restée relativement stable : de 0,22 % entre 2005 et 2007, elle a ensuite diminué à un taux de 0,19% entre 2008 et 2014 (p=0,5 ; il n’existe donc aucune différence significative entre les deux taux annoncés) selon Tanner et al. (2019).

Dans les zones avec loups, une diminution de la séroprévalence de 17 % en 2000 à 3,8 % en 2014 a été observée. Le loup a opéré une prédation préférentielle des marcassins et des individus sévèrement affectés ; cette prédation sélective semble être déterminante pour réduire significativement la prévalence de la tuberculose car l’infection se transmet par contact direct ou par contamination environnementale.

Le coût de compensation payé aux fermiers pour indemniser les attaques de loups sur le bétail représente un quart des dépenses annuelles pour éradiquer la tuberculose du bétail, (soit 1 016 860 euros, chiffre à mettre en relation avec la diminution de la prévalence de la tuberculose dans les zones avec présence de loups) (Tanner et al., (2019).

Dans le Montana (Etats-Unis d’Amérique), l’analyse de deux carcasses de bison, en juillet 2010, a révélé la présence de Bacillus anthracis, la bactérie responsable de la fièvre charbonneuse (Blackburn et al., 2014). En 2008, une épizootie a conduit à 8 % de mortalité dans le troupeau de bisons. Cependant, aucun décès de loup n’a été associé malgré la consommation de viande de ces animaux. En 2010, les carcasses de bisons ont été testées pour l’anthrax afin de détecter des faibles niveaux de bactériémie dans les populations cibles. Ces bisons ont été tués directement par les loups et non uniquement charognés du fait des traces de lutte évidentes sur les carcasses. De plus, les analyses ont appuyé le fait que les bisons ne sont pas décédés d’une bactériémie trop importante, car les analyses révèlent que l’infection était récente. La prédation des loups a permis la détection précoce de la maladie dans la zone concernée puisque les analyses ont été effectuées sur des carcasses d’animaux prédatés par les loups

IV. Prédation préférentielle différente des loups en meute et des loups solitaires

En s’appuyant sur l’étude consistant à analyser le régime alimentaire du loup à partir d’excréments récoltés entre 2008 et 2013 dans la région de la Ligurie, (Imbert et al., 2016), il est possible de mettre en évidence une différence significative de régime (p<0,0001) entre les loups solitaires et les loups évoluant en meute.

En effet, les loups solitaires ont une consommation plus importante de bétail et de mammifères de taille moyenne par rapport aux loups chassant en meute qui consomment davantage d’ongulés sauvages (chevreuil et chamois notamment) (figure 18). Cette différence de prédation peut s’expliquer par le fait que les loups chassant en meute peuvent se relayer au cours de la chasse et coopérer entre eux pour réussir à attraper leur proie. Les loups solitaires au contraire doivent chasser des proies qui leur sont profitables, c’est-à-dire ne leur coûtant pas une dépense d’énergie trop importante par rapport au gain énergétique obtenu en comptant les échecs possibles.

Figure 18 : Variation de consommation des proies entre loup solitaire et meute de loups (Imbert et al., 2016)

Le bétail domestique dans la région de la Ligurie comprenait 15000 vaches et 33900 moutons et chèvres au moment de l’étude. Dans cette région, la majorité des troupeaux ne sont pas protégés par une présence humaine ou par un chien de protection. Pendant la période de l’étude, 176 prédations ont eu lieu au total sur le bétail, 15 sont survenues chez les bovins et 161 chez les moutons et les chèvres (figure 19).

Figure 19 : prédation des animaux domestiques par le loup (Imbert et al., 2016

Deux meutes sur les cinq étudiées recourent à la prédation sur le bétail en proportion de sa disponibilité, alors que les trois autres meutes incluent peu d’animaux domestiques dans leur régime alimentaire.

Par contre, les loups solitaires consomment le bétail en quantité importante eu égard à sa disponibilité (Imbert et al., 2016). Les troupeaux n’étant pas protégés, le loup solitaire peut réaliser des attaques sans être trop inquiété pour sa vie. Les proies domestiques sont plus faciles à attraper car la domestication a conduit à une évolution de leur profil morphologique moins adapté à la fuite et également à une diminution du degré de vigilance par rapport aux prédateurs.

Le loup adopte des choix différents en matière d’espèces chassées selon qu’il opère en meute ou seul. Cette différence peut s’expliquer par des stratégies de prédation propres à la meute qui lui permettent de s’attaquer à des animaux beaucoup plus imposants. Cette technique particulière de chasse a pour objectif de pouvoir nourrir convenablement tous les membres de la meute mais requiert néanmoins une organisation particulière ainsi qu’une coopération efficace entre les individus de la meute.

V. Différence de stratégies de prédation entre un loup solitaire et une meute

La taille de la meute semble jouer sur la prédation : en effet, plus la meute compte d’individus, plus elle est capable de se structurer pour traquer de grosses proies. Mech et Boitani (2003) supposent que la taille de la meute devrait varier avec le nombre de proies disponibles jusqu’à un effectif de loups optimal pour lequel la prédation s’effectuerait alors en minimisant les dépenses énergétiques tout en maximisant le gain énergétique. L’effectif de la meute aurait donc tendance à augmenter avec la taille des grands ongulés chassés. En réalité, l’observation de centaines de meutes par Mech et Boitani (2003) a montré que la relation entre la taille des meutes et celle de leurs proies n’est pas fixée. De manière générale, les plus petites meutes ont tendance à se nourrir de petits mammifères tandis que les plus grandes meutes se nourrissent de bisons et d’élans. Ces meutes sont en moyenne deux fois plus grandes que celles chassant le cerf.

La chasse de proies de grande taille peut durer longtemps car le rassasiement sera supérieur si le succès est au bout, aussi les loups peuvent-ils se permettre un effort engendrant une dépense énergétique plus conséquente.

Ces considérations n’excluent pas le fait qu’un loup puisse chasser seul de grandes proies. Le succès global de prédation d’un individu par les loups varie entre 10 % et 49 % selon les études (Mech et Peterson, 2003).

1. Tentatives de chasse par un loup solitaire : exemples d’attaques

La chasse de proies de grande taille n’est pas aisée pour un loup solitaire. Ses approches du troupeau sont remarquées et les proies chassent le prédateur à tour de rôle ; il n’a souvent pas d’autre choix que de fuir. Pour accroître ses chances de réussite, le loup cherche à repérer les individus les plus faibles afin de les isoler du groupe. Des scientifiques ont pu observer plusieurs tentatives d’attaques de loups solitaires sur des proies de grande taille ; la plupart de ces tentatives se sont soldées par des échecs, mais parfois le loup solitaire parvient à venir à bout de son attaque.

Mech et al. (2015b) ont observé de nombreuses interactions entre loups solitaires et boeufs musqués. Au cours d’une de leurs observations, un loup solitaire a tenté une approche dans un troupeau de 27 boeufs musqués mais à plusieurs reprises, il s’est fait chasser par les taureaux qui le chargeaient afin de l’éloigner du groupe.

Au cours de ses tentatives, le loup semble avoir repéré des animaux plus faibles (deux veaux et une vache) se trouvant un peu à l’écart du troupeau, aussi a-t-il tenté de les isoler davantage afin de pouvoir les attaquer, mais les boeufs musqués se sont rapprochés, regroupés et ont fait fuir le loup. Pendant environ deux heures, les auteurs ont observé le loup tourner autour du troupeau. A chaque tentative d’approche du groupe, les membres du troupeau s’occupaient de chasser le loup. Après chaque nouvel échec, le loup retournait en courant en direction du troupeau pour tenter une nouvelle approche. Finalement, le troupeau entier s’est placé en ligne pour faire face au loup afin de l’inquiéter et le faire fuir. Le loup a alors abandonné la partie, sentant qu’il n’était pas en position de force et qu’il pourrait facilement être blessé sans parvenir à ses fins.

Un spécialiste du loup, Gray (1970) a rapporté l’attaque d’un loup solitaire sur un boeuf musqué. Lors de cette séquence, toutes les étapes de la chasse décrites précédemment ont pu être retrouvées.

Tout d’abord, un loup solitaire a repéré un boeuf musqué de cinq ans environ se nourrissant le long d’une rivière. Il se trouvait alors séparé d’un kilomètre environ du reste du troupeau composé de 11 animaux. Le loup s’est approché de l’animal le plus rapidement possible mais il s’est fait repérer par le boeuf qui l’a chargé pour le faire fuir. Plusieurs fois le loup a tenté de s’avancer vers sa proie puis a battu en retraite car le boeuf lui fonçait dessus de telle manière que, pour éviter ses cornes, le loup devait fuir. Ensuite, une phase d’observation a eu lieu : les deux animaux se sont fait face et se sont toisés pendant quelques instants.

La première phase d’attaque est survenue ensuite : le loup a saisi la face du boeuf entre ses dents pendant quelques secondes, mais la proie s’est défendue et le loup a donc relâché sa morsure.

Suite à cette tentative d’attaque ratée, le loup est passé à l’étape de harcèlement de la proie en lui tournant autour en permanence. A nouveau, les deux animaux se sont arrêtés et se sont jaugés pendant 50 secondes. Le loup a alors porté une nouvelle attaque et refermé ses mâchoires sur la face du boeuf pendant 15 secondes avant qu’il ne se débatte. Chaque animal a tenté d’éviter les coups de son adversaire, mais le loup a été blessé à la face suite à une blessure infligée par les cornes du boeuf. L’excitation a continué à monter chez le loup qui a alors saisi entre ses crocs l’orbite droit de sa proie ; il y est resté accroché pendant que le boeuf secouait sa tête férocement pour le faire tomber. Lors de cette altercation, la face du boeuf s’est trouvée recouverte de sang. Le loup a continué d’essayer de rester en contact du museau du boeuf pour pouvoir lui porter des attaques à la face.

Enfin, le loup a changé de tactique et a attaqué le boeuf du côté gauche, ce qui l’a fait tomber. Pour maintenir la proie au sol, le prédateur a alors posé sa tête sur la gorge du boeuf et a maintenu son épaule gauche à l’aide d’une patte. Le boeuf a tenté de se relever par deux fois et la troisième fois, il s’est relevé suffisamment sur ses pattes avant pour faire face au loup et lui donner un coup de cornes. Le loup a cependant continué à tourner autour du boeuf, qui est tombé à terre à nouveau. Le boeuf est alors décédé de ses blessures.

Suite à la mise à mort de sa proie, le loup a alors pu commencer la consommation de la carcasse : pour cela il a retiré les poils sur le dos du boeuf puis il s’est nourri des muscles situés le long des côtes, des vertèbres et du cou. Enfin, le loup a uriné autour de la carcasse pour marquer cette ressource avant de partir et ainsi dissuader les autres loups de profiter de l’aubaine. Les auteurs ont pu observer que le loup s’est nourri sur cette carcasse les quatre jours suivants et au moins trois fois pendant l’été.

Ces deux exemples d’attaques montrent que le loup solitaire peut tenter de s’attaquer à une grosse proie. Il peut même parvenir à la tuer lorsque celle-ci est isolée du reste du troupeau, ou si elle est en mauvaise santé. Néanmoins, la réussite de l’entreprise est bien plus aléatoire, le loup court le risque d’être blessé sévèrement, et le plus fréquemment, ses tentatives d’attaques sur des proies de taille importante se soldent par des échecs. Pour optimiser les chances de succès sur les plus gros animaux, le loup choisit donc de coopérer avec les membres de sa meute.

2. Tentatives de chasse de loups en meute

Mech et al. (2015b) ont également pu réaliser l’observation de diverses chasses effectuées en meutes. Le même schéma tactique s’est répété lors de plusieurs sessions de chasse, aussi une description de l’attaque type en meute peut-elle être proposée.

Dans le cas rapporté, sept loups ont repéré un troupeau de boeufs musqués et s’en approchent alors doucement. Les boeufs musqués jusqu’alors discrètement dispersés se regroupent à la vue du prédateur et font face aux loups qui restent pour la plupart à trois mètres de distance du troupeau à l’exception d’un individu plus en retrait. Au bout de quelques minutes, les loups décident de se coucher. Régulièrement, certains loups se lèvent et tournent autour du troupeau afin de le harceler. Les loups ne paraissent alors pas trop excités. Les boeufs musqués restent vigilants et protègent leur progéniture mais ils paraissent tout de même désorganisés dans la protection de leur troupeau face aux prédateurs. Cette attitude de harcèlement des troupeaux de grands ongulés sauvages se retrouve fréquemment (figure 20). Les loups ne sont pas non plus organisés à cet instant. Parfois certains boeufs tentent de charger un loup pour le repousser, mais ces tentatives de défense ont pour conséquence de rendre les loups plus actifs et de les exciter davantage.

Figure 20 : Désorganisation du troupeau de bisons face à l’attaque de loups (Ellis, 2015b)

Les loups font plusieurs tentatives d’approche du troupeau mais à chaque fois, les boeufs font face aux loups. Cependant, ces attaques répétées commencent à désorganiser le troupeau et les loups sont de plus en plus excités.

Le troupeau est réticent à prendre la fuite car le relief ne l’avantage pas, aussi les loups continuent-ils leur harcèlement en tentant des attaques. Un des boeufs finit par tomber et se retrouve alors sur le dos : les loups s’en approchent et le mordent. Les différentes tentatives d’attaques durent au moins une heure et le troupeau commence à paniquer et est complètement désorganisé.

Enfin à force d’attaquer le troupeau pour le déstructurer, le couple reproducteur parvient à isoler un veau : la femelle reproductrice l’attrape alors par le côté droit de la tête et le mâle le saisit par le museau. Les autres loups accourent et se regroupent autour de la proie. Le veau se débat et fait glisser les six loups dans la pente. Un des mâles et une femelle cessent alors leur prédation sur le premier veau et retournent en courant vers le troupeau désorganisé : ils parviennent alors à saisir un second veau.

La plupart des loups délaissent le premier veau, tandis que le couple reproducteur ne lâche pas son emprise sur le second veau capturé. Un autre loup de la meute se met en chasse d’un troisième veau et l’attrape. Le troupeau de boeufs musqués fuit en direction de la rivière pour échapper aux loups. L’attaque des loups a pris plusieurs heures mais s’est soldée par la capture de trois jeunes individus.

Cette attaque est un exemple de la coopération qui existe au sein d’une meute de loups. Leur effectif, leur organisation, leur persévérance et leur capacité à disloquer l’organisation du troupeau chassé les mènent parfois au succès.

3. Schéma général d’une attaque de proies de grande taille par une meute de loups

Le comportement général des meutes de loups lors d’attaques de troupeaux de boeufs musqués a été notifié par Mech et al. (2015b). Pour parvenir au succès, les loups emploient différentes stratégies de prédation, qu’ils soient seuls ou en meute. Leur but va être de repérer les animaux les plus vulnérables, puis de harceler le troupeau afin de désorganiser sa ligne de défense, et ainsi parvenir à isoler un animal. Mech et al. (2015b) ont pu observer et schématiser les différentes interactions entre les boeufs musqués et les loups (figure 21).

De façon générale, les loups approchent en direction du troupeau à découvert, en se plaçant en ligne ou en étant séparés. La meute avance généralement contre le vent afin de ne pas se faire repérer par les proies. La progression est lente, les loups s’arrêtent souvent pour se regarder mutuellement tout en surveillant leurs proies. Une fois à proximité du troupeau, ils peuvent soit attaquer directement soit, le plus souvent, commencer une manoeuvre d’encerclement du troupeau par un loup ou plus (figure 21).

Figure 21 : schémas des interactions possibles entre les loups et les boeufs musqués à partir de l'observation de 21 interactions (Mech et al., 2015b)

Dans la moitié des 21 rencontres observées, les loups attaquent les boeufs musqués en courant vers le troupeau et en sautant sur un individu en particulier qu’ils ont repéré au préalable. Les tentatives d’attaque des loups sur les boeufs musqués peuvent durer entre deux minutes et quatre heures. Au cours de ces longues attaques, des périodes de repos sont observées. Les proies comme les prédateurs se couchent parfois pendant une heure pour se reposer.

Lorsque la meute devient trop agressive, les boeufs musqués peuvent prendre la fuite. Au contraire, certains n’hésitent pas à riposter face aux loups en tirant profit de leur gabarit imposant et en se servant de leurs cornes et de leurs sabots pour tenter de blesser les loups. Ces derniers doivent harceler longuement le troupeau pour l’éparpiller. Dans les troupeaux où se trouvent de jeunes animaux, le but est de les séparer des adultes en courant au milieu du troupeau. Cette tactique est facilitée notamment lorsque le troupeau est déjà scindé sous la pression des loups. Une fois les animaux dispersés, les loups deviennent plus agressifs et vont tenter de saisir un animal vulnérable, un veau par exemple. L’approche des loups est réussie lorsque la proie ciblée est effectivement isolée. Dès lors, l’attaque finale commence par un contact avec la proie sur les épaules ou les flancs dans le but de lui faire perdre l’équilibre. Puis un loup saisit l’animal par une patte arrière ou la tête. Il est ensuite rejoint par les autres membres de la meute qui saisissent la proie préférentiellement par le cou ou la tête et tentent de mettre à mort l’animal.

4. Schéma de prédation d’une proie de petite taille

Comme nous l’avons vu dans la première partie, le loup peut aussi bien consommer des proies de grande taille que de plus petit gabarit. Comme le loup est un prédateur opportuniste, il va chasser les animaux qui lui seront le plus profitables sur le moment. Le plus petit mammifère largement étudié sur l’Ile d’Ellesmere et prédaté par le loup est le lièvre arctique (Lepus arcticus). Le plus souvent, les loups le repèrent par hasard au cours de déplacements, ou lors d’une phase de repos. Les lièvres sont considérés comme une proie intéressante par les loups lorsqu’ils se situent à une distance de 400 à 500 mètres environ. Mais ils peuvent néanmoins être chassés sur de grandes distances, jusqu’à plus de 800 mètres parfois (figure 22).

Les jeunes loups sont davantage habiles pour chasser les lièvres. Les loups opèrent une prédation préférentielle des levreaux pendant les saisons de mise-bas. Lors de chasse en meute, ils se séparent afin d’augmenter leurs chances de trouver chacun un levreau et de pouvoir attraper au minimum un animal. La chasse en elle-même est réalisée seule (Mech et al., 2015c).


Figure 22 : chasse d'un lièvre arctique (Peterson et Ciucci, 2003)

La consommation de la proie est plus rapide par rapport aux grands ongulés. Le loup consomme en premier l’intérieur de la proie en délaissant l’estomac et les intestins. Ensuite, il consomme les pattes arrière et remonte méthodiquement jusqu’à la tête (Mech et al., 2015c).

5. Influence de la taille de la meute dans le succès de prédation

Macnulty et al. (2012) ont montré qu’il n’existait pas de relation linéaire entre la taille du groupe et le succès de chasse. L’étude a été menée dans le Parc National du Yellowstone où les loups capturent les wapitis (Cervus canadensis). Au-delà de quatre loups participant à la poursuite d’une proie, le succès de capture de l’animal par la meute atteint un seuil. En effet, certains individus des meutes comptant plus de quatre loups se retirent de la chasse, ou sont moins performants pour aboutir à la capture finale. Il a été montré que la performance individuelle (mesurée par l’effort effectué) diminue indépendamment de l’âge de l’individu considéré, de sa taille, ou de sa qualité de chasseur. La performance est par contre corrélée à la motivation individuelle à réussir la chasse (Escobedo et al., 2014).

La motivation est maximale chez les individus reproducteurs qui doivent nourrir leur progéniture. Aussi, ce sont eux qui s’avèrent être les plus efficaces dans l’acte de prédation en saisissant et en retenant les proies.

La chasse en meute augmente le succès de chasse jusqu’à un certain nombre d’individus. Au-delà, la coopération peut être moins efficace et dépend de la motivation individuelle.

VI. Variation de la prédation de la faune sauvage en fonction de la zone géographique

Des fèces de loups ont été analysés pendant neuf ans en Scandinavie et en Toscane. En Scandinavie, la prédation s’exerce principalement sur les élans tandis que les sangliers sont la proie principale des loups en Toscane (tableau 6) (Ståhlberg et al., 2017).

Tableau 6 : différences de la stratégie de prédation entre l'Europe du Nord (Scandinavie) et l'Europe du Sud (la Toscane) (Ståhlberg et al., 2017)

La prédation du loup est un acte très organisé, que le loup chasse en meute ou seul. Le loup appartient à la famille des Canidés et son très proche cousin, le chien, peut aussi être amené à se nourrir par lui-même en cas d’errance. Pour survivre, il peut donc être amené à tuer des proies. Le plus souvent, il attaque les animaux les plus vulnérables, le bétail notamment. Au vu de l’augmentation du nombre de loups en France et de la problématique actuelle concernant l’attaque des troupeaux, il peut être utile de savoir différencier la prédation d’un chien de celle d’un

VII. Variation du prédateur : attaques de chiens. Comment différencier chien et loup dans la prédation ?

Les espèces canine (Canis lupus familiaris) et lupine (Canis lupus) sont totalement fertiles entre elles, il y a donc possibilité d’hybridation entre ces deux populations. En effet, les deux sous-espèces sont très proches génétiquement : il existe 0,2 % de différence entre les ADN mitochondriaux des deux espèces et 0,04 % de différence avec l’ADN nucléaire. Cette proximité génétique est en faveur d’une hypothèse monophylétique entre le chien et le loup. Pour rappel, des ossements de C. familiaris ont été retrouvés en Suisse et datés de 14100 à 14600 ans avant J.C.. D’autres ossements ont été retrouvés en Allemagne et dateraient de 14700 ans avant J.C.. La domestication du chien aurait eu lieu entre 20000 et 40000 ans avant J.C. (Botigué et al., 2017).

1. Différences dans les relations sociales

Certains loups domestiqués sont néanmoins retournés à l’état sauvage, ils sont nommés chiens féraux. Ces chiens n’ont pas été familiarisés aux humains et leur retour en captivité est impossible. Ils ne disposent pas de nourriture ni d’abri directement fournis par les hommes et ne montrent pas à leur endroit de familiarisation particulière ; ils ont plutôt tendance à développer au contraire une aversion forte envers les humains (Titeux et al., 2013). Ces chiens sont solitaires mais peuvent parfois vivre en groupe. Cependant, contrairement à la meute de loups, il n’existe pas de régulation sociale de la reproduction. Ainsi, contrairement aux loups, potentiellement tous les mâles et les femelles ont la possibilité de se reproduire. Ces chiens ne coopèrent pas entre eux pour assurer les soins aux jeunes ou lors de la chasse. Ils ne défendent pas vraiment de territoire mais protègent leur tanière et leur nourriture. Aussi, n’est-il pas possible de comparer les groupes de chiens féraux aux meutes de loups qui ont une structure sociale complètement différente puisque, comme nous l’avons précédemment définie, la meute est une unité sociale qui chasse, élève les jeunes et protège un territoire commun, en tant que groupe stable et dont les membres sont apparentés.
    64 ARTHEZ de BEARN: chiens errants

En France, vivent peu de groupes de chiens féraux mais des chiens solitaires errants y sont retrouvés. Ce sont des chiens déjà familiarisés à l’Homme et leur retour en captivité pourrait être possible (Titeux et al., 2013). Ces derniers peuvent avoir un comportement de chasse se rapprochant des chiens féraux, et poursuivent alors des animaux faciles à attraper, notamment la faune domestique.
Marshall-Pescini et al. (2017) ont prouvé que les loups surpassaient les chiens dans les tâches de coopération. En effet, une expérience menée au Wolf Science Center en Autriche, a consisté à placer de la nourriture hors d’atteinte des canidés. Pour réussir à l’obtenir, les animaux devaient tirer simultanément les deux bouts de corde (figure 23). Des chiens et des loups ont été conditionnés à recevoir de la nourriture en tirant une ficelle. Cinq des sept duos de loups ont réussi au moins un essai, alors que seul un duo de chiens sur huit a réussi. Cette expérience montre l’existence d’une coopération marquée entre les loups ; ceux-ci, pour réussir, ont besoin d’explorer leur environnement suffisamment avant d’opter pour le comportement adéquat. Ils doivent également tolérer la présence et l’activité de chacun, en lien avec l’importance du lien social existant chez les loups.


Figure 23 : coopération entre les loups pour obtenir une ressource alimentaire (Marshall-Pescini et al., 2017)

2. Différences relatives à la prédation
En Pologne, 3300 animaux sauvages et 280 animaux de ferme sont tués chaque année par les chiens errants (Wierzbowska et al., 2016). Leur proie la plus commune est le lièvre brun (Lepus europaeus ; 50,2% de la prédation totale), suivie par le chevreuil (28,2 %), le blaireau (16,6 %). Concernant le bétail, la moitié des attaques concerne les moutons, devant les chèvres (30,8 %) puis les bovins (23,5 %).
En parallèle, les loups ont tué 2356 animaux sauvages et 363 animaux de rente chaque année. Le chevreuil est l’animal le plus prédaté (55,4 %), suivi par le cerf (22,8 %) et le sanglier (16,6 %). Concernant le bétail, les loups ont davantage prélevé des moutons (85,2 %) puis des bovins (10 %).
Entre 2006 et 2011, les loups ont tué plus de cerfs que les chiens (537 contre 283 respectivement) mais les chiens ont tué plus de chevreuils que les loups (7979 contre 1305 respectivement). Les chiens s’attaquent davantage aux chevreuils du fait de leur taille moyenne et de leur milieu de vie recoupant largement les terres agricoles notamment où les loups hésitent à s’aventurer, craignant l’Homme et les activités cynégétiques (Wierzbowska et al., 2016). La forte prédation du chien sur les lièvres bruns est corrélée à l’importante population de lévriers anglais (Greyhound) en Pologne, qui étaient autrefois très prisés pour la chasse.
Pour distinguer la prédation par les loups et les chiens errants, lors d’attaque sur des troupeaux domestiques, un constat de prédation est réalisé. Il décrit le cadre, la catégorie de la dépouille (espèce, âge, sexe), les traces de sang trouvées autour de l’animal, la présence de chiens aux alentours. Puis un examen détaillé de la carcasse est réalisé afin d’estimer l’état général de la carcasse au moment de la découverte, de noter les traces de morsure et les parties consommées.

Pour réaliser leur constat, les agents de l’ONCFS s’appuient également sur des observations directes et sur des témoignages rapportant des hurlements entendus (Neault, 2003).
Les prospections sont réalisées dans des zones où la présence du loup est suspectée. Ainsi, en cas de chute de neige, la recherche sera facilitée car elle permet de figer les traces de pas et les empreintes aideront à déterminer l’espèce de canidé présente dans la zone ; il sera peut-être même possible de déterminer le sexe et l’âge du prédateur en fonction de la taille, de la forme et de l’espacement des empreintes.
Neault (2003) rappelle que près des zones de prédation, il est utile de regarder le tracé des pas au sol pour tenter de savoir qui, du chien ou du loup, a réalisé l’acte de chasse. En effet, en marchant, le loup recouvre ses pas : le pied postérieur se pose toujours dans l’empreinte du pied antérieur de même latéralité. Aussi, les deux empreintes du même côté se trouvent-elles alignées et les traces de pas d’un loup forment-elles un enchaînement selon une ligne quasiment parfaite (figure 24). Les traces des côtés gauche et droit forment une piste rectiligne au trot ou au galop (Landry, 2017a). Les traces de pas du chien seront quant à elles en quinconce.

Figure 24 : piste du loup dans la neige (« Comment distinguer une empreinte de loup d’une empreinte de chien? », 2019)

Pour identifier l’origine d’une empreinte unique sur le sol, dans la boue ou la neige, le pied du loup présente un talon plus gros, large, détaché du reste de la trace et l’empreinte forme trois petites fossettes sur le sol (figure 25). La face caudale du coussinet central a une empreinte rectiligne alors qu’elle est bosselée chez le chien. Les empreintes des deux espèces sont difficiles à différencier car le loup a une allure souple et marque donc peu le sol.

Figure 25 : empreinte de loup (« Comment distinguer une empreinte de loup d’une empreinte de chien? », 2019)

Les poils trouvés sur la zone de prédation peuvent être un indice précieux mais ils restent rarement informatifs car souvent le bulbe pileux n’est pas conservé. Des crottes retrouvées sur le sol peuvent être échantillonnées et l’ADN total de la crotte peut être extrait afin de sélectionner et d’amplifier une séquence d’ADN mitochondrial propre au loup et au chien et déterminer ainsi quelle espèce était présente sur les lieux.
Néanmoins, toutes ces techniques ont des limites, et pour incriminer ou innocenter le loup, l’idéal serait un test génétique réalisé sur un extrait de salive prélevé sur une morsure de la proie. Des études ont déjà été effectuées sur ce sujet ; dès 24 heures avec l’exposition au prédateur, le taux de succès de l’amplification de l’ADN diminue de façon significative et la proportion de génotypes incorrects augmente.
Modrow et al. (2019) ont réalisé une expérience pour simuler les conditions de prédation du bétail. Des pattes de moutons ont été mâchées par un chien pendant trente minutes et ont ensuite été entreposées dans les bois. A des intervalles de temps définis, allant de 3 heures jusqu’à 72 heures post-exposition, des écouvillons ont été échantillonnés sur les membres et des analyses génétiques ont été effectuées. L’étude a montré que le typage génétique était possible pendant au moins 72 heures post exposition. Ce travail de recherche montre que pour différencier la prédation entre un loup et un chien, il est possible d’utiliser le typage génétique et qu’il faut le réaliser même si la proie a été tuée depuis plusieurs jours.
D’autres critères permettent de différencier le prédateur, notamment sa façon de consommer les proies. En effet, le loup n’éventre pas la proie et laisse les marques d’une morsure au cou de grand diamètre ainsi que d’autres traces sur la croupe et le dos (Neault, 2003). Il déchire un côté de l’animal en arrachant un membre antérieur, les muscles dorsaux et le membre postérieur. En comparaison, le chien est moins méthodique et se nourrira sur toutes les parties possibles de la proie sans ordre préférentiel.


Pour rappel, lors d’un acte de prédation d’animaux domestiques, le loup est toujours suspecté puisqu’il est notifié « loup non exclus » (DREAL et DRAAF Auvergne Rhône-Alpes, 2018).

VIII. Population de loups en France et impact sur la prédation

La majorité des loups vivant en France sont de lignée génétique Italienne d’après les analyses effectuées par le laboratoire Antagène en juillet 2017 à partir des différents échantillons récoltés par l’ONCFS. Au total, 143 échantillons analysés appartenaient à des animaux différents, dont 13 chiens. Sur les 130 échantillons restants, 120 étaient des loups de lignée génétique italienne. Deux avaient des signatures génétiques qui correspondraient à des hybrides génétiques de première génération, huit des signatures génétiques montrant une hybridation plus ancienne. En conclusion, 92,5 % des animaux analysés sont des loups stricto sensu. Six pourcents des échantillons montrent une hybridation plus ancienne et 1,5 % une hybridation récente (Ministère de la transition écologique et solidaire, 2018).
Depuis son retour en France dans le Parc National du Mercantour, le loup s’est reproduit et a colonisé de nouvelles zones géographiques. Plusieurs indices de suivi de la population lupine existent.
1. Quelques définitions
- La zone de présence temporaire (ZPT) correspond à une zone où des loups ont été aperçus, ou à une zone où la présence des loups est attestée en période hivernale (Boyac, 2017) ;
- La zone de présence permanente (ZPP) est le territoire sur lequel la présence d’un ou plusieurs loups a été confirmée pendant deux hivers successifs sans présence forcément de reproduction (Boyac, 2017) ;
- L’effectif minimum retenu (EMR) est un indice permettant de mesurer la taille de la population de loups ; il permet de suivre le nombre minimum d’animaux fixés sur une ZPP à partir des empreintes trouvées dans la neige et des observations directes d’animaux (Boyac, 2017) ;
- L’estimation « capture marquage recapture » (CMR) prend en compte l’ensemble des traces génétiques détectées sur l’aire de répartition du loup. Le total des données obtenues est ensuite pondéré par le fait que la probabilité de détecter un loup reste inférieure à un. Les effectifs CMR sont donc supérieurs aux effectifs EMR. Pour obtenir le nombre total approximatif de loups, il faut multiplier l’EMR par 2 à 2,5 (Boyac, 2017).

2. Calcul du nombre d’individus dans la population de loups
Sur le terrain, 3000 correspondants du réseau loups-lynx recueillent les indices de présence du loup. La détection du nombre minimal d’individus est réalisée en comptant les zones de présence permanente (ZPP) (Landry, 2017e). La déduction de l’effectif total de la population (ZPP et zones avec présence d’individus en dispersion) est réalisée à l’aide d’un modèle. Un intervalle de confiance de 5 % est calculé afin d’obtenir un nombre minimal et un nombre maximal de loups.
L’estimation du nombre de loups se base sur le nombre de ZPP et sur l’évolution de ce nombre, sur le nombre de meutes avec ou sans reproduction, sur l’effectif minimum de loups détectés (EMR) dans les ZPP et son évolution (par pistage hivernal), l’estimation du nombre total d’individus présents dans l’ensemble de la population (par modélisation de type CMR) et les signatures génétiques individuelles détectées sur l’ensemble de l’aire de répartition (Landry, 2017e).
La distribution géographique du loup est étudiée en tenant compte du nombre de communes présentant au moins un indice de présence du loup, ainsi que des communes présentant une présence régulière ou une présence occasionnelle de loup. La croissance démographique (ZPP et effectifs) est privilégiée par rapport à la croissance géographique (nombre de communes avec présence du loup) (Landry, 2017e).

3. Bilan hivernal 2018-2019 de la population de loups
Lors du suivi hivernal 2018-2019, 2085 indices de présence ont été enregistrés. Près de 250 indices permettant d’estimer la taille de la population ont également été utilisés. Ces différents indices sont les empreintes de pas et les pistes de loups, les observations visuelles, les piégeages photographiques et les dépouilles de loups (DREAL et DRAAF Auvergne Rhône-Alpes, 2019a) .
Concernant la distribution géographique des loups, à la fin de l’année 2012, les loups étaient répartis sur 515 communes (dont 271 avec présence régulière) dans 25 départements. A la fin de l’année 2016, le territoire des loups s’est élargi puisque l’animal est désormais présent dans 846 communes (dont 448 communes de présence régulière) dans 33 départements. (Ministère de la transition écologique et solidaire, 2018). La population de loups et la reproduction se concentrent principalement dans l’arc alpin et en Provence (figure 26).

Figure 26 : Répartition de la population de loups en France (« Carte de dispersion du Loup en France », 2019)

La population de loups ne cesse de croître depuis son retour en France en 1992. En cette année 2019, la population de loups a atteint le seuil de viabilité démographique fixé à 500 individus dans le cadre du plan national loup (figure 27) (DREAL et DRAAF Auvergne Rhône-Alpes, 2019a). En effet, l’effectif de la population en sortie de l’hiver 2019 est de 530 spécimens environ (intervalle de prédiction compris entre 477 et 576). A la même période, l’année précédente, la population de loups comptait 430 individus [387-477].
Figure 27 : estimation de l'effectif de la population de loups par la méthode Capture Marquage Recapture (CMR) (DREAL et DRAAF Auvergne Rhône-Alpes, 2019a)

Le taux de croissance annuel est donc de 22 %. En récapitulant les données de 1996 à 2018, le taux moyen d’évolution de la population de loups est de 13 % (DREAL et DRAAF Auvergne Rhône-Alpes, 2019a).
Les zones de présence permanente (ZPP) du loup ont augmenté cette année puisqu’on en comptait 74 à la sortie de l’hiver 2017-2018 contre 92 ZPP en sortie de l’hiver 2018 / 2019 (voir figure 28). Soixante-dix ZPP hébergent actuellement des meutes contre 57 l’hiver précédent. Il faut rappeler que le terme de meute dans le comptage des loups est utilisé à partir de groupes formés de trois individus au minimum, ou dans le cadre d’une reproduction avérée. Vingt ZPP ne présentent pas de meutes et deux ZPP n’ont pas encore de statut car elles sont sans indice (DREAL et DRAAF Auvergne Rhône-Alpes, 2019a).

Figure 28 : évolution du nombre de zones de présence permanentes depuis le retour du loup en France (DREAL et DRAAF Auvergne Rhône-Alpes, 2019a)
L’histogramme de la répartition de la population de loups montre que de façon majoritaire, le loup vit en meute, améliorant ainsi ses chances de capture de proies et permettant donc une meilleure survie des louveteaux en leur prodiguant une quantité de nourriture suffisante.
Les loups vivant en meute chassent de façon organisée pour améliorer leur succès de prédation. Les individus solitaires ont un succès de chasse moindre par rapport aux loups vivant en groupe. Aussi, leur prédation se reporte sur des proies plus faciles à attraper, comme le bétail domestique. Le plus problématique dans la prédation des animaux d’élevage reste le « surplus killing », acte de prédation tuant beaucoup plus d’animaux qu’il n’est nécessaire pour répondre aux besoins énergétiques du loup.

IX. Phénomène de « surplus killing »
Une co-évolution existe entre les proies et leurs prédateurs. En effet, ces derniers ont évolué en améliorant leur technique de chasse (en s’organisant notamment pour traquer en meute), et capturent le nombre de proies nécessaires pour leur survie. En parallèle, les proies ont évolué pour tenter d’échapper à leur prédateur. Un équilibre existe entre les prédateurs et les proies, car les premiers ne doivent pas tuer plus de proies que nécessaire au risque de générer une pénurie de ressources alimentaires qui leur serait préjudiciable. Parfois, des facteurs environnementaux entrent en jeu, comme la chute de neige en abondance, et mettent les proies en difficulté en facilitant leur capture. Un déséquilibre temporaire peut alors exister, cependant cette surmortalité est traitée par les charognards. Pour survivre également, l’Homme a sélectionné des animaux, au fil des millénaires, afin d’en exploiter le potentiel alimentaire. Les hommes ont donc fait se reproduire des animaux avec des membres plus courts et plus musclés que les ongulés sauvages dont ils sont issus (dont la partie distale des membres, plus allongée, améliore la vitesse de fuite). Le bétail est donc devenu plus lourd au cours de la domestication, par comparaison aux proies sauvages. Cette sélection génétique a également résulté en une absence de comportement anti-prédateur en supprimant la possibilité de fuite rapide du bétail face au loup. Comme évoqué précédemment, le loup doit veiller à maintenir une population de proies suffisantes pour permettre sa survie ultérieure. Parfois, le loup est amené à tuer plus que nécessaire : cet acte est défini comme le « surplus killing » (Landry, 2017d). Cette expression signifie que le loup tue davantage de proies par rapport à ce qu’il peut réellement ingérer. Ces cas de « surplus killing » sont principalement observés lors d’attaques de faune domestique mais des cas sont répertoriés sur de la faune sauvage.

1. « Surplus killing » des animaux domestiques
En moyenne, le nombre d’animaux domestiques tués dans les troupeaux de bétail varie entre quatre et sept bêtes (Neault, 2003). Parfois, le loup tue plus que nécessaire suite aux tentatives de fuite des proies qui ont pour conséquence de l’exciter davantage. Lors d’actes de prédation dans un troupeau domestique, le loup peut prélever seulement un animal et le consommer entièrement mais il peut aussi attaquer plusieurs individus sans forcément les tuer. Plusieurs scientifiques ont tenté d’expliquer ce phénomène, dont Landry (2017d) : la persistance de mouvements dans le troupeau après la prédation réussie d’un animal du fait de la présence du prédateur dans l’enclos, peut engendrer du « surplus killing » de la part du loup. En effet, celui-ci continue sa séquence comportementale de prédation, et répéterait alors en boucle les différentes phases de poursuite, de morsure de préhension et de mise à mort. Cette séquence peut cesser par la mise en oeuvre de contrôles internes (fin de l’excitabilité du loup due à la fatigue par exemple) ou grâce à des facteurs externes comme l’apparition du chien de troupeau, ou du berger (Landry, 2017d).

Il faut distinguer néanmoins ce « surplus killing » des pertes indirectes liées aux mouvements de panique des troupeaux domestiques lors de la prédation du loup qui peuvent mener au dérochement de nombreuses bêtes. Le loup reste certes responsable de la mort de ces bêtes mais initialement, sa prédation était dirigée contre un seul animal. Le mouvement de panique qui a résulté de son attaque a entraîné la fuite de plusieurs individus, conduisant à leur mort. Mais le loup n’est pas resté bloqué sur sa séquence de prédation et il n’a pas cherché par conséquent à tuer davantage que ses besoins.

2. « Surplus killing » des animaux sauvages
Lorsque les proies sont présentes en abondance dans un territoire et sont vulnérables, les prédateurs ont tendance à tuer leurs victimes sans les consommer ensuite entièrement. Le « surplus killing » infligé aux proies domestiques est courant du fait de l’absence de défense du bétail, mais ce comportement est rarement observé sur des proies sauvages. Dans les troupeaux de boeufs musqués par exemple, lorsqu’un loup a réussi à prédater un individu, le groupe de boeufs éclate et fuit : plus aucun mouvement autour du loup ne subsiste (Neault, 2003).
Mech et Peterson (2003) ont observé la prédation loup-cerf pendant 30 ans et n’ont constaté de « surplus killing » que deux fois au total. De même, ils ont étudié les relations loup-élan pendant 40 hivers et n’ont noté que trois événements de « surplus killing » seulement.
Le « surplus killing » est, par définition, une prédation entrainant la mort plus importante que la consommation immédiatement possible des victimes, en lien avec une situation inhabituelle (Mech et Peterson, 2003). Tous les cas de « surplus killing » des proies sauvages observés ont eu lieu lorsque l’épaisseur de neige était très importante. Comme nous l’avons vu, dans cette situation, les proies sont davantage vulnérables. Or, les loups sont « programmés » pour tuer quand cela leur est possible car l’acte de chasse est rarement aisé. Aussi, les loups prennent-ils automatiquement avantage d’une opportunité inhabituelle de chasse.
Même si les carcasses ne sont pas consommées entièrement sur l’instant, les loups semblent néanmoins retourner sur les carcasses dans les jours qui suivent. Ainsi, si les charognards ne volent pas les carcasses, il n’y aurait donc pas de perte alimentaire pour les loups dans ces cas de « surplus killing » sur faune sauvage.

3. Relation entre « surplus killing » et taille des meutes : étude en Scandinavie
La force de prédation du loup est fonction de l’organisation sociale des prédateurs. Rappelons que les loups sont organisés en groupes territoriaux familiaux constitués du couple reproducteur et de leur progéniture de l’année, auxquels se rajoutent souvent la progéniture des années précédentes voire parfois d’autres loups. En groupe, ils sont capables de tuer de grosses proies qu’ils peuvent ainsi se partager.
L’étude réalisée par Zimmermann et al. (2015) a cherché à évaluer si l’abondance des proies (élans principalement) en Scandinavie couvrait les besoins énergétiques de chaque loup en prenant en compte la taille du groupe des prédateurs.
Dans cette région, le climat est caractérisé par des hivers froids et secs avec des chutes de neige survenant entre les mois de novembre et d’avril. La population de loups est située dans les parties centrales de Suède et au sud-est de la Norvège. Au total, soixante territoires de loups se trouvent dans la région d’étude, sans qu’aucune surpopulation de loups n’ait été observée puisque ces zones sont séparées par des zones sans loups. L’élan est l’espèce sauvage de cervidés la plus présente tandis que le cerf élaphe et le daim se trouvent en plus faible densité.
Pour estimer la densité des proies, leurs fèces ont été décomptés dans 15 territoires. Les données ont été recueillies pendant sept mois de début octobre à fin avril (ce qui correspond à la période d’enneigement). Six territoires ont été échantillonnés pendant plus d’un hiver : ce qui conduit à plus de 22 périodes de temps étudiées au total.
Dans ces territoires, 89 loups adultes de plus de deux ans et 58 individus de moins d’un an ont été équipés de colliers GPS. La taille et l’âge des meutes ont été estimés par suivi d’empreintes dans la neige puis par identification génétique par la suite. Les loups ont été surveillés pendant 30 minutes ou une heure quotidiennement pendant 30 à 132 jours (Zimmermann et al., 2015).
Le taux de prédation est exprimé en nombre d’élans tués par jour par loup. La biomasse comestible de toutes les proies tuées est estimée en se basant sur la masse moyenne des différentes espèces proies et de leur classe d’âge. La biomasse acquise est la biomasse comestible totale de toutes les proies disponibles pour la meute (et non nécessairement la biomasse effectivement consommée par celle-ci). La biomasse requise quotidiennement par la meute correspond au besoin calorique journalier de la meute.
Dans 12 des 15 territoires étudiés, la densité d’élans était de 1,3 par km² et la densité de chevreuils est d’un par km². Comme nous l’avons déjà vu, la principale espèce prédatée est l’élan avec en moyenne 0,061 élan tué par loup et par jour [0,012-0,135]. La biomasse comestible acquise est en moyenne de 7,6 (+/-1) kilogrammes de proie par loup par jour [1,2-16,1] (Zimmermann et al., 2015). Les loups tuent des chevreuils dans 12 meutes sur 22 en hiver.
Dans deux meutes, les chevreuils constituent l’alimentation principale (71 % de la totalité des cervidés). Dans toutes les autres meutes, le chevreuil représente moins de 40 % des carcasses de cervidés et moins de 7 % de la biomasse comestible.

Aucun cerf ni daim n’ont été tués. Les autres petites proies étaient des lièvres, des blaireaux, des renards, des écureuils (Sciurus vulgaris) : ils représentent seulement 6 à 8 % des proies et 0,7 % de la biomasse acquise.
Le ratio de « nourriture acquise / nourriture requise » pour assurer le besoin quotidien nutritionnel de la meute est associé positivement à l’abondance des proies mais négativement à la taille de la meute. Dans six des 20 meutes, soit dans 30 % des cas, les loups adultes prédatent les élans à des taux plus faibles que ceux requis pour couvrir le besoin nutritionnel de la meute. Parmi ces six meutes, quatre font partie des plus grosses meutes et comptent sept et neuf loups respectivement. Deux meutes de taille intermédiaire ne parviennent pas à combler les besoins nutritionnels de la meute car leur taux de prédation est insuffisant du fait de la densité d’élans inférieure sur leur territoire en comparaison des autres territoires (Zimmermann et al., 2015).
L’étude montre qu’en considérant une abondance moyenne d’élans sur le territoire, deux loups tueraient au total 25,6 kilogrammes de biomasse comestible par jour et excéderaient alors leur besoin nutritionnel quotidien par un facteur 3,4. En comparaison, une famille comportant trois jeunes loups excéderait ce besoin de 2,2 fois, quand des groupes comprenant sept jeunes loups pourraient couvrir seulement 89 % de leur besoin nutritionnel journalier total (Zimmermann et al., 2015).
Ainsi, les meutes de loups ne dépassant-elles pas deux animaux tueraient au moins trois fois plus de bêtes qu’il leur est nécessaire pour survivre. Elles tuent de fait la même quantité de biomasse que les meutes comprenant sept jeunes loups.
Les petites meutes présentent donc un comportement de « surplus killing ». Cela pourrait être une stratégie de chasse ; en effet si une nouvelle source de nourriture est disponible et s’avère moins coûteuse en termes de dépense énergétique au cours de la chasse, il est alors plus favorable pour ces loups de consommer uniquement les parties les plus nutritives de la proie, ce qui mène à une consommation partielle de la carcasse (Zimmermann et al., 2015).
Une autre explication de ce « surplus killing » est la consommation de la proie par d’autres espèces qui profiteraient ainsi du travail de chasse des loups (les charognards par exemple). Les petites meutes sont davantage exposées à ce phénomène car elles ne montrent a priori aucun comportement de gardiennage de l’animal tué. En effet, surveiller leur proie peut s’avérer risqué pour les loups car cet acte peut les rendre plus détectables par les humains, principale cause de mortalité des loups scandinaves. Les loups réduisent donc le risque d’être repérés par les humains en limitant le temps passé à consommer la proie et ils n’ingèrent donc que les morceaux les plus nutritifs de la carcasse (Zimmermann et al., 2015).

En conclusion, dans cette deuxième partie, nous avons vu que la prédation des loups pouvait varier en fonction du nombre d’individus de la meute chassant, mais également en fonction de l’abondance des proies sur le territoire considéré. Il est intéressant de s’interroger sur l’impact de la prédation du loup sur les ongulés sauvages et le bétail.

Pour échapper à la prédation du loup et s’en protéger, les ongulés sauvages s’adaptent en augmentant leur vigilance. Les ongulés domestiques ne peuvent compter que sur les moyens techniques imaginés par les hommes pour échapper à la prédation du loup. Ces moyens de protection sont multiples et visent à modifier le comportement du loup sur un terme plus ou moins long. Lors d’échecs répétés dans la protection des troupeaux, des mesures plus radicales peuvent être mises en place, comme la possibilité d’exécuter des tirs létaux. La problématique de ces tirs réside dans la survie au long terme de la population de loups en France.


Troisième partie : comparaison prédation faune sauvage – faune domestique en France

Des suivis de la population de loups sont réalisés chaque année et les résultats montrent que le nombre d’individus augmente. En parallèle, il est intéressant de vérifier que les ongulés sauvages, source de nourriture principale du loup, sont présents également en quantité suffisante, pour permettre la viabilité de la population lupine. Comme évoqué précédemment, le loup complète son alimentation avec le bétail domestique. Ces animaux peuvent être consommés lorsqu’ils sont abondants et vulnérables, ou lors d’absence de gibier afin d’assurer leur apport nutritionnel. La consommation d’animaux domestiques par le loup en France pose problème, du fait de son impact traumatique sur les troupeaux et les bergers, c’est pourquoi des mesures de protection des troupeaux domestiques ont été mises en place.

I. Etat des lieux de la population de la faune sauvage en France
L’ONCFS a étudié l’évolution de la population d’ongulés sauvages pendant vingt ans. L’étude a été publiée en 2012 et fait un état des lieux de la population en 2005 (Saint-Andrieux et al., 2012).
1. Evolution de la population d’ongulés sauvages et habitats préférentiels
En 2005, la population de cerfs élaphes a été multipliée par un facteur quatre en 20 ans. En 2014, une étude de l’ONCFS montre que la surface occupée par les cerfs élaphes a augmenté depuis 2005 (183 477 km² en 2014 contre 137 000 km² en 2005) (ONCFS, 2016a). Concernant la répartition de son habitat, l’espèce est présente dans moitié des forêts françaises (55 %) en 2014. La population de cerfs reste largement présente en plaine mais elle a fortement augmenté dans les milieux montagnards entre 1985 et 2005 (effectifs multipliés par neuf), cette tendance est toujours observée en 2014 ; les cerfs sont donc présents en proportion importante au-dessus de 1500 mètres d’altitude.
Le chevreuil est présent dans tous les milieux, bien que les forêts restent son habitat privilégié. Les effectifs de chevreuils auraient également été multipliés par quatre selon une estimation approximative à partir des prélèvements cynégétiques.
La population de sangliers a été multipliée par cinq. Ce suidé occupe tous les types d’habitats en France et est principalement présent autour de l’arc méditerranéen.

Concernant les chamois (Rupicapra Rupicapra), leur aire de répartition correspond à 3,8 % du territoire national. Ils sont principalement concentrés dans les Alpes (87 %) puis dans le Jura (9 %). L’essentiel de leur territoire se situe au-dessus de 1500 mètres d’altitude. La population de chamois a également augmenté sur les 20 dernières années puisque leur effectif total a été multiplié par trois environ (Saint-Andrieux et al., 2012). En 2005, la population de chamois était estimée à 98700 individus contre 31700 en 1988. Néanmoins, en 2007 la population a fortement été touchée par un épisode de kérato-conjonctivite affectant environ 30 % des rupicaprinés dans les Alpes Maritimes. En conséquence, les prélèvements de chasse ont été réduits pour ne pas affecter la viabilité de la population. Aucun suivi de population de chamois n’a été effectué depuis cet épisode sanitaire mais depuis 2005, l’aire de répartition des chamois a augmenté (21000 km² à 24051 km²) (ONCFS, 2016b).
En 2005, l’isard (Rupicapra pyrenaica) occupe à peine 1 % du territoire français, limité au massif pyrénéen. L’aire de répartition des isards a augmenté de 8 % environ depuis 2005. Deux tiers des isards se situent à des altitudes supérieures à 1500 mètres (ONCFS, 2016c). Un tiers du territoire des isards est constitué par la forêt.
Le mouflon méditerranéen est peu répandu sur le territoire national en 2005 (0,8 %) (Saint-Andrieux et al., 2012). Depuis 2005, son aire de répartition en France a augmenté de 13% environ (ONCFS, 2016d). La moitié de la population vit en forêt. Le mouflon se trouve principalement dans les Alpes (68 %), dans le Massif central (16 %), dans les Pyrénées (15 %). Il est présent à toutes les altitudes, mais il est davantage présent au-delà de 1000 mètres d’altitude.
La restauration des populations françaises du bouquetin des Alpes a débuté en 1959 avec des lâchers d’animaux mais aussi à partir de la recolonisation d’animaux en provenance d’Italie. La grande majorité des bouquetins se situe à une altitude supérieure à 2000 mètres. En 2005, le nombre minimal de bouquetins est présent en France avec 5700 individus (Saint-Andrieux et al., 2012).
Globalement, la population d’ongulés sauvages en France connaît un bilan démographique positif pour toutes les espèces.
2. Superposition du territoire des différentes espèces ongulés
L’étude (Saint-Andrieux et al., 2012) montre que la population de cerfs a été multipliée par quatre et que les cerfs colonisent davantage les milieux montagnards. Les chevreuils et les sangliers continuent leur progression en altitude. La population des ongulés de montagne, comme les chamois et les bouquetins, a également augmenté et ces derniers colonisent la basse montagne. Différentes espèces cohabitent ainsi dans les milieux forestiers (40 % des territoires occupés).
Le chevreuil et le sanglier cohabitent sur 43 % du territoire métropolitain. Trente-cinq pourcents du territoire national est caractérisé par la cohabitation de trois espèces d’ongulés. Cette cohabitation est particulièrement marquée dans les régions montagneuses (Alpes, Jura et Vosges). Les trois espèces concernées peuvent être le cerf, le chevreuil et le sanglier (des espèces de plaine donc) ou des espèces de montagne parmi le chamois, l’isard, le bouquetin, ou le mouflon.

En dessous de 600 mètres d’altitude, (soit 84 % du territoire français), il est peu fréquent que plus de trois espèces occupent un même territoire. La cohabitation de cinq espèces a lieu presque exclusivement à une altitude supérieure à 600 mètres (13 % du territoire). L’association la plus fréquente est la suivante : chamois ou isard, mouflon, cerf, chevreuil et sanglier. Au-delà de 1500 mètres, ce qui représente l’équivalent de 3 % du territoire, il est courant d’avoir la cohabitation de six espèces d’ongulés sauvages (bouquetin, chamois, mouflon, cerf, chevreuil et sanglier) (Saint-Andrieux et al., 2012).
Globalement, la population d’ongulés sauvages en France est en pleine croissance. Les territoires majoritairement agricoles accueillent une seule espèce d’ongulés de façon générale. La cohabitation de plusieurs espèces d’ongulés sauvages est fréquente dans le milieu montagnard. La population de loups en France est principalement concentrée dans les milieux montagnards, zone où se trouve la plus grande diversité d’ongulés sauvages, principale composante du régime alimentaire du loup.

II. Impact de la prédation des loups sur la faune sauvage
La distribution géographique des loups est souvent déterminée par l’abondance des proies, les caractéristiques environnementales du milieu et le risque associé à la présence d’humains.

1. Le loup en tant que régulateur de l’écosystème
En prédatant la faune sauvage, le loup a un rôle d’agent sanitaire : il chasse préférentiellement des animaux blessés ou malades (plus faciles à attraper), et consomme les carcasses d’animaux morts, ce qui a pour finalité de freiner les épizooties (exemple de la kérato-conjonctivite des chamois en 2007 dans les Alpes du Sud). De plus, les ongulés sauvages peuvent être à l’origine de problèmes sanitaires comme aux Etats-Unis d’Amérique où les cerfs sont le réservoir de la maladie de Lyme. Les Inuits désignent d’ailleurs le loup comme « médecin du troupeau », car la prédation du loup s’applique en premier lieu aux animaux blessés, malades ou affaiblis. Il permet ainsi d’assainir les troupeaux d’ongulés (Neault, 2003).
L’augmentation de la population des ongulés sauvages a des retombées économiques positives sur le tourisme et la chasse mais engendre des dégâts dans le domaine agricole. Le loup est aussi un auxiliaire forestier puisqu’il permet de limiter la surdensité d’herbivores qui ont tendance à abîmer les forêts. Le loup étant le principal prédateur des ongulés sauvages dans l’hémisphère Nord, son rôle de prédateur est important dans le fonctionnement de l’écosystème en évitant les surpopulations (Espuno, 2004).
Un bel exemple du rôle du loup en tant que régulateur de l’écosystème existe dans le parc du Yellowstone (Ripple et Beschta, 2012). En 1995, des loups ont été réintroduits dans ce territoire où ils avaient été absents pendant 70 ans. Lors de leur absence, le nombre de wapitis (Cervus canadensis) n’a cessé d’augmenter et leur surpâturage a conduit à la disparition de la majorité de la végétation. Dès l’arrivée des loups, des effets importants sur l’environnement ont été observés.

Ripple et Beschta (2012) ont décrit la mise en place d’une cascade trophique incluant les loups, les wapitis et les plantes au sein du Parc National du Yellowstone. Ce type d’interaction entre prédateurs et proies génère des mécanismes de non consommation imputables à la perception du risque de prédation par les proies (effets indirects de la prédation).
Les différentes pousses d’arbres ainsi épargnées ont pu croître, et sont désormais suffisamment grandes pour ne plus être broutées par les wapitis.
La surpopulation de wapitis dans le Parc National du Yellowstone, a provoqué un pâturage intensif, conduisant à la réduction de la hauteur des peupliers (Populus tremuloides). Suite à la réintroduction des loups en 1995-1996, les jeunes peupliers ont pu croître dans certaines zones sans activité humaine, lesquelles sont évitées par les canidés sauvages.
Beschta et al. (2018) rappellent que la densité de wapitis dans un territoire donné doit être inférieure à quatre individus par kilomètre carré pour que l’activité de pâturage soit suffisamment réduite pour permettre la croissance des jeunes plants.

Ripple et Beschta (2007) confirment l’effet bénéfique de la réintroduction des loups après l’observation de la croissance des saules (Salix spp). Ripple et al. (2015) ont observé qu’en 2013, 80 % des aulnes (Alnus incana spp) mesuraient plus de deux mètres de hauteur, ce qui n’était pas le cas avant le retour des loups. Beschta et Ripple (2012) expliquent de même le retour des arbustes fruitiers.
Les loups ont évidemment prédaté quelques cerfs mais surtout, ils ont modifié leur comportement. En effet, ces derniers ont commencé à éviter certaines zones du parc où ils sont plus facilement repérables, notamment les vallées.
White et Garrott (2005) ont comparé la diminution réelle des effectifs de wapitis et la diminution estimée initialement lors de la réintroduction des loups (entre 5 et 30 % selon les zones). Aucun effet du retour du loup n’a été observé sur les populations de mouflons canadiens (Ovis canadensis), de bison, d’élan etc.
En plus de leur action directe de prédation, les loups ont modifié la vigilance, les mouvements, la distribution spatio-temporelle, et la taille de groupe de wapitis.
Suite au retour des loups dans le Parc National du Yellowstone, les wapitis ont diminué le temps consacré à l’alimentation de 19 % au profit du temps dédié à la vigilance (Creel et al., 2009). Ils ont également migré dans des zones plus protégées comme les bois et ont dû réorienter leur consommation vers celle de feuilles et de tiges d’arbres, avec pour conséquence une réduction de leur apport alimentaire de 27 %. Les besoins alimentaires des wapitis ne sont donc pas tous comblés, ce qui a eu pour conséquence une perte de la masse maigre et grasse en hiver. Cet amaigrissement est l’une des raisons de l’altération de la reproduction dans les zones où se situent des loups. En effet, lorsque le tissu adipeux descend en dessous de 12 %, la probabilité d’une gestation diminue et celle d’un avortement augmente.
Une corrélation entre la concentration fécale en progestérone et le ratio veau/ femelle a été mise en évidence. L’étude montre que le taux de gestation après le retour des loups a chuté de 32 %. La prédation des loups a donc eu des effets indirects sur la dynamique de population des wapitis du fait de l’énergie dépensée pour assurer leur comportement de défense. Ces réponses anti-prédateurs semblent donc avoir un coût énergétique avec comme conséquence une diminution de la fécondité et de la survie des jeunes.
Une étude plus récente effectuée par White et Garrott (2013) vient cependant nuancer ces propos. Les auteurs font état en effet d’études montrant qu’il n’a pas existé de variation de masse grasse des wapitis suite à la réintroduction des loups.
En 2004, au nord du parc du Yellowstone, la population de loups comprenait dix meutes correspondant à 106 individus. Les wapitis avaient des effectifs variant de 20000 à 25000 individus avant la réintroduction des loups, ce qui correspondait à une densité de 10 à 16 animaux par kilomètre carré. Cette densité d’individus approchait alors la capacité de charge du milieu (« carrying capacity »). Les autres ongulés étaient les mouflons, les bisons, les élans, dont la population comptait moins de 3000 individus toutes espèces confondues. Le long de la rivière Madison, à l’ouest du parc se trouvaient 45 loups répartis en quatre meutes dans une zone de 280 km². La population de wapitis y était plus faible, variant entre 500 et 800 individus. Dans cette zone, la profondeur de neige était certes plus importante, mais il existait de nombreuses sources géothermales qui généraient localement des zones plus chaudes. Ces sources avaient pour conséquence une migration des bisons dans ces zones en hiver ; la population de bisons y variait donc entre 300 et 1200 individus.
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Les scientifiques ont observé que dans le nord du Yellowstone, la densité de femelles reproductrices diminuait lorsque la densité de wapitis approchait la capacité de charge du milieu. Une diminution des naissances et de la survie des jeunes sont alors observées. La population de wapitis a donc commencé à diminuer, tandis que de façon concomitante, la population de loups s’est accrue. Leur prédation a donc eu un effet additif, conduisant au déclin rapide de la population de wapitis.
Par ailleurs, la chasse a continué pendant dix ans suite à la réintroduction des loups, et a contribué à augmenter la mortalité des femelles en âge de se reproduire, participant ainsi au déclin plus rapide de la population.
Au début de la réintroduction des loups, la prédation des wapitis au niveau de la rivière Madison n’impactait que peu le nombre d’individus puisque les loups tuaient principalement les wapitis en mauvaise condition générale qui seraient décédés rapidement. Par la suite, la prédation des wapitis s’est avérée plus importante et a réellement impacté la population, notamment lors des hivers doux où la population de wapitis aurait survécu pour la grande majorité. Les auteurs notent un faible effet de la prédation des loups les années où l’hiver est rude, car les décès par attaque de loup seraient équivalents aux décès dus aux conditions climatiques.
White et Garrott (2013) rapportent que dans le nord du parc, les loups ont tué environ 5 % des femelles wapitis et plus de 20 % le long de la rivière Madison entre 2004 et 2009.
En réponse à la présence du loup, les wapitis ont dû changer leurs habitudes. En été, lorsque l’activité des loups est principalement centrée sur le site de rendez-vous, les cervidés tentent d’éviter les loups en se réfugiant à couvert dans les forêts. En hiver, les wapitis évitent également les zones fortement enneigées et les habitats ouverts car ce sont les endroits de prédilection des loups pour la chasse. En dehors de ces modifications comportementales, l’étude montre que le temps alloué à l’alimentation est similaire depuis le retour des loups.

Cependant d’autres études notent également un taux d’avortement plus important du fait d’une diminution de la prise alimentaire. Le risque indirect de la prédation influence également fortement la démographie et la dynamique de la population des proies. Les effets indirects de la prédation affectent principalement le succès de reproduction : 24 à 43 % de diminution dans les taux de gestation des femelles sont rapportés ; pour une espèce qui ne se reproduit qu’une seule fois par an, cette diminution peut en effet être lourde de conséquences (Christianson et Creel, 2014).
Christianson et Creel (2014) ont répertorié les données de suivi de douze troupeaux de wapitis pendant 33 ans (1978-2010). Ils ont cherché à évaluer la dynamique de la population en utilisant le ratio hivernal juvéniles/ femelles. Ce ratio a diminué de 35 % dans les troupeaux de wapitis et la croissance de cette population jusqu’alors positive a commencé à diminuer. Dans certaines zones, le nombre de wapitis a diminué de plus de moitié suite à la réintroduction des loups, excédant de 5 à 30 % la chute envisagée.
Comme White et Garrott (2013) l’ont énoncé, a priori, le loup n’est pas le seul à impacter la population des wapitis. En effet, les chasseurs tuent 7,3 femelles pour un juvénile, tandis que les loups tuent une femelle pour 1,3 à 1,8 juvéniles. Avant la réintroduction du loup, les chasseurs tuaient en moyenne 4,3 femelles pour un juvénile.
Avant le retour du loup, 45 % de la mortalité juvénile était imputée à la maladie ou au manque de nourriture. Depuis le retour du loup, ces causes ne concernent que 5 % de la mortalité juvénile. Les loups prélèvent certes un grand nombre de juvéniles chaque année mais il semblerait que leur impact direct soit marginal par rapport aux autres facteurs.
Les ours se nourrissent également sur les carcasses des animaux tués par les loups, mais l’augmentation de leur population est principalement liée à l’abondance des baies sur les arbustes suite à la recolonisation du milieu par la végétation. Depuis le retour du loup, la population de grizzlys (Ursus arctos horribilis) a augmenté et contrairement aux loups, ils tuent les jeunes cervidés dans leur premier mois de vie. Sept juvéniles en moyenne sont ainsi tués par ours avant la réalisation du comptage au milieu de l’hiver (Christianson et Creel, 2014). La mortalité des jeunes wapitis de moins de six mois n’est pas liée à la prédation du loup car 30 jeunes wapitis ont été équipés de colliers radio à la naissance et aucune prédation par le loup n’a été détectée (Creel et al., 2011). Le loup n’est donc pas le seul prédateur des jeunes ongulés sauvages
En chassant les coyotes (Canis latrans), les loups ont permis à la population de petits mammifères de croître, favorisant à leur tour le développement des prédateurs des lapins et des rongeurs (faucons pélerins (Falco peregrinus), belettes, (Mustela frenata), renards).
Les pygargues à tête blanche (Haliaeetus leucocephalus), l’aigle royal (Aquila chrysaetos), la pie d’Amérique (Pica hudsonia) et les corvidés ont fait leur réapparition profitant des carcasses abandonnées par les loups. Walker et al. (2018) ont étudié comment la réintroduction des loups dans le Parc National du Yellowstone avait affecté la population des grands corbeaux (Corvus corax) (qui sont charognards) ainsi que leur distribution géographique. Lors d’hivers sévères caractérisés par des chutes de neige importantes, les corbeaux retournent dans les zones habitées par les humains car la disponibilité des proies tuées par les loups chute. Entre 2009 et 2017, au mois de mars se trouvaient en moyenne six meutes et 44 loups. La majorité des carcasses trouvées étaient des wapitis (94 %) et des bisons. En moyenne, au mois de mars, les loups obtenaient quotidiennement plus de deux carcasses soit l’équivalent de 327 kg de biomasse.

Deux cent vingt-six corbeaux se trouvaient au Nord du parc dont la moitié vivaient dans les zones avec les loups soit à proximité des carcasses de proies tuées par ces prédateurs. L’autre moitié exploitaient les carcasses de bisons tués par les hommes.
La population de loups aide à maintenir la population de charognards en la rendant moins dépendante des humains. L’abondance des prédateurs, la disponibilité des ressources alimentaires et l’abondance des charognards ont des implications importantes dans le fonctionnement de l’écosystème (Walker et al., 2018).
Aussi, les différentes études réalisées à des périodes différentes ne semblent pas concorder sur le rôle qu’ont joué les loups dans le Parc National du Yellowstone. Le loup semble avoir diminué de façon importante la population de wapitis par ses effets directs et indirects, mais son action de prédation est combinée à celle des ours et des chasseurs. Aussi, le loup joue-t-il certes un rôle de régulation de la population de wapitis mais l’impact réel de son action semble difficile à évaluer du fait de la diversité des facteurs mis en jeu.
Le retour du loup semble cependant avoir permis un retour à la végétation.

2. Les facteurs de régulation de la population des proies… et des prédateurs
Dans son étude, Espuno (2004) note une tendance générale à l’accroissement des populations d’ongulés sauvages en Europe dans les années 1970 du fait de la désertification des campagnes, de l’augmentation des surfaces forestières, du recul du braconnage, de la diminution du nombre de chasseurs, du développement des aires protégées, de la disparition des grands prédateurs et d‘une meilleure gestion cynégétique.
En dehors de la prédation du loup, d’autres facteurs de régulation de la population des proies peuvent rentrer en jeu. Les caractéristiques naturelles d’un milieu peuvent être limitantes pour l’espèce proie. En effet, on nomme « carrying capacity » ou capacité de charge, la taille maximale de la population d’une espèce donnée qu’un milieu peut supporter (Landry, 2017d ; Kuijper et al., 2019). Par exemple, dans la forêt de Białowieża en Pologne, lorsque cette capacité a été atteinte pour les bisons d’Europe (Bison bonasus) et les élans, les deux populations ont vu leur nombre diminuer indépendamment de la présence du loup. Le loup n’a joué qu’un rôle infime sur la densité des élans voire nul sur celle des bisons.
White et Garrott (2013) appuient cette idée : plus le nombre d’animaux vivant dans une zone aux ressources limitées pour subvenir à leurs besoins est important, plus leur mortalité augmente. Aussi, les animaux présents en faible densité dans un territoire donné et consommant moins de nourriture que le milieu peut leur fournir sont-ils généralement en meilleure condition physique et ont des taux de survie et de reproduction élevés.
Dans cette même forêt de Białowieża, lorsque la population de prédateurs a fortement diminué sous la pression anthropique, la population de cerfs et de chevreuils a explosé. Lors de la première Guerre Mondiale, le braconnage était fréquent et a fortement impacté la population de cervidés, alors qu’en parallèle, la population de prédateurs comme le lynx boréal (Lynx lynx) ou le loup a augmenté. Ces derniers ont contribué à la diminution de la population des ongulés. Cependant, les loups n’étaient responsables de la mortalité des chevreuils qu’à hauteur de 26,4 % des cas, alors que la maladie et la faim en expliquaient 36,3 % (Landry, 2017d). Le lynx joue également un rôle important dans la mortalité de la population de chevreuils (32,1 %).
Il faut souligner néanmoins que les loups sont la principale cause de mortalité des cerfs dans la forêt de Białowieża (65,2 %) (Landry, 2017d). Le loup a peu d’influence sur la population de sangliers, sauf lorsqu’il s’agit de la seule espèce d’ongulés présente.
Dans certaines régions d’Europe, la prédation de l’élan par le loup peut s’avérer assez importante car elle représente parfois 40 % de la mortalité totale de cette espèce. La prédation est surtout dirigée vers les jeunes animaux.
En 1958, des loups ont été introduits sur l’Isle Royale au Canada en vue de contrôler la population d’élans qui augmentait de façon considérable depuis leur retour naturel 50 ans auparavant. Le scientifique et écologiste de la faune sauvage, Durward Allen a repéré une rare opportunité d’étudier les interactions dans un nouveau système de relation prédateur proies fraîchement établi. Cette île était un écosystème avec un système de prédation « simple » : un seul prédateur et une seule proie. Au début des années 1980, la population de loups a subi un épisode de parvovirose et a drastiquement diminué. En parallèle, la population d’élans a fortement augmenté jusqu’à un sévère déclin dû à un hiver particulièrement rigoureux, à la maladie de Lyme et à une pénurie alimentaire. Finalement, de tous les facteurs qui affectent à court terme la population d’élans, les loups semblent être le facteur le moins important.
De plus, une étude (Räikkönen et al., 2009) a montré que la population de loups sur l’Isle Royale est fortement consanguine. Cinquante-huit pourcents des loups ont des malformations congénitales de la région lombo-sacrée (figure 29) et 33 % ont une malformation spécifique, à savoir une vertèbre de transition lombo-sacrée. En comparaison, seulement 1 % des loups d’origines autres présentent ces malformations, ce qui indique que la prévalence demeure faible normalement. Ces anomalies ont des conséquences graves : elles entraînent une paralysie, des déficits proprioceptifs, des pertes du tonus musculaire des membres postérieurs, de la douleur et une possible incontinence. Ces malformations risquent à terme d’affecter la viabilité de la population de loups.
Figure 29 : malformation congénitale en région lombo-sacrée chez un loup de l'Isle Royale (Räikkönen et al., 2009)
Les loups ne sont pas les seuls régulateurs de la population des ongulés sauvages, d’autres facteurs doivent également être pris en compte. Les conditions climatiques jouent un rôle important dans la mortalité des ongulés. Les ressources alimentaires disponibles conditionnent également la survie des espèces. Par exemple, les sangliers recherchent leur nourriture au sol principalement, donc en cas d’enneigement important, ils auront moins accès à leurs ressources alimentaires et présenteront donc une mortalité accrue (Landry, 2017d).

3. Mise en place du programme prédateurs-proies pour estimer les impacts directs et indirects de la prédation du loup sur les ongulés sauvages
Le programme prédateur proies (PPP) a été mis en place à partir de 2005 dans la vallée de la Haute Tinée pendant neuf ans afin de comprendre l’impact de la présence d’une meute de loups sur la dynamique des populations de ses proies.
Entre 2005 et 2011, quatre loups d’une même meute ont été équipés de GPS avec des capteurs de température et d’activité. La position du loup équipé était suivie soit toutes les 30 minutes la nuit et une fois dans la journée, soit toutes les six heures. Si le loup restait plus d’une heure au même endroit, alors ce lieu était visité le lendemain pour repérer les actes de prédation. Ces travaux de recherche ont permis aux chercheurs de déterminer le domaine vital de la meute et de retrouver certaines proies prélevées par le loup.
En parallèle, des ongulés sauvages (219 chamois, 45 chevreuils, 26 mouflons et 15 cerfs) ont été équipés de colliers VHF avec un capteur de mortalité (qui déclenche un signal d’alarme de l’émetteur VHF en cas d’une immobilité supérieure à un nombre d’heures préprogrammé), ceci dans le but d’évaluer les taux de mortalité d’ongulés sauvages dans un territoire avec des loups par la méthode de « capture, marquage et recapture » (CMR) (Anceau et al., 2015).

L’objectif global du projet (Anceau et al., 2015) était de mesurer l’impact du loup sur la dynamique des populations de quatre espèces proies (chamois, cerf, chevreuil, mouflon) en comparant deux sites : un site où le loup était installé en meute depuis 15 ans (le Mercantour) et un site témoin sans meute (massif des Bauges).

- Impact du loup sur la mortalité du chevreuil :

Quarante-deux individus ont été capturés dans le Parc National du Mercantour (PNM) et 46 dans le massif des Bauges. Seuls les animaux adultes ont été pris en compte (animaux de plus de deux ans), sans différence de sexe. Pour rappel, dans le PNM, le taux de survie annuel du chevreuil varie en fonction de la rigueur hivernale, déterminée par l’épaisseur de neige cumulée en avril. Dans le massif des Bauges, les chevreuils ont un taux de survie constant, indépendamment des conditions hivernales.

Les résultats de l’étude (Anceau et al., 2015) montraient que les chevreuils avaient un taux de survie similaire dans le Mercantour (où se situe le loup) et dans les Bauges (zone sans loup) les années où l’hiver était clément, mais souffraient d’une plus forte mortalité dans le Mercantour quand l’hiver était rude, en lien avec leur vulnérabilité accrue à l’enneigement. Les loups jouent donc un rôle sur la prédation du chevreuil en cas de neige dans le PNM. Lorsque l’hiver était clément, le loup ne semblait pas affecter négativement la population de chevreuils (figure 30), mais en cas d’enneigement important, la prédation des loups sur les chevreuils s’avérait être un facteur négatif pour la survie des cervidés.

Figure 30 : taux de survie du chevreuil en fonction de la présence du loup (Anceau et al., 2015)

- Impact du loup sur la mortalité du chamois :

Cent trente femelles et 88 mâles ont été capturés dans le Massif du Mercantour entre 2005 et 2013, et 238 femelles et 84 mâles entre 1991 et 2012 dans le massif des Bauges. La composition de cet échantillon ne permettait pas d’estimer l’impact du loup sur la classe d’âge des animaux sénescents (>12 ans), aussi les résultats ont-ils porté sur les animaux juvéniles (1-2 ans), les jeunes adultes (2-8 ans) et les vieux adultes (8-12 ans).

Aucune différence de survie entre les deux zones n’a été notée, à l’exception d’une mortalité accrue dans le PNM dans les années 2007-2008-2009 lors d’une épizootie de kérato-conjonctivite combinée à des conditions hivernales rudes en 2007. L’étude (Anceau et al., 2015) a montré qu’en dehors de cet épisode, le taux de survie des chamois était similaire entre le Parc National du Mercantour et le Massif des Bauges pour les animaux de moins de 12 ans. Le loup n’a donc a priori aucun impact sur la mortalité des chamois (figure 31).

Figure 31 : taux de survie du chamois en fonction du loup (Anceau et al., 2015)

En conclusion, cette étude montre que l’impact direct des loups sur la mortalité des populations de chevreuils et de chamois dans le Parc National du Mercantour et dans le Massif des Bauges est nul, en dehors des périodes de fort enneigement où les proies sont très vulnérables. La population d’ongulés sauvages est soumise à différents facteurs qui influencent son taux de survie, en dehors de la prédation du loup, comme des conditions hivernales rudes ou encore des épizooties.

4. Impact de la prédation du loup sur le régime alimentaire des proies

Comme vu précédemment, le retour des loups dans le Parc National du Yellowstone a eu pour conséquence une réduction du budget temps consacré à l’alimentation chez les wapitis, un changement alimentaire du fait de leur migration dans des zones boisées moins repérables par les prédateurs. Ce changement soudain a eu pour conséquence une réduction d’un quart de leur apport alimentaire. Par conséquent, les wapitis ont subi une perte de masse maigre et de masse grasse en hiver conduisant à une altération de leur reproduction importante.Dans le parc du Yellowstone, les loups ont réussi à réguler la répartition des cervidés en exerçant une pression de prédation sur ceux-ci. Les cerfs ont en effet déserté les zones où ils étaient facilement repérables au profit de zones forestières les cachant. Les loups ont néanmoins continué leur prédation sur ces animaux, ce qui a demandé une augmentation de vigilance des cervidés notamment pour ne pas se faire attraper. Cette technique est une des adaptations du comportement des proies sauvages à la présence du loup.

III. Adaptation du comportement des proies sauvages face à la prédation

Pour tenter d’échapper à la prédation des loups, les proies ont mis en place au cours du temps des stratégies « anti-prédateurs ». Celles-ci peuvent être le fruit de l’évolution des espèces (comme les caractéristiques anatomiques) ou consister en une adaptation de leur comportement.

Creel et al. (2009) ont montré qu’en présence des loups, les wapitis modifient leur comportement, leur vigilance, et leur regroupement. Ces réponses comportementales sont associées à des taux décroissants de progestérone, à une diminution des naissances et à une réduction de la taille des groupes. Dans cette étude, les chercheurs ont cherché à évaluer si la concentration des corticoïdes fécaux chez les wapitis variait en fonction de la pression de prédation du loup.

Il faut rappeler en effet qu’en cas de stress intense, la production de cortisol est augmentée. La concentration de glucocorticoïdes a donc été mesurée dans 1205 échantillons de fèces. Les scientifiques ont cherché à démontrer que le stress chronique dû à la prédation du loup avait un effet sur la reproduction du cervidé. Ils ont prouvé que l’effet des loups sur la reproduction des wapitis était d’abord lié aux changements de comportement alimentaire plutôt qu’à la variation de la concentration en glucocorticoïdes.

1. Caractéristiques physiologiques permettant aux proies d’échapper à la prédation

La plupart des ongulés sauvages sont de grande taille, ce qui les avantage pour fuir et leur permet de faire front plus facilement face aux loups. Le caribou et le chevreuil réussissent à fuir rapidement grâce à leurs longues pattes et leur endurance. Certaines espèces d’ongulés entreprennent quotidiennement de grands déplacements : les caribous dans la toundra peuvent parcourir 20 à 65 km par jour par exemple. Les loups doivent donc rechercher leurs proies dans un large territoire (Landry, 2017d).

Une fois leurs proies débusquées, les loups doivent encore parcourir des kilomètres car les animaux pourchassés prennent la fuite. Les loups doivent être capables d’endurance et de vitesse de course élevées s’ils veulent attraper leur proie. En effet, les cerfs sont très endurants puisque les poursuites peuvent s’étaler sur 20 km. Par ailleurs, les proies peuvent atteindre des pointes de vitesse très importantes pour échapper au loup, qui peut lui-même atteindre 50 km/h. Mech et Peterson (2003) ont observé que le lièvre arctique (Lepus arcticus) peut filer à 60 km/h, le cerf de Virginie peut fuir à une vitesse de 56 km/h, et il est même capable de sauter des obstacles de 2,4 mètres de hauteur.

Les ongulés sauvages se servent également de leurs cornes et de leurs sabots pour infliger des blessures aux loups lorsque ces derniers tentent de les attaquer à la face notamment (figure 32). Les loups cherchent à éviter ces coups violents qui peuvent les blesser sérieusement et causer de graves hémorragies.

Figure 32 : les proies se servent de leurs sabots pour tenter de blesser le loup (Peterson et Ciucci, 2003)

2. Stratégies de défense des proies

En dehors de leurs caractéristiques anatomiques utilisées pour fuir ou se défendre, les proies ont développé des stratégies de fuite pour échapper au mieux à la prédation du loup.

Le milieu naturel peut être une bonne échappatoire au loup à condition de le connaître. En effet, certaines proies lorsqu’elles sont pourchassées par le loup, fuient en direction des cours d’eau dès qu’elles en ont l’opportunité. C’est le cas notamment des ongulés sauvages dont les longues pattes leur offrent la possibilité de fuir dans l’eau tout en continuant de marcher ou de courir tandis que le loup est obligé de nager (figure 33).


Figure 33 : l'eau constitue un bon moyen de défense pour les proies (Peterson et Ciucci, 2003)

Cette défense n’est cependant pas infaillible, puisqu’un cas de cerf s’échappant dans l’eau et néanmoins attrapé puis tué par un loup en train de nager a déjà été observé (Mech et Peterson, 2003). Les plus petites proies vivant à proximité de l’eau, comme les castors, construisent quant à elles des barrages à des profondeurs suffisantes pour se protéger du loup.

Enfin, les chamois et mouflons vivent dans des zones escarpées de montagne où la présence de falaises leur permet d’échapper aux prédateurs (Landry, 2017d).

Pour protéger les animaux du groupe les plus vulnérables, les proies adoptent différentes tactiques. Les caribous synchronisent leurs naissances pour mettre tous bas sur une période très courte, car comme nous l’avons vu précédemment, les jeunes animaux sont très vulnérables à la prédation. Ainsi, en cas d’attaques du loup, le très grand nombre de faons présents concomitamment, réduit l’impact de cette prédation sur la nouvelle génération de caribous (Landry, 2017d).

La formation de grands groupes ou hardes permet de protéger chaque individu et notamment la progéniture en la plaçant au centre en cas d’attaque. On nomme ce procédé le « flocking » : on peut citer l’exemple des boeufs musqués qui forment un cercle en faisant face au prédateur et placent les veaux au centre du cercle (Landry, 2017d). La formation de groupes de grande taille permet aussi d’être une cause de confusion pour les loups au moment de l’attaque.

Mais ces grands groupes n’ont pas que des avantages car ils rendent les proies beaucoup plus visibles et donc plus détectables que si elles étaient dispersées (Månsson et al., 2017). En Scandinavie, les élans restent solitaires ou ne forment que des petits groupes (82 % des observations rapportent moins de trois adultes par groupe) que le loup soit présent ou non. Le regroupement des élans semblerait plutôt lié à l’épaisseur de neige. En effet, la disponibilité en nourriture diminue avec l’augmentation de la couche neigeuse, aussi les élans tendent-ils à se regrouper dans des zones où se trouve de la nourriture.

Creel et Winnie (2005) appuient ce constat. Dans un territoire fréquenté par des prédateurs, la population d’élans se divise en petits groupes pour diminuer la probabilité d’être détectée par les loups car les proies peuvent alors se cacher dans les sous-bois, tandis que la structure en grand groupe oblige à rester sur des terrains ouverts, plus facilement repérables et accessibles pour le loup. Par contre, si l’habitat n’est pas propice à la dissimulation, alors les élans privilégient la formation en groupe de grande taille, permettant une défense plus facile face aux loups en milieu ouvert.

En plus de ces stratégies de défense, les proies s’habituent également à la présence du prédateur en allouant plus de temps à la surveillance, afin d’éviter de se faire attaquer.

3. Augmentation de la vigilance des proies face aux prédateurs et impacts sur les différentes populations de proies

Les prédateurs ont des effets directs sur les proies par l’acte de prédation lui-même mais leur présence a également des conséquences indirectes sur les proies puisque celles-ci doivent maintenir un niveau basal de surveillance même en l’absence d’attaques.

Pour éviter de se faire prédater, les proies peuvent modifier la taille de leur groupe, tenter de se réfugier dans des zones escarpées, réduire leur temps d’activité pour éviter de se faire repérer, ou augmenter leur niveau de vigilance face aux prédateurs (Laundré et al., 2001).

Le comportement « anti-prédateur » est coûteux en énergie : en effet les zones refuges sont souvent pauvres en denrées alimentaires et le temps consacré à la surveillance des prédateurs se fait au détriment de la prise alimentaire. Les populations d’animaux sauvages soumises à une forte pression de chasse subissent généralement un ralentissement de leur croissance, une diminution du succès de leur reproduction et une augmentation du risque de mortalité due à une condition physique altérée. Aussi la prédation sur les grands herbivores a-t-elle des effets indirects importants sur la dynamique de leur population.

Le niveau de vigilance porté aux prédateurs dépend de plusieurs facteurs, notamment des caractéristiques individuelles des proies et de l’intensité de la prédation subie. Par exemple, les femelles suitées dont la portée est très vulnérable à la prédation montrent un niveau de vigilance très élevé (Laundré et al., 2001). Les individus d’une même espèce proie peuvent manifester des niveaux de vigilance différents selon leur présence dans une zone à fort ou faible risque de prédation. Lorsque la pression de prédation n’est pas constante dans le temps, les proies sont capables d’être davantage vigilantes lors des périodes où la pression de prédation est la plus élevée.

A contrario, certaines espèces proies ou individus prédatés ne peuvent augmenter leur niveau de vigilance même en cas de forte prédation (Laundré et al., 2001). En effet, ils ne sont pas en mesure de supporter le coût énergétique supplémentaire pour surveiller les prédateurs et la diminution du temps consacré à s’alimenter.

Différentes études ont cherché à évaluer les niveaux de vigilance des proies dans des zones où la pression de prédation est variable (très forte à faible) en France et dans le parc du Yellowstone (Etats-Unis d’Amérique).


4. Etude sur la vigilance des ongulés sauvages en France

Une étude (Anceau et al., 2015) a cherché à mettre en évidence l’impact des prédateurs sur la vigilance des ongulés de montagne (chamois et mouflon). L’étude a été réalisée dans le coeur du Parc National du Mercantour (PNM), zone où le loup est responsable d’une prédation importante mais où la pression de chasse est limitée. L’étude s’intéresse également au massif des Bauges dans lequel la pression lupine est faible voire inexistante (un seul loup détecté au cours des hivers 2005 à 2007) mais où la pression cynégétique est par contre élevée.

Dans le massif des Bauges, la pression de chasse est constante sur toute la durée de l’étude. Les chamois mâles ont été davantage recherchés par les chasseurs historiquement et ont donc été exposés à un risque de mortalité plus élevé que le reste de la population de chamois.

La population de mouflons dans le Parc National du Mercantour est faible du fait d’une forte prédation réalisée par le loup lors de l’introduction du mouflon dans les Alpes liée à sa difficulté à se mouvoir dans la neige.

L’étude a cherché à estimer comment les animaux ajustent leur niveau de vigilance lors de la chasse lupine ou humaine.

• Différence du niveau de vigilance dans les zones avec/ et sans chasse et les zones colonisées ou non par les loups

Entre 1995 et 1997, le PNM a été recolonisé par les loups (ce qui correspond à la période 1). L’étude (Anceau et al., 2015) a comparé deux sites du PNM : la vallée de la Haute Tinée où la pression de prédation pendant la période 1 était faible avec une incursion d’un ou deux loups seulement, et la vallée de la Vésubie où la pression de prédation était forte avec l’installation d’une meute de sept à huit loups en période 1.

La période 2005-2007 correspond à la période 2. Les loups étaient désormais installés en Haute Tinée et y exerçaient une pression de prédation forte.

Dans le massif des Bauges, le comportement de 250 chamois et 41 mouflons au printemps et 161 chamois en période de chasse (automne) a été analysé. Dans le Parc National du Mercantour, en période 1, dans la vallée de la Haute Tinée, 348 chamois et 668 mouflons ont été observés (risque de prédation faible) contre 120 chamois et 272 mouflons dans la vallée de la Vésubie (risque de prédation forte). 440 chamois et 71 mouflons en période 2, soit en risque de prédation forte, ont pu être observés. Ces observations ont été faites pendant dix minutes sur un individu actif (c’est-à-dire non couché).

Les résultats ont montré que dans la vallée de la Haute Tinée, les chamois et les mouflons étaient davantage vigilants lors de la période 2005-2007 où une meute de loups était installée depuis plus de sept ans. Dans la vallée de la Vésubie en 1995-1997, la pression de prédation était certes forte mais récente. Les chamois et les mouflons présentaient néanmoins un degré de vigilance supérieur à celui des animaux vivant avec un risque de prédation faible. Néanmoins, le niveau de vigilance restait inférieur à celui des animaux confrontés à la présence durable d’une meute comme c’était le cas dans la vallée de la Haute Tinée (Anceau et al., 2015).

Ainsi, les ongulés semblaient-ils consacrer plus de temps alloué à la vigilance en proportion du risque de prédation auxquels ils avaient à faire face. L’étude montre également que les individus naïfs (c’est-à-dire n’ayant jamais été exposés au prédateur), étaient capables d’ajuster rapidement leur comportement face à une nouvelle menace.

Les mouflons, davantage ciblés par la prédation lupine lors de la recolonisation montraient cependant un niveau de vigilance inférieur à celui des chamois.

Dans le massif des Bauges où la pression lupine était faible voire inexistante, les chamois mâles présentaient un niveau de vigilance élevé, supérieur à celui des femelles, car ils avaient été chassés préférentiellement dans le passé. Les femelles étaient davantage vigilantes les jours de chasse, contrairement aux mâles qui manifestaient un niveau de vigilance constant et élevé.

Les chamois et les mouflons présentaient un niveau de vigilance moindre dans le Mercantour, malgré la pression de prédation lupine, par rapport au Massif des Bauges où la pression de prédation du loup était faible voire inexistante. Dans cette région, la pression de chasse était importante, même si elle intervenait dans un laps de temps limité dans l’année. Le comportement de vigilance des proies ne semblait donc pas uniquement déterminé par la pression de prédation lupine.

• Conclusions de l’étude

Lorsque la pression de prédation varie au cours de l’année, les proies consacrent plus de temps à la vigilance en cas de prédation forte et se consacrent à leurs ressources alimentaires lorsque la pression de prédation devient plus faible (théorie de l’allocation des ressources) (Anceau et al., 2015). Le loup est un animal plutôt nocturne, ainsi dans le Massif du Mercantour, les proies doivent-elles être davantage vigilantes pendant la scotopériode, à l’inverse de la situation dans le Massif des Bauges où les proies sont chassées en journée (Anceau et al., 2015). Les observations de l’étude ont été réalisées de jour, ce qui génère un biais important. Aussi la vigilance moindre observée dans le PNM peut-elle simplement être due au fait que les proies réduisent leur niveau de vigilance en journée lorsque les loups se reposent. L’étude n’établit pas de lien entre taille du groupe et modification éventuelle de la vigilance individuelle.

Les contraintes physiologiques individuelles des proies doivent également être prises en compte dans le maintien d’un niveau élevé de vigilance : les individus n’ont pas la même aptitude à maintenir un niveau de vigilance élevé au détriment du temps passé à s’alimenter.

Les animaux en mauvaise condition physique ne peuvent pas supporter le coût énergétique alloué à la vigilance et sont alors plus vulnérables à la prédation. Une étude citée par Anceau et al. (2015) a montré que les cerfs mâles, bien que prédatés préférentiellement par les loups, consacraient peu de temps à la vigilance, par rapport aux femelles. Dans l’étude, les mâles étaient en effet en très mauvaise condition physique et ne pouvaient donc pas supporter le coût énergétique d’une surveillance accrue.

Le moindre niveau de vigilance des mouflons dans le PNM peut aussi être expliqué de cette façon : le mouflon a un poids plus important que le chamois et des besoins énergétiques supérieurs, ce qui augmente son temps d’alimentation. De plus, nous avons vu que le mouflon est rare dans le PNM du fait de la forte prédation subie depuis sa réintroduction ; cette espèce s’avère peu profitable pour le loup car peu abondante et donc peu prédatée au final. Les observations sont par contre différentes dans les Bauges où les mouflons sont plus vigilants que dans le PNM (sûrement du fait de la pression de chasse élevée) et sont plus attentifs que les chamois.

L’étude montre un niveau de vigilance étonnamment élevé des chamois et des mouflons en dehors de la période de chasse dans le Massif des Bauges. Ce site est largement fréquenté par les touristes tout au long de l’année. Le dérangement lié aux humains peut être perçu comme un risque élevé par les animaux, qui adoptent alors un comportement de vigilance accru. Le tourisme se concentre uniquement en été dans le PNM, ce qui n’engendre pas a priori de comportement de vigilance (Anceau et al., 2015). Des études futures sur l’impact des perturbations humaines seraient nécessaires pour approfondir les réponses comportementales de proies.

5. Etude de la vigilance dans le Parc National du Yellowstone

Dans le Parc National du Yellowstone, le wapiti et le bison ont vécu pendant des décennies dans un environnement où le loup n’était pas présent. Les principaux prédateurs étaient alors le grizzly capturant essentiellement les jeunes au printemps, les coyotes menaçant les très jeunes cerfs également et les pumas (Puma concolor) dans les zones montagneuses. Entre 1994 et 1995, 20 loups ont été réintroduits dans le Parc National du Yellowstone. Des observations directes (Laundré et al., 2001) ont été réalisées pendant 30 minutes pour les cerfs et 20 minutes pour les bisons. Les scientifiques ont noté le moment où l’animal relevait sa tête et distingué si l’animal présentait alors un comportement de vigilance, s’il cherchait un autre endroit pour se nourrir ou s’il surveillait sa progéniture. Les observations sur les wapitis ont été faites entre 1996 et 2000 et celles sur les bisons entre 1998 et 2000. L’échantillonnage a été réalisé à la même période de l’année (de fin mai à début juin) afin d’éviter les effets saisonniers. Cette période correspondait également au moment où les cerfs et les bisons sont concentrés dans la zone d’étude. Les données collectées ont été limitées aux animaux adultes, comprenant 20 mâles, 20 femelles avec des petits, 20 femelles sans petits, dans toutes les zones du territoire, avec ou sans loups (Laundré et al., 2001).

• Niveau de vigilance des wapitis

Dans l’échantillon des dix wapitis mâles, le pourcentage du budget temps consacré à la vigilance était d’environ 12,8 % (+/- 1,3 %). Il ne différait pas selon que le loup est présent ou non et était constant sur les années considérées. A partir de la troisième année, les loups ont été présents dans presque tout le territoire étudié.

Les femelles non suitées dans les zones exemptes de la présence du loup maintenaient un niveau de vigilance similaire à celui des mâles les quatre premières années (11,5-16,7 %), malgré le retour du loup. Elles ont augmenté par contre significativement leur niveau de vigilance la cinquième année (30,5 % +/-2,8 %) (figure 34).

Les femelles suitées ont présenté un niveau de vigilance constant en l’absence de loups les deux premières années (20,1 % +/-3,5 et 19,1 % +/-3 respectivement). La vigilance des femelles avec des petits s’est accrue rapidement pour atteindre un taux élevé la troisième année d’étude (33,6 % +/-3.4) puis son maximum la cinquième année (43 % +/-5,9) (figure 34), en lien probable avec la protection de leur progéniture contre les loups désormais présents sur leur territoire. Les femelles suitées adaptaient plus rapidement leur niveau de vigilance lors du retour des loups en comparaison aux femelles seules.

Figure 34 : vigilance des wapitis dans les zones exemptes de la présence du loup et lors de l’arrivée de loups (Laundré et al., 2001)

En comparaison, les femelles non suitées dans les zones où les loups étaient présents dès la première année d’étude, avaient un niveau de vigilance plus élevé (18,5 % +/- 2,9), lequel a augmenté jusqu’à 35,2 % (+/- 3,6) la deuxième année pour se stabiliser ensuite (figure 35) (Laundré et al., 2001).

Les femelles suitées dans les zones où le loup était présent les cinq années d’étude présentaient des niveaux de vigilance plus élevés l’année suivant la réintroduction (26,4 % +/- 3,8) (figure 35). Les niveaux de vigilance augmentaient la deuxième année, mais se stabilisaient par la suite, montrant une habituation des femelles à la cohabitation avec les loups. Les femelles apprenaient à surveiller les loups le temps nécessaire pour éviter leur prédation et celle de leur portée.

Figure 35 : vigilance des wapitis dans une zone avec des loups (Laundré et al., 2001)

• Niveau de vigilance des bisons

Les données concernant le bison montrent des résultats similaires aux constats faits sur les cerfs bien que le niveau de vigilance soit moindre : les mâles présentaient un niveau de vigilance similaire entre les différentes années et dans les différentes zones (zone sans loups 5 % (+/- 0,8) ; zone avec loups 8 % (+/- 0,9)).

Les femelles n’ayant pas de progéniture dans la zone sans loup avaient un niveau de vigilance moindre (9,6 % (+/-2)) par rapport aux cerfs (figure 36), tandis que dans la zone avec loups, elles exprimaient un niveau de vigilance élevé la première année (15,6 % (+/- 2,6)) qui diminuait les deux années suivantes (5,7 % (+/- 6,8)) (figure 37). Les femelles suitées dans les zones sans loups manifestaient des niveaux de vigilance comparables à celui des femelles seules (9,1 % +/- 1,4). Les femelles suitées dans les zones avec présence de loups avaient les niveaux de vigilance les plus élevés au sein de la population de bisons (18,9 % +/- 2,5) (Laundré et al., 2001).

Figure 36 : vigilance des bisons dans une zone en absence de loups (Laundré et al., 2001)

Figure 37 : vigilance des bisons en présence de loups et évolution selon les années (Laundré et al., 2001)

• Conclusions de l’étude

Pour les wapitis comme pour les bisons, l’augmentation du niveau de vigilance s’accompagne d’une diminution du temps passé à la prospection de la nourriture. L’absence de réponse à la prédation des mâles peut s’expliquer par le fait que le succès de reproduction chez les mâles dépend de leur masse corporelle. En conséquence, les mâles vont consacrer plus de temps à s’alimenter au détriment du temps de surveillance des prédateurs. Une autre explication possible est que les mâles font face à un risque de prédation plus faible du fait de leur plus grande taille.

Entre la première année et la deuxième année suivant la réintroduction des loups, les femelles suitées ont augmenté leur taux de vigilance de 20,1 % à 47,5 %, ce qui signifie que ce groupe consacrait presque la moitié de son budget-temps à assurer sa sécurité et celle de sa progéniture. Ce niveau de vigilance s’explique car cette sous-population est la plus ciblée par les prédateurs (Laundré et al., 2001).

Les données (Laundré et al., 2001) montrent qu’il faut au moins deux années avant que le niveau de vigilance se stabilise. A partir de la quatrième année d’étude, les femelles wapitis sans petits et les bisons ont réduit significativement leur niveau de vigilance.

Il est possible en effet qu’après deux années d’expérience de présence des loups, les groupes apprennent à ajuster leur niveau de surveillance à la probabilité de rencontre avec les loups en fonction de leur propre vulnérabilité. La majorité de la prédation des loups est réalisée sur la progéniture des wapitis et des bisons, c’est pourquoi les femelles suitées des deux groupes manifestent le niveau de vigilance le plus important.

6. Absence de changement de comportement chez les élans en Scandinavie

En Scandinavie, les populations de loups et d’ours bruns ont été persécutées par les hommes au cours des XIXème et XXème siècles. Le loup a été exterminé et a donc été absent de ce vaste territoire pendant un siècle avant son retour dans les années 1980. En présence de prédateur, les proies sacrifient une partie de leur temps passé à se nourrir en augmentant le temps alloué à la vigilance. L’extermination des grands prédateurs par l’Homme a conduit à une perte de ce comportement anti-prédation (Sand et al., 2006). Cependant, des études précédentes montrent qu’une fois les loups présents à nouveau sur le territoire, les proies retrouvent rapidement leur comportement de vigilance. Ceci explique pourquoi le succès de prédation des loups, d’abord important dans les premiers temps de la recolonisation, a décru au fil du temps une fois que les proies se sont à nouveau habituées à sa présence. Cette adaptation de comportement s’est faite sur l’espace d’une génération, soit environ cinq ans.

L’absence de changement de comportement chez les élans en Scandinavie a été évaluée par le taux de succès de chasse. En effet, le nombre d’élans tués en Scandinavie est deux à dix fois plus important qu’en Amérique du Nord. Les proies ne semblent pas allouer davantage de temps à la vigilance (Sand et al., 2006 ; Wikenros et al., 2016). Cette différence peut être expliquée par le fait qu’en Amérique du Nord, les populations d’ongulés sauvages cohabitent depuis fort longtemps avec les loups. Les loups ont été absents de ce territoire pendant quelques décennies seulement. Au contraire, en Scandinavie, les loups ont disparu pendant 120 à 150 ans, permettant à leurs proies de s’habituer à vivre sans eux et elles n’ont probablement pas encore modifié leur comportement suite à leur retour. Cette conclusion ne concorde pas avec l’adaptation de la population des élans aux prédateurs en une génération décrite en Amérique du Nord par Sand et al. (2006) ; il est possible qu’en région scandinave, l’adaptation de la population d’élans au retour des loups se fasse sur une période plus importante.

Wikenros et al. (2016) ont étudié la vitesse des trajets et la direction des déplacements de 26 femelles élans à l’aide de GPS en Scandinavie. Ils ont observé que la vitesse des trajets augmente lors des mise-bas entre mai et juillet, mais également entre les mois d’août et octobre. Ces variations sont liées à la disponibilité en nourriture. L’étude n’a cependant pas pu mettre en évidence de relation avec le risque de prédation du loup. Comme indiqué précédemment, la réponse comportementale des élans n’a peut-être pas encore eu le temps de se mettre en place du fait que l’étude a été réalisée seulement trois à six ans après le retour du loup. De plus, le taux de rencontre des élans et des loups est faible dans cette région car les territoires des loups sont immenses et la distance entre le prédateur et la proie est en moyenne de 11 kilomètres.

La population d’ongulés sauvages a globalement fortement augmenté ces dernières décennies, à l’exception de quelques épisodes (kérato-conjonctivite, hivers rudes et enneigés…) qui peuvent altérer temporairement la démographie de la population. Les adaptations des ongulés sauvages à la présence du loup rendent parfois leur prédation plus difficile. Aussi, le loup peut-il se rabattre sur des animaux plus vulnérables comme le bétail domestique.

IV. Etat des lieux de la population des ongulés domestiques en France

Nous avons vu précédemment que la population d’ongulés sauvages augmentait en France et que par conséquent la prédation du loup ne semblait pas avoir d’effets néfastes sur la démographie de cette population depuis le retour du canidé dans l’hexagone.

L’augmentation du nombre de loups pose cependant problème en France, en lien avec une prédation accrue des troupeaux domestiques a priori. Il est intéressant de connaître les effectifs de la population de bétail (bovins et ovins) pour connaître le réel impact du loup sur les troupeaux.

• Evolution du cheptel bovin en France

Le nombre total de bovins en France a diminué entre les années 1995 et 2018 puisque leur nombre est passé de 20,1 millions à 18,9 millions d’animaux (figure 38).

Au 31 décembre 2018, le cheptel bovin français comptait 18,5 millions d’animaux (chiffre comparable à celui de 2017). Le nombre de vaches laitières a diminué depuis 2017(baisse de 1.2%), comme celui des vaches allaitantes (baisse de 1,4 %). De même les effectifs des gros bovins mâles ont vu leur nombre diminuer, alors que l’effectif des veaux augmentait largement de son côté (13,8 %). (Institut de l’Elevage et Confédération Nationale de l’élevage, 2019)

Entre 2007 et 2017, le nombre d’exploitations bovines laitières a chuté, passant de 261 000 à 178 000 exploitations. Dans les Alpes françaises, les petits troupeaux familiaux ont disparu après la seconde guerre mondiale, les éleveurs se sont tournés vers l’élevage de troupeaux beaucoup plus conséquents, comptant jusqu’à plusieurs milliers de têtes (Espuno, 2004).

Le nombre d’exploitations bovines a fortement diminué au profit d’exploitations moins nombreuses mais de plus grande taille. En effet, plus de 75 % des exploitations laitières comptent ainsi un effectif supérieur à 50 vaches et la moitié des exploitations allaitantes possèdent plus de 70 vaches mères.


Figure 38 : évolution de la population de bovins en France (Institut de l’Elevage et Confédération Nationale de l’élevage, 2019)

Concernant la répartition géographique des élevages, les vaches laitières sont principalement réparties en Bretagne (21 %) et en Normandie (16 %), mais également dans les régions montagnardes comme la région Auvergne-Rhône Alpes (13%).

Les vaches allaitantes se situent principalement en Nouvelle-Aquitaine (22%) et en Auvergne-Rhône-Alpes (17 %). Les bovins sont donc particulièrement présents dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, là où le loup est lui-même fortement présent (Institut de l’Elevage et Confédération Nationale de l’élevage, 2019)

• Evolution du nombre d’ovins entre 2000 et 2018

Le nombre d’exploitations ovines entre 2000 et 2018 a été divisé par deux environ, passant de 95700 à 41128. Le nombre total d’ovins a également chuté passant de 9 553 000 en 1998 à 7 166 000 en 2018. Les brebis allaitantes sont largement majoritaires sur les brebis laitières.

Tout comme les exploitations bovines, la majorité des exploitations de brebis allaitantes comptent un nombre important d’animaux : entre 200 et 499 brebis par troupeau (38 % des exploitations). Presque trois-quarts des troupeaux de brebis allaitantes comptent entre 200 et 999 brebis.La majorité des brebis allaitantes se trouvent en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie. La région Auvergne-Rhône-Alpes comptabilise 16 % des brebis allaitantes. Par contre cette région compte seulement 1 % de la population française de brebis laitières tandis que 90 % des ovins laitiers se concentrent en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie (figure 39).

Tout comme les bovins, les ovins sont fortement présents dans les régions de présence avérée du loup.


Figure 39 : Effectif des brebis en novembre 2018 en France (Institut de l’élevage et Confédération Nationale de l’élevage, 2019)

• La concurrence extérieure du marché de la viande bovine et ovine en France

L’Italie est le principal pays à qui la France vend de la viande mais surtout des bovins (60 % du chiffre d’affaires total). La France importe de la viande bovine en provenance des Pays-Bas principalement. Dans l’Union Européenne, les Français sont les plus gros consommateurs de viande bovine, suivis par l’Irlande et les Pays-Bas.

La France est le troisième producteur de viande ovine dans l’Union Européenne : elle a réalisé dix pourcents de la production en 2018, loin derrière le Royaume-Uni (35 % de la production) et derrière l’Espagne (14 % de la production) (Institut de l’élevage et Confédération Nationale de l’élevage, 2019).

Cependant, en France, plus de la moitié de la viande ovine consommée n’est pas d’origine française (figure 40) (Institut de l’élevage et Confédération Nationale de l’élevage, 2019).


Figure 40 : Provenance viande ovine consommée en France (Institut de l’élevage et Confédération Nationale de l’élevage, 2019)

Désormais, sous l’effet d’une concentration structurelle, les bovins et les ovins sont de plus en plus regroupés dans de grandes exploitations où leur nombre va croissant avec le temps. Lorsque ces exploitations sont ouvertes ou que les animaux pâturent, le loup peut être à l’origine d’attaques entraînant des pertes sur le bétail domestique.

L’augmentation de la taille des cheptels par rapport à la main d’oeuvre disponible peut générer une vulnérabilité particulière aux attaques de loups nécessitant la mise en oeuvre de mesures de protection des troupeaux afin de rendre cette nouvelle cohabitation possible.


V. Moyens de protection contre la prédation du loup

Une étude (Khorozyan et Waltert, 2019) s’est intéressée à l’efficacité des moyens de protection contre les prédateurs en s’appuyant sur 117 cas différents issus de 23 pays. La majorité des cas reportés a eu lieu aux Etats-Unis d’Amérique, au Canada et au Kenya.

Au terme de l’étude, Khorozyan et Waltert (2019) ont mis en évidence les moyens les plus efficaces pour protéger le bétail (figure 41). Ces protections sont :

- les barrières électriques ;

- la garde du troupeau par un homme ;

- la garde du troupeau par des chiens de protection ;

- la mise en place d’une synchronisation des naissances afin de réduire la période des mises bas et permettre une surveillance renforcée des animaux à ce moment ;

- l’utilisation d’éléments dissuasifs acoustiques et chimiques ;

- la pose de colliers de protection afin d’éviter la mort par suffocation des bêtes (Khorozyan et Waltert, 2019).

Les moyens de défense les plus efficaces sont ceux protégeant le bétail contre les guépards (Acinonyx jubatus), les lynx, les loups gris et les lions (Panthera leo). Dans tous les cas, le risque de dommages est réduit de 50 à 100 %.

Il faut noter que les colliers de protection n’ont pas été testés sur les loups ; en effet, la question de leur efficacité se pose sachant que la morsure de préhension du loup sur la proie est faite sur l’arrière train généralement.

Figure 41 : les moyens de défense les plus efficaces pour protéger le bétail face aux prédateurs (Khorozyan et Waltert, 2019)

Landry (2017f) s’est également intéressé aux moyens de protection des troupeaux qui existent en France et a évalué leur efficacité au cours du temps. Il existe quatre types de défense pour protéger les troupeaux contre les prédateurs et notamment les loups.

La première catégorie empêche le prédateur d’accéder physiquement au bétail. Ce sont les bâtiments, les enclos et parcs fixes non déplaçables, les clôtures mobiles, les clôtures permanentes et les barrières électriques.

La deuxième catégorie modifie le comportement du loup sur un terme très court à court en utilisant des effaroucheurs statiques notamment.

Le troisième type de protection modifie le comportement du loup sur un terme moyen à long (utilisation des « fladry », du biomimétisme, de la « biofence » ou des chiens de protection). Tous ces termes seront définis ultérieurement.

Enfin, pour éviter la prédation, le dernier moyen est d’écarter définitivement le loup prédateur du troupeau (Landry, 2017f).

1. Moyens de protection pour empêcher le prédateur d’accéder physiquement au bétail

Le but de ces protections est d’empêcher le prédateur d’accéder au bétail. Il en existe différents types : • Les enclos dits « en dur » sont construits à l’aide de grandes barrières métalliques d’un mètre cinquante de hauteur et sont utilisés pour parquer les troupeaux la nuit. Ces enclos fermés sont assez efficaces, notamment lorsqu’ils sont combinés à des chiens de troupeau. Par contre le loup peut décaler ses attaques en journée lorsque le troupeau n’est pas enfermé. Pour déplacer ces moyens de protection, des véhicules sont nécessaires, aussi ces protections ne sont-elles pas adaptées à des pâtures escarpées inaccessibles en voiture.

• Les clôtures mobiles sont souvent des clôtures amovibles constituées dans la plupart des cas de filets électrifiés de 90 cm de hauteur. Le bétail est concentré sur une petite surface délimitée par ces clôtures.

Leur principal inconvénient vient du fait que les ovins peuvent être effrayés par les loups se trouvant à l’extérieur. Ils peuvent alors, sous l’effet de la panique, casser le filet et sortir de l’enceinte où ils pourront alors être capturés par le loup. Il est donc conseillé de placer une seconde enceinte en périphérie de la première à quelques mètres de distance pour contenir les éventuels fuyards.

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L’autre inconvénient de ces filets est leur faible hauteur ; les loups peuvent facilement sauter par-dessus même si ce comportement est rare (Reinhardt et al., 2011). Certains éleveurs optent donc pour des filets plus hauts (entre un mètre quarante et un mètre soixante-dix).

• Les clôtures permanentes peuvent être métalliques ou électriques (comportant deux à neuf fils électrifiés). Ce type d’enclos peut s’étendre sur plusieurs hectares. Néanmoins, plus la taille de l’enclos augmente, plus le nombre potentiel de zones vulnérables où le loup peut pénétrer est important.

Il faut aussi prendre en compte le fait que la zone délimitée doit permettre une prise alimentaire suffisante pour le troupeau (Landry, 2017f).

Malgré la mise en place de ces protections, le loup franchit la barrière dans certains cas. Généralement, il passe en dessous de la clôture, qu’elle soit électrifiée ou non.

Les loups ont les capacités physiques de sauter par-dessus la barrière mais l’étude de Reinhardt et al. (2011) a montré que ce comportement était peu fréquent. En effet, lors d’une période d’étude comprise entre 2002 et 2010 en Saxe (Allemagne), 12 loups sur un total de 71 (soit 17 %) ont tenté de sauter par-dessus les barrières d’enclos non électrifiés. Six des douze essais rapportés (soit la moitié des tentatives) ont eu lieu sur le territoire d’une même meute de loups. Après la mise en place d’une corde additionnelle au-dessus de la clôture, plus aucune tentative de saut n’est survenue.

    E.CLOS ESPAGNE parc de protection

De façon générale, pour pénétrer dans les enclos, le loup recherche des failles tels que des affaissements de sols (causés par des passages réguliers de la faune sauvage) ou la présence d’une hauteur suffisante entre le sol et le fil de la clôture pour lui permettre de passer (Reinhardt et al., 2011).

Une étude menée par Agridéa (2016) a montré qu’aucun des loups étudiés ne saute par-dessus le filet électrifié se trouvant à 90 cm de hauteur alors qu’ils en sont physiquement capables. Ils cherchent par contre à passer en dessous. Lorsqu’un loup réussit à franchir la barrière en passant en dessous, le temps de contact du reste de la meute auprès de cette clôture est augmenté, dans la perspective d’essayer de franchir la clôture également. Cette étude (Agridéa, 2016) a permis de mettre en évidence que la présence d’une faille dans les clôtures est une source de motivation pour la meute pour pénétrer dans l’enclos et ensuite réaliser la prédation, c’est pourquoi les barrières doivent être dans le meilleur état possible et ne présenter aucune faille.

Les recommandations d'Agridéa (2016) sont de placer le premier fil de la clôture à une distance du sol ne permettant pas le passage du loup. Les chercheurs ont montré que le loup ne passait pas sous une hauteur de 25 centimètres si la barrière est intègre (figure 42).


Figure 42 : le premier fil de la clôture ne doit pas permettre le passage du loup (Agridéa, 2016)

Par contre, si le premier fil est placé à une hauteur supérieure (35 centimètres dans la figure 43), le loup peut passer en dessous et son passage va motiver le reste de la meute à le suivre et rentrer dans l’enclos (figure 43).

Figure 43 : une hauteur trop importante de clôture permet le passage du loup et la clôture ne protège donc plus le bétail (Agridéa, 2016)

2. Utilisation d’effaroucheurs statiques dans la protection des troupeaux 

Pour lutter contre la prédation des troupeaux, des effaroucheurs statiques sont utilisés. Il s’agit de placer des objets à proximité du bétail pouvant générer un comportement d’évitement de la part du loup. Ces objets peuvent bouger avec le vent ou émettre un son, une lumière, des détonations.

Les effaroucheurs visuels doivent être vus par le prédateur. Certains imitent même des clôtures ; c’est le cas du « fladry », ficelle fixée à environ 50 centimètres de hauteur (soit à hauteur de tête de loup), sur laquelle pendent des rubans rectangulaires à intervalles réguliers qui touchent presque le sol.

Comme les loups perçoivent les ultrasons, des effaroucheurs sonores utilisant cette gamme de fréquences ont été mis en place autour des troupeaux pour faire fuir les loups. Ceux-ci semblent dérangés lors de la première tentative d’approche mais ils s’y habituent très vite. En effet, les loups sont dans un état d’excitation très puissant lors de l’acte de prédation et il semblerait que les ultrasons ne soient pas un stimulus suffisamment important pour contrer cette excitation et empêcher le loup de s’approcher des troupeaux.

Le principe général des effaroucheurs est basé sur la néophobie, c’est-à-dire la peur innée des stimuli inconnus. Le loup doit donc connaître des expériences négatives au contact des effaroucheurs pour être tenu à distance du troupeau. La néophobie est la limite de cette protection puisqu’au bout d’une à deux semaines, le loup va s’habituer aux stimuli (Landry, 2017f).

3. Modification du comportement du loup à moyen ou long terme

Pour modifier le comportement des prédateurs à moyen ou long terme, une expérience suffisamment négative pour le prédateur doit survenir afin qu’il associe le troupeau à une émotion désagréable (Landry, 2017f). L’objectif est d’apprendre au prédateur à éviter le bétail, et éventuellement transmettre cet apprentissage à sa descendance.

• Un de ces moyens de protection est le turbo « fladry », qui consiste à remplacer le fil de nylon du « fladry » par un fil électrifié et à rajouter un second fil électrifié à 13 centimètres du sol (empêchant ainsi le passage du loup sous la barrière). C’est un bon outil de protection des troupeaux avec un effet pouvant durer de quelques semaines à quelques mois (Landry, 2017f).

    E.CLos Fladry test 64 400 AGNOS

Une étude (Lance et al., 2010) a comparé l’efficacité des « fladry » électrifiés et des « fladry » non électrifiés sur la protection de ressources alimentaires disposées dans des enclos de loups élevés en captivité et sur la protection du bétail dans des fermes ayant subi des attaques de prédateurs (loups, grizzly, ours bruns et coyotes) au Montana.

Concernant les loups en captivité, l’étude était divisée en différentes phases. Lors de la première phase, aucune barrière ne séparait le prédateur de la ressource alimentaire (une carcasse de cerf). Ensuite, les meutes de loups ont été divisées en trois groupes. Dans le premier groupe, la ressource alimentaire était libre d’accès, dans le second groupe des « fladry » étaient rajoutés et dans le dernier groupe des « fladry » électrifiés étaient mis en place. Dans un dernier temps, les différents niveaux de protections ont été alternés entre les trois groupes pour évaluer si les loups adaptaient leur comportement en fonction du dispositif.

Initialement, les loups se sont montrés prudents à l’approche des barrières puis ils ont fini par s’en approcher davantage, ce qui montre une habituation de leur part. Certains loups mordaient même les petits drapeaux des « fladry » non électrifiés. Par contre, les « fladry » électrifiés ajoutaient un conditionnement négatif par le choc électrique reçu lorsque le loup s’approchait trop près de la barrière, et permettaient ainsi de renforcer le premier comportement de peur (Lance et al., 2010).

Le groupe de loups dont la ressource alimentaire était jusqu’alors protégée par une barrière électrique n’a pas tenté de franchir les barrières non électrifiées pendant un certain nombre de jours, car il était toujours conditionné par le comportement d’évitement des barrières électrifiées.

L’étude (Lance et al., 2010) a mis aussi en évidence que plus la faim des loups augmentait, plus ceux-ci devenaient téméraires et s’approchaient des barrières. Les loups s’habituaient d’autant plus vite aux « fladry » que leur faim était intense.

En conclusion, les « fladry » électrifiés sont deux à dix fois plus efficaces que les « fladry » basiques pour protéger une ressource alimentaire. En effet, les loups ont réussi à passer deux fois seulement les barrières mais aucun bétail n’a été prédaté (Lance et al., 2010). L’article s’intéresse également aux coûts de la mise en place d’un enclos électrifié de 14 kilomètres de long et aux dysfonctionnements possibles (2303 dollars pour le premier kilomètre puis 2032 dollars pour chaque kilomètre additionnel) : 18 coupures d’électricité ont été observées pendant les 394 jours d’utilisation. Néanmoins, ces coupures n’ont pas été favorables aux loups puisque le conditionnement à l’évitement des barrières électriques était déjà mis en place ; aucune prédation n’a donc été réalisée.

Dans les zones étudiées, les éleveurs subissent certes de la prédation sur leurs troupeaux mais le nombre de proies prélevés reste limitée, c’est pourquoi l’investissement dans des barrières électriques ne leur est pas vraiment bénéfique au regard des frais occasionnés. Les éleveurs préfèrent donc protéger leur troupeau avec des « fladry » non électrifiés.

Néanmoins l’étude conclut qu’en dépit du prix élevé des barrières électrifiées, il ne faut pas mettre de côté cette protection qui permet d’éviter des pertes importantes de bétail par conditionnement du prédateur (Lance et al., 2010).

• Une autre technique utilisée pour changer le comportement du loup sur un terme moyen à long, repose sur le biomimétisme. En effet, le biomimétisme consiste à s’inspirer des solutions qui existent dans la nature et à les transposer en ingénierie humaine.

Jean-Marc Landry attache un radiofréquence mètre en douceur autour du poitrail d'une brebis

En 2017, une expérience était en cours (Landry, 2017f) : des brebis se sont fait équiper de colliers capables de détecter un stress aigu (survenant notamment lors d’une attaque de prédateur). Lors de stress important, le collier pourrait déclencher l’émission d’un puissant répulsif contre le loup. Cette expérience serait traumatisante pour le prédateur et stopperait immédiatement son action de prédation.

Juste avant l’émission du répulsif, un stimulus inconnu du loup serait diffusé pour créer un conditionnement classique entre le traumatisme subi par le prédateur et le stimulus. L’idée du projet est de mettre ce signal à proximité immédiate du troupeau, ainsi le loup déjà exposé à ce stimulus traumatique et à sa conséquence devrait présenter un comportement d’évitement du troupeau dès la perception du stimulus (Landry, 2017f).

• Pour modifier le comportement du loup, les éleveurs peuvent utiliser une technique nommée « biofence ». Des odeurs de marquage de prédateurs sont utilisées autour des troupeaux pour exclure un autre groupe de prédateurs ; une meute peut alors croire que le territoire est déjà occupé par d’autres prédateurs et cherche donc une autre zone de prédation. Cette technique fonctionne bien la première année mais moins la seconde selon une étude faite dans le Montana aux Etats-Unis d’Amérique et citée par Landry (2017f).

• Les chiens de protection des troupeaux peuvent modifier les comportements des prédateurs pendant un terme très court à très long. Ces chiens sont à distinguer des chiens de conduite qui servent à rassembler et déplacer les animaux du troupeau. L’avantage des chiens de protection en comparaison avec les autres moyens de protection réside dans le fait que le chien vit en permanence avec le troupeau. La réussite de la protection dépend des capacités physiques du chien, de sa motivation à interagir avec le prédateur et de sa combativité face au loup.

     THONAI

Les chiens de troupeaux ne sont pas forcément adaptés à tous les systèmes pastoraux, et pour les éleveurs pratiquant l’allotement (Grand Est, Massif Central), le nombre de chiens requis par lot est de deux au minimum pour s’assurer d’une certaine efficacité de la protection.

Le chien doit rester dans le troupeau ou à proximité de celui-ci ; le lien affectif se formant entre le chien et le bétail est primordial. Le chien doit être apte à la protection, c’est-à-dire présenter des comportements innés ou acquis de protection de son troupeau. Il doit être suffisamment tolérant vis-à-vis des perturbations humaines (randonneurs notamment). L’éleveur doit pouvoir faire confiance à son chien pour la garde de son troupeau.

Le chien doit être efficace et donc apte à la protection. Son aptitude à la protection est basée sur ses différentes caractéristiques intrinsèques (physiques, physiologiques et psychologiques), mais aussi sur des composantes externes (environnementales) ainsi que sur la variable « prédateur » (Landry, 2017f). En effet, un CPT avec de bonnes aptitudes à la protection peut se révéler inefficace selon le type d’environnement dans lequel il doit travailler ou en fonction du prédateur qu’il doit affronter.

Ces différents moyens de protection ont été mis en place suite aux actes de prédation répétés du loup sur certains troupeaux. Ils visent à protéger le bétail du loup mais aussi cherchent à aider les éleveurs et les bergers dans leur travail quotidien. Différentes études évaluent si les différents moyens de protection mis en place permettent réellement une protection efficace du bétail.

4. L’importance du conditionnement du prédateur

Much et al. (2018) ont cherché à évaluer comment le conditionnement d’un prédateur influence sa motivation et sa persévérance dans l’action engagée. De récentes découvertes en neurosciences ont montré que des comportements produits par des animaux et récompensés par de la nourriture sont associés à un meilleur apprentissage de leur part. Ils sont capables de faire l’association entre le comportement produit et la récompense. Lorsque l’expérience est répétée, il a été montré que la réalisation du comportement attendu survenait plus rapidement.

Des travaux ont été réalisés pour prouver le rôle de cet apprentissage associatif chez le loup, le poussant à dépasser son comportement de néophobie initial. Cette étude a été réalisée au Wildlife Science Center aux Etats-Unis d’Amérique pendant l’hiver 2004-2005, dans le but de prouver que les loups ayant réussi à prédater un animal domestique malgré les moyens de protection mis en oeuvre auront tendance à recommencer et à dépasser leur néophobie. Dans l’étude, deux catégories de loups ont été distinguées : des loups conditionnés ont été exposés à de la nourriture très appétente située dans un récipient donné (format de l’objet conservé pour toute la durée de l’étude) et avaient une récompense alimentaire lorsqu’ils s’en approchaient. Les animaux non conditionnés n’avaient pas de récompense alimentaire. Dans un second temps, les mêmes récipients ont été utilisés dans les deux groupes mais cette fois ils contenaient toujours de la nourriture sans toutefois qu’elle soit accessible ; ceux-ci ne pouvaient que la sentir. Les chercheurs ont ensuite évalué la durée au bout de laquelle les loups manifestaient un premier comportement d’approche de l’objet et de son investigation.

Ce temps de latence avant la production du premier comportement d’investigation (c’est-à-dire reniflement de l’objet, léchage) était 11 fois plus rapide chez les loups conditionnés, mettant en évidence que l’association de cet objet avec une récompense alimentaire leur avait appris à surpasser leur néophobie. Par contre, une fois le comportement de recherche de nourriture initié, les deux classes étudiées passaient le même temps à essayer d’obtenir la récompense alimentaire.

Les loups qui réussissaient à obtenir la récompense alimentaire se montraient plus enclins à l’exploration de l’objet « inconnu » et réduisaient alors leur comportement néophobique. Le risque d’une prédation répétée sur des fermes ayant déjà subi une prédation est 55 fois plus élevé que dans les fermes épargnées dans le Minnesota (Etats-Unis d’Amérique). De plus, le risque est maximal immédiatement après une attaque, car la récompense alimentaire augmente la motivation.

Quand les loups ne parviennent pas à atteindre la récompense alimentaire, alors les durées de l’investigation et du travail diminuent pour les animaux conditionnés comme non conditionnés. Les résultats suggèrent donc une forte démotivation avec l’application de mesures de prévention.

Le problème des mesures de défense du troupeau est lié au fait que celles-ci surviennent en réponse au conflit, c’est-à-dire une fois que l’apprentissage du loup a été fait. La protection des ressources alimentaires permet donc de réduire la probabilité d’initier l’exploration de cet objet, mais une fois que le comportement d’exploration a commencé, le loup cherchera à obtenir son gain. C’est pourquoi il est indispensable de mettre en place des mesures de protection des troupeaux domestiques afin d’augmenter le temps d’investigation du loup (à déjouer les moyens de protection) et ainsi le décourager de s’approcher du bétail (Much et al., 2018).

VI. Efficacité des chiens de protection des troupeaux

L’outil non létal le plus efficace pour prévenir la prédation dans les Alpes est le chien de troupeau. L’étude menée par Espuno (2004) associe préférentiellement le chien de protection à des bergers et des parcs de regroupement fermés la nuit. En effet, Espuno (2004) montre que l’efficacité des chiens est augmentée si le troupeau est parqué pendant la nuit : dans le Parc National du Mercantour notamment, les chiens de protection ont permis de diminuer les dommages liés aux prédateurs de 81 % pour les troupeaux protégés par des clôtures contre seulement 39 % pour les autres.

Au Portugal, les dommages ont diminué de 72 % dans les fermes protégées par des chiens de troupeau avec presque cinq animaux de moins tués chaque année par troupeau en moyenne (Landry, 2017f).

De même en Espagne, la diminution des attaques a été notable avec 61 % d’attaques en moins depuis que les chiens de protection ont été intégrés au troupeau (Landry, 2017f).

1. Caractéristiques des chiens de troupeau en France et qualités recherchées

Vingt-cinq races de chiens de protection du troupeau sont identifiées en France. La majorité des chiens de protection en France sont les Montagne des Pyrénées, (77 % selon les estimations officielles de 2009) et en moindre proportion le Berger de la Maremme et des Abruzzes (13 % selon les estimations officielles de 2009). Dans le Massif des Ecrins, les Bergers d’Anatolie jouent également un rôle de protection. Leur gabarit et leurs aboiements sont particulièrement dissuasifs et ils peuvent intervenir en présence du prédateur qu’ils peuvent mordre (Conessa, 2013).

Le CPT doit présenter des qualités indispensables :

- la concentration : il doit être en mesure de surveiller le troupeau en permanence ;

- l’aptitude à la protection, en défendant le troupeau contre les prédateurs ;

- la sociabilité ou tolérance à l’Homme. Le CPT ne doit pas attaquer les humains, notamment les touristes en randonnée qui passent à proximité du troupeau.

La sélection des chiens se fait via un test d’aptitudes naturelles (TAN) par la Société Centrale Canine (SCC) : cela permet de déceler les aptitudes naturelles du chien, en dehors de tout dressage. Le chien doit être sociable avec son maître c’est-à-dire que ce dernier doit pouvoir le manipuler et que le chien doit apprécier ce contact. Il doit aussi être sociable avec les humains en présence et en absence de son maître, et il doit être sociable avec ses congénères. L’obéissance du chien est testée car le rappel est important en cas de prédation. Face au bétail, le chien doit se montrer indifférent et ne présenter aucun signe d’excitation ou d’agressivité à son égard. Lors de sollicitations visuelles ou auditives agressives (tir de fusil par exemple), le chien doit rester indifférent et calme (Conessa, 2013).

Les chiens de protection semblent avoir plus de succès dans la défense des troupeaux contre les coyotes aux Etats-Unis d’Amérique et être moins efficaces dans la défense contre les loups (Kinka et Young, 2018). Avec plus de 30 races de chiens de protection dans le monde, certaines s’avèrent plus performantes.

Dans cette étude (Kinka et Young, 2018), les chiens de protection utilisés aux Etats-Unis d’Amérique dits « white dogs » ont été comparés à trois races de chiens de protection européens. Ces derniers ont été sélectionnés pour leur courage face aux prédateurs, leur historique d’utilisation dans les zones avec des loups, leur manque d’agressivité envers les humains. Un test a été développé pour observer la réponse du CPT lors de la simulation d’une rencontre avec un loup pendant que le troupeau pâture.

Les résultats ont montré qu’il existait peu de différence significative dans le comportement de protection des chiens mais que néanmoins quelques traits de caractère diffèrent. Le berger d’Anatolie est plus curieux et va à la rencontre de la menace, le berger bulgare est plus vigilant sur la défense du troupeau et les chiens Transmontanos déchiffrent plus rapidement la menace et agissent par conséquent plus rapidement. Ces différences subtiles de comportement peuvent aider les éleveurs à choisir le chien le plus approprié à leurs besoins.

2. Etude de l’efficacité des chiens de protection en Toscane

Dans une étude (Zingaro et al., 2018), 29 chiens de protection (treize femelles et seize mâles) ont été équipés d’un collier GPS pendant vingt jours entre novembre 2015 et juillet 2016 afin d’étudier leur utilisation de l’espace autour du troupeau et d’évaluer leurs interactions avec le bétail. La région d’étude portait sur onze fermes pratiquant l’élevage ovin dans la province de Grosseto en Toscane en Italie, région où vivent des loups. Sept fermes se trouvaient dans des zones forestières tandis que les quatre autres étaient localisées dans un paysage agricole ouvert. Les principales menaces pour les moutons dans cette zone étaient les chiens errants et les loups. Dans chaque ferme, une brebis a été équipée d’un collier GPS, tout comme un à trois chiens de protection. Des enregistrements de mesures de position étaient faits automatiquement toutes les quinze minutes lorsque l’animal était actif, sinon ces enregistrements se faisaient toutes les soixante minutes.

L’étude (Zingaro et al., 2018) a montré que les chiens de protection passaient la majorité de leur temps à proximité du troupeau. Les chiens ne restaient pas statiques à un seul endroit, mais patrouillaient autour des pâtures, tout en restant à une distance leur permettant d’intervenir au besoin. Ils réalisaient des marquages territoriaux tout autour du troupeau mais ces marquages ne semblaient pas empêcher les prédateurs d’approcher du troupeau, cela pouvant les attirer au contraire (Landry et al., 2014).

Cette étude (Zingaro et al., 2018) a mis aussi en évidence le fait que les chiens plus expérimentés restaient davantage associés au troupeau par rapport aux jeunes chiens, peut-être du fait d’une réduction de leur mobilité. Par ailleurs, en l’absence du berger, les chiens de troupeau surveillaient constamment le troupeau.

Cependant, l’étude (Zingaro et al., 2018) n’a pas pu prouver une vraie relation d’efficacité entre la présence des chiens à proximité du troupeau et la défense active du troupeau. Néanmoins, pendant la période d’étude, aucune des onze fermes n’a connu de prédation, alors que 55 % des fermes alentour ont subi des attaques (aucune donnée sur la présence éventuelle de chien de troupeau n’a été communiquée).

Cette étude (Zingaro et al., 2018) met en évidence l’utilité des colliers GPS. Ils permettent au berger de monitorer ses chiens de troupeau et de connaître leur position par rapport à celui-ci, et il est même informé de la position de son cheptel lorsqu’il le laisse paître en estive.

3. Etude d’efficacité des chiens de protection en France dans les Alpes-Maritimes par observation directe à l’aide de caméras thermiques

Les dernières données relatives au nombre de bêtes domestiques prédatées suggèrent que l’efficacité des chiens de troupeau en France présente des limites, puisque certains troupeaux gardés subissent des attaques fréquentes. Lorsque les chiens ont commencé à protéger les troupeaux au début des années 1980, les chercheurs ont établi que les capacités de travail de ces chiens se basaient sur trois points : l’attention portée au troupeau, la fiabilité du chien et l’aptitude à la protection du troupeau face au prédateur.

Jusqu’à présent, peu d’observations directes jugeant de l’efficacité des chiens de troupeau ont été effectuées car les attaques ont souvent lieu la nuit. Les performances des chiens ont dont été jusqu’alors évaluées par une méthode indirecte via des questionnaires donnés aux éleveurs.

     IPRA LANDRY

Entre 2000 et 2004, dans le Parc National du Mercantour, 20 interactions de nuit ont pu être filmées en séquence vidéo à l’aide de lunettes à vision thermique (Landry et al., 2014). Les informations récoltées dans cette expérience étaient insuffisantes mais l’expérience a continué dans le cadre du projet Can Ovis. Ce projet (Landry et al., 2014) cherchait à étudier les capacités innées et acquises des chiens à protéger le troupeau.

L’autre objectif de l’étude est de montrer comment des facteurs internes au chien (l’âge, le sexe, la condition physique) et des facteurs externes (la structure sociale du groupe, la densité des prédateurs, la garde du troupeau par un berger…) peuvent influencer leur efficacité. Afin d’atteindre cet objectif, les interactions des chiens de troupeau avec les loups ont été enregistrées, ainsi que leurs mouvements autour des troupeaux et leurs vocalisations.

L’étude (Landry et al., 2014) a été réalisée dans le département des Alpes-Maritimes pendant l’été 2013. Dans cette région, se trouvent cinq espèces de la faune sauvage : le cerf, le chevreuil, le sanglier, le mouflon et le chamois. Ce département subit le plus de dommages sur les troupeaux de la part du loup. En effet, en 2013, 2416 têtes de bétail, principalement des moutons ont été attaqués, ce qui représente 39 % des dégâts liés au loup en France.

Trois troupeaux ont été sélectionnés sur la base de trois critères : la pression du loup sur le troupeau, l’accessibilité à l’unité pastorale et la volonté des éleveurs de participer à l’étude. Deux unités pastorales dans l’étude subissaient une pression du loup élevée sur leur troupeau, et le troisième élevage pâturait dans le coeur du Parc National du Mercantour où aucun tir n’est permis (tir de défense du troupeau ou tir d’abattage d’un loup). Le nombre de moutons par troupeau variait entre 1750 et 2500 et les altitudes des pâturages s’étendaient entre 1500 et 2550 mètres. Les chiens de protection des troupeaux étaient des chiens de race Montagne des Pyrénées purs ou croisés. Dans l’étude, un troupeau possédait onze chiens de troupeau, les deux autres en avaient quatre chacun.

Les observations ont eu lieu à l’aide de lunettes à infrarouges pendant 23 nuits sur des séquences d’une heure lors de chaque observation. Les observateurs se trouvaient à une distance située entre 100 et 700 mètres par rapport aux moutons parqués ou aux moutons en liberté. Neuf événements impliquant des loups dont trois étaient des tentatives d’attaques de leur part ont été enregistrés. Vingt-trois autres événements notifiés concernaient la faune sauvage.

Lors de ces événements, les réponses des chiens de protection pouvaient être classées en plusieurs catégories :

- le chien ne réagit pas ;

- il aboie ;

- il peut y avoir présence de contacts sociaux ou proches avec les intrus (33 % des événements) ;

- la réponse peut aller jusqu’à la chasse du loup.

• Résultats des observations :

Lors de la chasse des prédateurs, un des chiens a atteint une vitesse de pointe supérieure à 40 km/h (Landry et al., 2014). La longueur des poursuites variait de quelques mètres à plus d’un kilomètre. Sur les neuf événements, trois cas observés ont montré que le loup semblait attendre le chien plutôt que fuir. Dans un cas, le loup a arrêté sa fuite et a observé le chien de protection le pourchasser puis a manifesté un comportement agressif à l’approche du chien.

Lors de deux événements distincts, le chien n’a pas chassé les deux loups se trouvant à proximité. Lors du premier cas, le loup s’est approché du chien de protection et l’a reniflé. Lors de l’autre événement, le chien de protection a approché les deux loups qui se nourrissaient d’une carcasse de mouton. Les loups ont alors cherché à attaquer le chien de protection qui s’est défendu en tentant de les chasser. Les loups sont retournés se nourrir sur la carcasse de mouton et le chien a battu en retraite (Landry et al., 2014).

Dans deux unités pastorales, les loups et chiens de troupeau ont été aperçus à proximité l’un de l’autre (à moins de cent mètres de distance) sans interagir.

Les aboiements du chien de troupeau pour intimider le loup ne semblaient pas toujours efficaces puisque dans un cas, cela n’a pas empêché l’attaque du loup tandis que dans l’autre cas le loup a cessé son attaque.

Cette étude (Landry et al., 2014) a montré que les chiens de protection pouvaient être considérés comme un élément primaire au potentiel répulsif car ils perturbaient incontestablement le comportement du prédateur mais ils ne permettaient pas de modifier durablement ce comportement. Bien que les loups aient des interactions agonistes avec les chiens de protection, ces expériences négatives ne les dissuadaient pas de revenir à proximité du troupeau la même nuit ou les nuits suivantes. Les loups s’habituent donc à la présence des chiens de protection et aucun apprentissage de comportement d’évitement n’existe alors.

Par ailleurs, loups comme chiens de protection semblaient mesurer le risque d’une confrontation mutuelle : ainsi, plusieurs épisodes où le chien de protection faisait face au loup, le menaçant de longues minutes sans attaquer cependant, permettant ainsi au loup de s’échapper ont pu être observés.

La protection du troupeau liée au chien de protection dépend de la capacité de ce dernier à perturber le comportement du prédateur ou de sa capacité physique à sortir vainqueur d’une confrontation directe (Landry et al., 2014). Cette capacité à gagner est nommée RHP (Resource Holding Potential) par Parker (1974) et distingue la capacité physique à se battre de la motivation à persévérer dans un combat engagé. Le RHP est la capacité à gagner un combat à mort.

Dans les capacités de protection du chien, il faut prendre trois facteurs en compte : le RHP, la motivation du chien et l’agressivité. Un autre élément demeure important : le lien social avec le troupeau doit être assez fort pour que le chien de protection cherche à le protéger.

L’efficacité des chiens de troupeau dépend de l’âge de chacun des chiens et de celui de la structure globale du groupe. La présence de femelles en chaleurs détourne l’énergie des mâles censée être utilisée pour défendre le bétail, donc affectera négativement la protection du troupeau !

Lors de l’étude, de jeunes loups ont été filmés à proximité des troupeaux, tentant des attaques infructueuses mais interagissant avec des chiens de protection. Ces jeunes loups apprenaient à chasser et testaient les chiens de protection. En l’absence de conséquence négative lors de leur interaction, les jeunes loups n’expérimentaient pas la crainte des chiens de protection et pouvaient donc percevoir les moutons comme une ressource facilement disponible pour eux. Ainsi, une agressivité réelle des chiens de protection peut-elle servir d’apprentissage aux jeunes loups pour leur montrer que les rencontres avec les chiens de protection peuvent avoir des conséquences sévères (Landry et al., 2014).

Dans les zones touristiques telles que les Alpes, l’agressivité peut être un problème au contraire du fait du passage de nombreux randonneurs à proximité des troupeaux (Science-et-vie.com, 2019), et ce trait de caractère est donc peu utilisé comme critère de sélection du chien en France. Les chiens Montagne des Pyrénées sont connus pour être moins agressifs envers les humains et les chiens. Le choix de cette race de chiens se fait aux dépens de la protection ; cette race est plus performante dans la défense du troupeau face aux grizzly, que vis-à-vis des loups.

Les aboiements des chiens de protection seuls ne modifient pas le comportement des loups. Faciles à repérer, ils peuvent renseigner précisément les loups sur la position des chiens de troupeau, leur nombre et leur distance, voire même sur leur tempérament. Cependant, les aboiements des chiens peuvent alerter d’autres chiens de protection qui peuvent alors venir à la rescousse pour faire fuir le prédateur. De plus, la longueur et la fréquence des aboiements varient selon le contexte, ce qui peut avoir une fonction de communication avec les autres chiens.

Cette étude (Landry et al., 2014) a mis aussi en évidence le fait que le loup ne semble pas considérer les bergers comme une menace. En effet, ces derniers pouvaient seulement crier ou lancer des pierres. Bien qu’ils aient la permission d’avoir un pistolet, la plupart ne demandaient pas leur permis de détention ou laissaient l’arme à la maison. Certains loups s’approchaient ainsi à moins de cent mètres voire même jusqu’à trente mètres des bergers.

En conclusion, l’étude réalisée en Toscane n’a pas pu mettre en évidence l’efficacité des chiens de protection bien que les élevages étudiés n’aient pas subi de prédation lors de l’étude, alors que les élevages alentours ont été attaqués.

L’étude réalisée en France montre que les chiens de protection peuvent éviter certains actes de prédation des loups mais qu’ils ne permettent pas une protection effective à 100 %. En effet, certains chiens ne semblent pas se montrer suffisamment motivés et agressifs pour faire fuir le loup. Dans ce cas de figure, le loup n’apprend pas à se méfier des chiens de protection sur le long terme et il n’hésite donc pas à s’approcher des troupeaux. Les chiens de protection utilisés en France, les Montagne des Pyrénées principalement, ne sont pas les chiens les mieux adaptés pour éviter la prédation du loup, mais leur sociabilité avec les humains les rend précieux dans le cadre de la cohabitation entre pastoralisme et tourisme.

Il faut cependant noter que les chiens de protection parviennent à intimider le loup et à le chasser : peut-être faut-il, comme le suggérait Espuno (2004), combiner plusieurs moyens de protection pour arriver à protéger les troupeaux plus efficacement.

VII. Les moyens de protection des animaux domestiques sont-ils réellement efficaces ?

1. Causes de la prédation du bétail par le loup : profitabilité des proies domestiques pour le loup

Dans une étude, De Roincé et Cornuau (2016) ont cherché à évaluer l’efficacité des moyens de protection des troupeaux domestiques en réponse à la prédation exercée par le loup pendant la période 2009-2014. Les différents moyens de protection permettaient de limiter la prédation sur un terme plus ou moins long. Les résultats dépendaient notamment de la fiabilité du moyen de défense mais étaient aussi fonction de l’abondance des proies sauvages et de la motivation du loup à trouver une proie.

En 2004, en France, l’effectif moyen des troupeaux en estive était de 1500 individus par troupeau (Espuno, 2004). Dans le Parc National du Mercantour, les troupeaux doublent de taille en moyenne en été. L’été correspond également à un pic de prédation des ongulés domestiques par le loup, en lien avec l’augmentation de leur densité. En parallèle, la prédation des ongulés sauvages diminue.

Pour rappel, de façon générale, le loup cible la proie qui lui est le plus profitable énergétiquement (Sand et al., 2016), c’est-à-dire celle lui procurant le meilleur rapport entre gain énergétique obtenu et coût d’acquisition (De Roincé et Cornuau, 2016).

En tenant compte de la profitabilité de l’espèce proie, la prédation du loup sur les proies domestiques peut s’expliquer de deux façons :

- Les proies domestiques sont plus faciles à capturer en été car elles sont plus abondantes et plus vulnérables (donc plus profitables pour le loup), ce qui augmente le nombre de prédations de proies domestiques aux dépens des proies sauvages. Pendant la période 1996-1998, ce cas de figure a été observé. En effet, la population estivale d’ongulés domestiques a doublé et un pic de consommation des ongulés domestiques par les loups a été observé. Les ongulés domestiques étaient alors plus profitables que les ongulés sauvages.

- Dans le deuxième cas, les proies domestiques restaient moins profitables que les proies sauvages mais lorsque les proies sauvages se faisaient plus rares ou devenaient inaccessibles, les loups se rabattaient sur les premières.

Pendant la période 1999-2001, le pic estival de consommation des ongulés domestiques a disparu, et il a été noté que les troupeaux bénéficiaient alors d’une protection plus efficace : les ongulés domestiques étaient devenus moins profitables pour le loup, d’où une moindre consommation de ce stock.

Cette étude (De Roincé et Cornuau, 2016) a donc montré que la profitabilité des ongulés domestiques diminue avec l’efficacité de la protection. C’est pourquoi il est pertinent de protéger les troupeaux domestiques afin que les loups ciblent d’autres proies. La régulation de la population d’ongulés sauvages a été bénéfique dans le Parc du Yellowstone, nous l’avons vu, et il se trouve que les effectifs d’ongulés sauvages, toutes espèces confondues en France sont en pleine croissance. La prédation du loup n’impacte donc pas démographiquement ces populations sauvages, alors que les attaques d’ongulés domestiques frappent les éleveurs.

2. Variations de l’intensité des attaques de troupeaux dans des zones à risque de prédation, et financement des moyens de protection dans ces zones

En 2014, 2172 constats d’attaque ont été rédigés pour un total de 8226 bêtes indemnisées, ce qui correspond à une moyenne de 3,78 victimes par attaque. Les attaques ont touché 1053 éleveurs dans 464 communes dispersées sur 25 départements (De Roincé et Cornuau, 2016).

Différents facteurs peuvent influencer la distribution géographique et temporelle des attaques de loups. Les principaux facteurs ont été regroupés en trois catégories : l’environnement local (paysage, altitude, conditions climatiques au moment de l’attaque, présence humaine, saisonnalité, année, proies présentes, pression de prédation du loup), la présence d’élevages (caractéristiques du troupeau et pratiques pastorales associées) et les moyens de protection (facteurs liés aux moyens de protection mis en place).

L’étude (De Roincé et Cornuau, 2016) a déterminé deux zones : le cercle I correspond aux communes de présence avérée du loup et le cercle II désigne les zones où la probabilité de colonisation à court terme est forte.

Dans le cercle I, cinq options de protection existent :

- le gardiennage ;

- l’investissement en matériel avec pose de clôtures électrifiées, parcs de regroupement … ;

- les chiens de protection ;

- une analyse de vulnérabilité du troupeau ;

- un accompagnement technique de l’éleveur.

Dans le cercle II, des actions de prévention peuvent être mises en place :

- l’installation de parcs mobiles ;

- la protection par des chiens de protection de troupeau.

Dans ces deux zones, des moyens de protection peuvent être financés avec des fonds donnés par le FEADER (Fond Européen Agricole pour le Développement Rural). Les éleveurs doivent en faire la demande auprès de la DDT (Direction Départementale du Territoire).

Pour tenter d’évaluer l’efficacité des moyens de protection des troupeaux domestiques mis en place, une collecte de données auprès des services de l’Etat (DREAL, DRAAF, DDT) et une enquête de terrain auprès de 12 éleveurs représentatifs des milieux ovins viandes du massif alpin ont été effectuées.

L’efficacité des moyens de protection a été évaluée en considérant l’évolution de la fréquence des attaques et le nombre de bêtes tuées lors de chaque attaque. Ainsi plus globalement, l’efficacité a été estimée en considérant le cumul annuel des pertes de bétail (tableau 7).


Tableau 7 : indices d'attaques et dégâts associés sur les troupeaux utilisés pour évaluer l'efficacité des moyens de protection (De Roincé et Cornuau, 2016)

ICes différents indices permettent de mettre en évidence les zones les plus à risque de prédation et ainsi, y positionner des moyens de protection plus adaptés à chaque troupeau.

3. Contexte des attaques du loup

Les attaques du loup sur les troupeaux domestiques sont les plus fréquentes lors de l’apprentissage de la chasse par les louveteaux (entre les mois d’août et octobre) et occasionnent beaucoup de bêtes blessées et de pertes. En comparaison, lors de la période de mise bas des louves, peu d’attaques ont lieu.

Dans une meute, le mâle reproducteur organise la chasse, permettant d’assurer une meilleure prédation et limitant ainsi le nombre d’animaux tués. En présence de loups solitaires, la chasse n’est pas organisée ce qui aura pour conséquence de blesser de nombreuses bêtes. 

De jour, peu de bêtes sont tuées et les attaques engendrent peu de stress car le troupeau ne repère pas l’attaque. En effet, le prédateur attaque plutôt les animaux dans des zones où la visibilité est moins bonne, comme en forêt où il cible des individus se trouvant à l’écart du groupe.

De nuit, les attaques sont de forte intensité et génèrent un stress important pour le troupeau avec des conséquences sur le long terme tels que des avortements, une perte de productivité, et une moindre fécondité (De Roincé et Cornuau, 2016).

Au nord du Portugal, le loup prédate principalement le bétail domestique (Pimenta et al., 2018 ; Kuijper et al., 2019). Entre 2009 et 2015, 17670 actes de prédation y ont été rapportés. Les espèces domestiques les plus impactées étaient les moutons avec 31,7 % des prélèvements totaux. Venaient ensuite les vaches (27,7 %) et les chèvres (26,8 %). Les chevaux (14,8 %) complétaient ce régime alimentaire lors de la période considérée.

Une autre étude (Pimenta et al., 2017) a rapporté que les attaques de loups sur le bétail dans le nord du Portugal avaient triplé entre 1999 et 2013. Les attaques de loups se concentraient sur moins de 2 % des fermes. Parmi celles-ci, seulement 4 % faisaient l’objet de plus de dix attaques par an. Les troupeaux les plus impactés pâturaient en liberté et résultaient du regroupement de plusieurs élevages. Ces derniers ne représentaient que 25 % des élevages totaux mais environ 60 % des attaques du loup.

De plus, les éleveurs qui font pâturer les jeunes animaux de moins trois mois présentaient un taux d’attaque de 90 % environ (Pimenta et al., 2017).

Une autre étude (Torres et al., 2015) menée au centre du Portugal dans deux zones Natura 2000 a porté sur l’analyse des fèces des loups. Dans cette région également, le loup prédatait essentiellement des animaux domestiques. Les chèvres constituaient l’essentiel du régime alimentaire du loup (retrouvées dans 62 % des fèces), suivies par les vaches (20 %) puis les moutons (13 %). Le seul ongulé sauvage consommé était le sanglier, retrouvé dans seulement 4 % des fèces.

4. Efficacité prouvée des moyens de protection et efficacité renforcée dans la protection des troupeaux lors de la combinaison de ces moyens

Kuijper et al. (2019) ont remarqué que les loups montraient relativement peu de peur à l’égard des humains, comme l’avaient déjà noté Landry et al. (2014). Selon eux, il faut donc réinstaller la peur des humains chez ces canidés sauvages à l’aide d’outils non létaux. Cela peut se faire à l’aide de moyens aversifs ou dissuasifs pour décourager notamment les loups de s’approcher des troupeaux. Ces méthodes semblent cependant avoir un effet limité dans le temps car les prédateurs s’y habituent plus ou moins vite.

Dans la période d’étude située entre 2009 et 2014 (De Roincé et Cornuau, 2016), la prédation sur les troupeaux domestiques protégés en France a été moindre par rapport aux troupeaux non protégés.

L’efficacité de la protection augmente lorsque plusieurs moyens de protection sont combinés. Une diminution de l’intensité moyenne des attaques et du cumul annuel des pertes est constatée dès la mise en place d’un ou de deux moyens de protection. Pour baisser la fréquence des attaques, une association de trois à quatre moyens de protection est nécessaire.

Cependant, la fréquence des attaques sur une zone donnée peine à diminuer malgré la mise en place de moyens de protection. En effet, elle dépend principalement du contexte paysager où se trouve le troupeau et de la pression de prédation du loup dans cette zone.

Le paysage dans lequel le troupeau pâture influence l’efficacité des moyens de protection. En effet, certaines parcelles se situent sur des reliefs élevés et escarpés, difficiles à protéger par les dispositifs classiques. De plus, l’étude (De Roincé et Cornuau, 2016) montre que la garde du berger est moins efficace lorsque le relief augmente.

Le troupeau doit également s’adapter aux moyens de protection, les chiens notamment. Il faut en général plusieurs mois pour que les moutons ne se sentent plus stressés par le chien de protection. Pour constituer une meute de chiens efficaces ensemble dans leur travail, plusieurs années sont nécessaires en général.

L’étude menée par De Roincé et Cornuau (2016) montre que la garde par une présence humaine et les chiens de protection ont les meilleurs niveaux d’efficacité, contrairement à l’étude menée par Landry et al. (2014) dans le Parc National du Mercantour qui semblait indiquer que le loup ne craignait pas le berger. Néanmoins, l’expérience de l’éleveur jouerait un rôle important. En effet, le nombre d’années de pratique de l’éleveur dans la mise en place des moyens de protection s’est révélé important dans leur efficacité concrète.

Lorsque la taille du troupeau augmente, les moyens de protection sont moins efficaces, notamment ceux liés à la présence humaine. Une taille accrue des troupeaux est associée à un risque de prédation plus élevé (Pimenta et al., 2017). La prédation diminue lorsqu’un chien de protection est rajouté. Le parc de regroupement semble peu efficace car même s’il améliore l’efficacité de la garde, le nombre de victimes sera supérieur si le loup parvient à pénétrer dans l’enclos.

Au Portugal, Pimenta et al. (2017) ont montré que la protection des troupeaux la nuit en hiver permettait une réduction importante des attaques. Néanmoins, seulement un quart des troupeaux sont protégés. De plus, la prédation se concentrant principalement sur les jeunes de moins de trois mois présents au pré, les éleveurs doivent protéger spécifiquement cette catégorie d’animaux en les laissant à la ferme la nuit. Les auteurs promeuvent donc la surveillance par un berger et par un chien de protection de troupeau à l’instar de Roincé et Cornuau (2016), en plus de la mise en place d’une protection par des barrières.

Torres et al. (2015) pointent également le faible nombre d’ongulés sauvages au Portugal. Cette absence de proies sauvages a pour conséquence de réorienter la prédation du loup sur les ongulés domestiques. Un projet de réintroduction du chevreuil est en cours mais Torres et al. (2015) rappellent que la présence concomitante de plusieurs espèces de proies sauvages s’avère plus efficace pour diminuer la prédation sur le bétail plutôt qu’un seul type de proie. Néanmoins, la restauration de la population d’ongulés sauvages prend du temps. C’est pourquoi la mise en place de mesures de prévention demeure indispensable. Une sensibilisation du public concerné aux thématiques environnementales doit être réalisée pour permettre l’acceptation des loups par la population. La mise en place de chiens de protection de troupeaux semble être une mesure indispensable pour la protection du bétail.

Une autre conséquence de l’absence de faune sauvage pourrait être à terme l’extinction du loup dans ces régions. En effet, depuis plusieurs décennies, les zones rurales connaissent un exode de la population, ce qui engendre une diminution de la population de bétail, nourriture principale du loup. Or, le facteur principal du maintien de la population de loups dans une zone donnée est la disponibilité des proies (Eggermann et al., 2011). En l’absence de proies sauvages, combinée à la diminution du bétail, la population de loups pourrait chuter de façon importante.

5. Limites des moyens de protection

De Roincé et Cornuau (2016) ont montré que les moyens de protection étaient plus efficaces dans les alpages qu’au niveau des milieux intermédiaires (piémont et plateau à une altitude inférieure à 1500 mètres).

La DDT préconise un chien de protection pour la garde de 200 brebis. Les éleveurs en zone intermédiaire estiment qu’un chien est nécessaire pour protéger 100 brebis. Ces ratios sont difficiles à mettre en oeuvre pour les éleveurs possédant de grands troupeaux.

Comme nous l’avons évoqué précédemment, les parcs de regroupement doivent être suffisamment hauts et les barrières être placées à une hauteur ne laissant pas passer les loups en-dessous. Pour établir un conditionnement négatif du loup, le parc doit également être électrifié, ce qui nécessite l’utilisation de batteries solaires.

La recommandation est de déplacer les parcs tous les dix à vingt jours lors de pluie pour des raisons sanitaires notamment (éviter le piétin). Ce moyen de protection est considéré comme efficace lorsqu’il est utilisé en combinaison avec la présence d’un berger et d’un chien de protection. Si le loup parvient à pénétrer dans l’enclos, les impacts directs et indirects sur le troupeau seront beaucoup plus importants néanmoins qu’un troupeau laissé en pâture libre.

    B.BRACOT Transhumance Pyrénées

Dans l’étude, le berger est un maillon de la protection jugé comme efficace. Son efficacité est liée à la proportion du temps passé dans le troupeau et à son expérience des prédateurs.

Quant au chien de protection, il n’est pas efficace en permanence. En effet, le loup exerce sa pression de prédation jour et nuit, mais le chien a besoin de périodes de repos. Un chien est efficace pour surveiller un certain nombre d’animaux mais au-delà, il ne peut pas défendre correctement toutes les bêtes.

En dehors de ses capacités intrinsèques de protection, le chien de protection peut poser problème à l’éleveur lors de la phase de dressage et en cas de litiges avec des randonneurs. Le coût estimé d’un chien de protection par an est de 1000 euros environ. De plus, si le troupeau reste parqué en bergerie pendant l’hiver, le CPT devient momentanément inutile à la protection du troupeau et représente une perte financière pour l’éleveur (De Roincé et Cornuau, 2016).

En conclusion, les différents freins à l’adoption de mesures de protection sont le délai nécessaire à l’habituation du troupeau et les moyens financiers à engager.

De Roincé et Cornuau (2016) ont conclu que la combinaison des moyens de protection était efficace contre la prédation des loups. Il faut garder à l’esprit que les moyens de protection ne permettent pas une protection intégrale du bétail et que les outils utilisés pour défendre le troupeau peuvent présenter leurs propres défaillances (repos, maladie, coupure électrique etc…) à certains moments, rendant ainsi possible la prédation du loup. La protection des troupeaux n’est pas efficace à 100 % mais il convient néanmoins de la mettre en place lorsque les conditions d’élevage et de terrain le permettent, notamment en profitant des aides de l’Etat apportées, pour éviter le coût à la fois financier et moral d’une prédation sur les troupeaux.

Au Portugal, une autre limite pour diminuer la prédation des troupeaux est la faible population d’ongulés sauvages (Pimenta et al., 2018).

VIII. Conséquences globales de la prédation sur les troupeaux :

1. Impacts psychologiques directs et indirects liés à la prédation du loup

La prédation a des effets directs et indirects sur les troupeaux. En effet, en plus de la mortalité directe induite lors de l’attaque elle-même, la prédation provoque un stress chez l’animal qui engendre des avortements et une baisse de la fécondité notamment. Le poids moyen des animaux peut aussi avoir tendance à diminuer en cas d’actes de prédation répétés. Après avoir subi une prédation dans le troupeau, la pénibilité du travail pour le berger est augmentée du fait de la mise en place d’une garde permanente génératrice de fatigue nerveuse. L’impact psychologique des attaques de moutons sur les éleveurs s’est illustré lors de la prise en otage du directeur du Parc Naturel de la Vanoise en 2015 (Samuel, 2015). En effet, les éleveurs demandaient l’autorisation d’abattre cinq loups au coeur du parc (ce qui est interdit). Ils affirmaient alors avoir subi 130 attaques mortelles de bétail en 2015 contre 105 l’année précédente. Ils réclamaient également l’exclusion des loups de toutes les zones pastorales. En réponse à leur détresse, des chasseurs de loups ont été mis en place. L’éleveur doit également envisager une nouvelle conduite de son troupeau en réduisant notamment le temps passé en estives (pour éviter la prédation) ; par vue de conséquence, il doit acheter des fourrages supplémentaires pour pallier l’absence de pâturage (Landry, 2017g). Les chiens de berger protègent le troupeau mais peuvent avoir un effet stressant sur le bétail au début car les bêtes ne sont pas habituées à leur présence. La cohabitation avec le chien de protection peut aboutir à une diminution de la production laitière par exemple ou créer un état de stress permanent dans le troupeau le temps que les animaux se soient habitués au chien. En cas de litiges avec des randonneurs, la responsabilité de l’éleveur est engagée. Par ailleurs, en dehors du coût économique estimé par la suite, les chiens de protection demandent une éducation et un soin quotidien. Ce travail se rajoute à l’emploi du temps souvent chargé du berger.

Par ailleurs, une inquiétude subsiste sur la sécurité des hommes face aux loups, bien que les attaques du loup sur les humains soient très rares. La peur ancestrale du loup, toujours présente dans l’inconscient collectif, rend plus difficile encore son acceptation par les hommes. Vingt et une attaques de loups non atteints de rage dont quatre attaques létales sont recensées en Europe sur les 50 dernières années (Kuijper et al., 2019).

2. Nombre de victimes dues au loup et répartition géographique des victimes

Les données du portail GEOLOUP des dommages engendrés au 30 juin 2019 suite à la prédation des loups pour la première moitié de l’année 2019 sont les suivantes : 820 dommages établis, 2642 bêtes ayant fait un constat de dommages, 2125 animaux indemnisés.

En août 2018, 5184 victimes ont été indemnisées avec une large majorité de victimes situées dans la région Provences-Alpes-Côtes-d’Azur (PACA) (3451 victimes indemnisées) et dans la région Auvergne-Rhône-Alpes (1066 victimes indemnisées) (figure 44).

La tendance se maintient en 2019 avec une majorité des victimes dans les deux régions précitées mais les données sont a priori sous-estimées au moment de la rédaction de ce manuscrit ; il n’est donc pas possible de faire une comparaison du nombre de victimes entre les années 2018 et 2019.


Figure 44 : état des lieux du nombre de victimes prédatées par le loup dans la faune domestique entre janvier et août 2018. (DREAL et DRAAF Auvergne Rhône-Alpes, 2018)


En France, chaque loup tue en moyenne 30 bêtes par an (Science-et-vie.com, 2019). Ce chiffre est le deuxième plus élevé après celui de la Norvège. L’Italie qui compte pourtant l’équivalent de deux fois la population de loups française subit cinq fois moins de pertes annuellement.

Cette situation reste étonnante, du fait de la mise en place en place de moyens de protection en France, contrairement à la Norvège.

3. Conséquences économiques de la prédation des troupeaux

En Suède, en été, la majorité des troupeaux pâturent sur des terres non clôturées, comme en Norvège. Entre 2001 et 2013, les moutons ont été la proie domestique la plus attaquée avec environ 500 bêtes blessées ou tuées chaque année (le nombre de bêtes attaquées est doublé en Norvège). En 2013, la compensation annuelle totale pour les éleveurs a été de 250 000 euros. Il faut savoir, que contrairement à la France, la compensation financière pour les éleveurs intervient également lorsque le troupeau n’est pas protégé.

L’importance de la compensation financière (1600 euros pour une attaque sur une pâture d’été) n’encourage pas financièrement les éleveurs à prendre des mesures de protection. Le gouvernement suédois a donc mis en place des subventions pour l’installation de clôtures électriques à hauteur de 1,5 millions d’euros (Widman et Elofsson, 2018).

Les coûts de compensation financière sont positivement corrélés à la densité des proies : en effet, l’augmentation de 1 % de la densité du cheptel ovin se traduit par une augmentation de coût de compensation de 1,1 %. Ils sont également corrélés à l’augmentation du nombre de loups (augmentation des coûts de 0,4% pour un accroissement de 1 % des effectifs de loups).

Pour défendre les troupeaux contre la prédation du loup, des moyens de protection sont mis en place. Cette protection engendre néanmoins un coût pour l’éleveur, même si l’Etat français en prend en charge une partie. Un des moyens de protection le plus développé est l’acquisition de chiens de protection. Or, le coût de leur alimentation n’est pas négligeable.

En effet, leurs dépenses énergétiques quotidiennes sont très élevées et leurs besoins nutritionnels par conséquent, sont importants. Pour un chien de 50 kg, il faut estimer l’apport nutritionnel journalier à environ 1300 kcal, ce qui correspond à une quantité d’un kilogramme de croquettes par jour. En prenant des croquettes de qualité vétérinaire pour chiens stérilisés, le budget « croquettes » pour un animal à l’année varie entre 1200 euros et 1800 euros en moyenne. Aux dépenses de nourriture, il faut rajouter les frais de stérilisation et les frais vétérinaires au besoin.

L’Etat français prend en charge 80 % des frais lors de l’achat et de la stérilisation et rembourse 815 euros par chien par an. La totalité de l’achat des croquettes n’est donc pas remboursé. Une partie des croquettes, les vaccins et les antiparasitaires internes et externes sont donc assumés financièrement par l’éleveur.

La prédation engendre des frais en lien avec la perte soudaine d’animaux. En prenant la fuite, certains animaux peuvent tomber dans des ravins et risquent de ne pas être indemnisés car le constat de prédation ne pourra pas être fait. En effet, en moyenne, le CERPAM (Centre d’Etudes et de Réalisations Pastorales Alpes Méditerranée) estime que pour deux animaux constatés et indemnisés, il faut compter un animal disparu ou non indemnisable.

Les dispositifs d’aide à la protection des troupeaux sont financés par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, ainsi que par le Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural (FEADER). Ce financement permet de prendre en charge jusqu’à 80 % des frais liés à la protection des troupeaux (gardiennage, chiens de protection et parcs) (Ministère de la transition écologique et solidaire, 2018). Pour rappel, l’étude Terroïko (De Roincé et Cornuau, 2016) a montré que :

- Dans les zones nouvellement colonisées par le loup, les moyens de protection permettent de diminuer la fréquence des attaques et le nombre de victimes lors d’attaques ;

- La prédation sur les troupeaux protégés est moindre que celle sur les troupeaux non protégés ;

- Les moyens de protection sont efficaces lorsqu’ils sont utilisés en combinaison. Pour protéger efficacement le troupeau, il faut au moins trois moyens de protection associés ;

- Les moyens de protection les plus efficaces sont la garde par un humain et par les chiens de protection.

Suite à un dommage sur son troupeau, l’éleveur doit contacter la Direction Départementale des Territoires (DDT). Un agent de l’ONCFS est envoyé sur le terrain pour faire le constat. Le dossier est ensuite transmis à l’organisme payeur mandaté par le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire (MTES) et par l’agence de services et de paiement (ASP).

A la fin de toutes ces étapes, 88,7 % des constats sont indemnisés (Ministère de la transition écologique et solidaire, 2018).

La plupart des victimes de la prédation domestique du loup sont des ovins (94 %). L’indemnisation prend en compte différents types de pertes : les pertes directes (57 % du montant versé pour les indemnisations), les pertes indirectes (30 %) et les animaux disparus (13 %). Le plan loup 2018-2023 prévoit de prendre en charge en totalité le coût du berger salarié, de cotiser à hauteur de 80 % pour les chiens de protection et les parcs électrifiés de regroupement et de pâturage (Ministère de la transition écologique et solidaire, 2018).

L’étude réalisée dans le Montana (Lance et al., 2010) utilisant des « fladry » électrifiés s’est intéressée également aux coûts de la mise en place d’un enclos électrifié de 14 kilomètres de long. En moyenne, chaque kilomètre de « fladry » électrifié coûtait 2032 dollars et requérait 31,8 heures de travail par personne pour l’installer. Dans les zones étudiées, les éleveurs subissaient certes de la prédation sur leurs troupeaux mais le nombre de proies prélevés restait faible, c’est pourquoi l’investissement de barrières électriques ne leur apparaissait pas vraiment profitable. Les éleveurs préféraient donc protéger leur troupeau avec des « fladry » non électrifiées.

Néanmoins en dépit du prix élevé des barrières électrifiées, Lance et al. (2010) rappellent qu’il ne faut pas mettre de côté cette protection qui permet d’éviter des pertes de bétail, ces dernières ayant aussi des conséquences psychologiques non négligeables pour les éleveurs.

En prédatant les troupeaux domestiques, le loup impacte le troupeau mais aussi, à une plus large échelle la survie de ce type d’élevage en général. Parfois, en dépit de la mise en place de moyens de protection, le loup continue sa prédation sur certains élevages. Les éleveurs peuvent avoir la possibilité d’éliminer l’animal responsable, sous certaines conditions codifiées au préalable dans le plan loup.

IX. Le contrôle létal contre les loups permet-il de réguler la prédation ?

En dépit de nombreuses recherches et d’efforts en matière de conservation, la pression anthropique à l’échelle mondiale menace toujours 28 grands prédateurs, et 61 % des espèces sont menacées d’extinction. Les interventions humaines se doivent d’être le moins invasives possible, c’est-à-dire limiter au maximum les contacts directs avec les prédateurs.

1. Le loup, une espèce protégée à différents niveaux

Au niveau international, le loup figure en annexe II de la CITES (Convention Internationale sur le commerce des espèces en danger) en tant qu’espèce réglementée.

  OFB Sophie RODRIGUEZ

Concernant son statut européen, le loup est une espèce figurant en annexe II de la convention de Berne établie en 1979, relative à la conservation de la flore et faune sauvages et du milieu naturel, ratifiée par la France en 1989.

Quant à son statut communautaire, le loup figure dans les annexes II et IV de la directive européenne sur la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (dite directive Habitat Faune Flore CEE 92/43) du 21 mai 1992 où il est classé « espèce prioritaire d’intérêt communautaire ». La mise à mort des loups est interdite et leur braconnage doit être prévenu de façon efficace. Il est interdit de déranger les loups et de détruire leur site de naissance et d’éducation (tanière, site de rendez-vous) (Kuijper et al., 2019).

Le loup est une espèce strictement protégée en France au niveau national par un arrêté ministériel établi le 22 juillet 1993 mis à jour le 23 avril 2007, ce qui implique que la France doit veiller à la conservation de l’espèce et de ses habitats.

2. Le Loup, une espèce réellement protégée en France ? Etat des lieux du Plan National d’Actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage

Des dérogations strictes à la protection du loup sont prévues sous trois conditions :

- cette dérogation ne doit pas nuire au maintien de l’espèce dans un état de conservation favorable ;

- la dérogation doit s’inscrire dans un cadre prédéfini visant à prévenir des dommages importants à l’élevage ;

- aucune autre solution satisfaisante pouvant être mise en oeuvre n’existe (Ministère de la transition écologique et solidaire, 2018).

Dans le cadre de cette dérogation, trois types de tirs peuvent être réalisés pour défendre les troupeaux : les tirs de défense, les tirs de défense renforcée et les tirs de prélèvement.

- Le tir de défense est un droit pour les éleveurs dont les troupeaux sont protégés ou reconnus comme ne pouvant pas être protégés. Ce tir peut être réalisé lors d’une situation d’attaque et vise à toucher le loup prédateur. Ce tir peut conduire à l’abattage du loup prédateur. Au préalable, il est préférable de réaliser des tirs d’effarouchement qui ne visent pas le loup afin de dissuader le loup de s’approcher du troupeau. Le tir de défense est donc utilisé en cas d’attaque récidivante d’un loup sur un troupeau dans le but d’arrêter sa prédation. Les tirs de défense sont possibles toute l’année et peuvent être réalisés par les éleveurs (Ministère de la transition écologique et solidaire, 2018) ;

- Le tir de défense renforcée : il est possible lorsqu’un troupeau a subi au moins trois attaques successives au cours des douze derniers mois malgré la mise en oeuvre de tirs de défense. Ce tir est possible également lorsqu’un troupeau se situe dans une commune où au moins trois attaques ont été constatées les douze derniers mois sur des troupeaux ayant mis en oeuvre les tirs de défense. Pour les tirs de défense renforcée, l’éleveur est accompagné de lieutenants de louveterie et de la brigade « anti-loups » de l’ONCFS. Ces tirs ont pour but de viser et tuer l’animal prédateur.

Les tirs de défense ne sont pas autorisés dans le coeur des parcs nationaux. Contrairement aux tirs de défense, les tirs de défense renforcée peuvent être suspendus du 1er septembre au 31 décembre en fonction des quotas d’abattage prévus. Il en est de même pour les tirs de prélèvement ;

- Les tirs de prélèvement ne sont pas destinés à protéger un troupeau en particulier mais ils permettent de tuer un ou plusieurs loups dans une zone définie. Ces tirs sont mis en oeuvre par des chasseurs sous contrôle de l’ONCFS, par des lieutenants de louveterie ou par la brigade « anti-loups ». Ces tirs peuvent avoir lieu pendant un mois après autorisation par le préfet coordonnateur.

- Les tirs de prélèvement renforcé ne sont pas forcément mis en oeuvre dans des zones où se trouvent des troupeaux. Ils sont opérationnels pendant six mois et sont réalisés par les mêmes opérateurs que les tirs de prélèvement simple, ainsi que par des chasseurs qui peuvent réaliser ces tirs lors de leur chasse (Ministère de la transition écologique et solidaire, 2018).

Le 26 juillet 2019, un arrêté ministériel expérimental est mis en place. Le but est d’adapter le dispositif de tirs afin de le rendre plus pertinent dans les zones subissant la pression de prédation la plus forte.

En plus des cercles I et II, un cercle 0 a été créé afin de renforcer la protection des troupeaux en adaptant le protocole d’intervention sur la population de loups. Le cercle 0 correspond aux communes ayant subi plus de quinze attaques par an sur les trois dernières années, ou les communes enclavées qui ont un risque de prédation élevé. Le cercle 0 concerne donc 30 % des éleveurs attaqués entre 2016 et 2018, soit l’équivalent d’environ 670 éleveurs (qui représentent à eux seuls plus de 45 % des attaques de troupeau indemnisées entre 2016 et 2018) (DREAL et DRAAF Auvergne Rhône-Alpes, 2019a). Le cercle 0 est associé à une pression de prédation importante, aussi des tirs spécifiques sont permis dans cette zone :

- Le tir de défense mixte a été mis en place : il s’agit d’un tir de défense où se trouvent trois tireurs en simultané. Ce tir est autorisé dans les troupeaux où les moyens de protection ont été mis en place ou dans les zones où il est reconnu que le troupeau ne peut être protégé ; ce tir a pour but l’abattage du loup réalisant une pression de prédation élevée (DREAL et DRAAF Auvergne Rhône-Alpes, 2019a).

• Impacts de ces tirs sur la population de loups

En 2019, le plafond prévu de loups prélevés au début de l’année était de 43 loups. Au 7 juin, il a été porté à 53 bêtes. Au 8 juillet 2019, 45 loups sont décomptés du plafond des 53 spécimens prévus pour l’année civile 2019. Seize loups ont été retrouvés morts de cause naturelle, accidentelle ou indéterminée. Ces derniers ne sont pas décomptés du plafond précité.

Au 26 juillet 2019, un arrêté ministériel indique que 17 % de la population de loups estimés, soit 90 individus, peuvent être tués alors que jusqu’à présent, il était admis que le seuil de prélèvements, pour que la population demeure biologiquement viable, devait être de 10%. L’arrêté précise que ce taux peut monter à 100 individus, soit 19 % de la population par arrêté du préfet coordonnateur pour réaliser des tirs de prélèvement simple en cercle 0 (DREAL et DRAAF Auvergne Rhône-Alpes, 2019b).

Le 12 septembre, l’arrêté 19-247 du préfet coordonnateur (préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes) permet d’augmenter le plafond d’abattage à 100 loups. Les prélèvements peuvent se faire par tir de défense simple, tir de défense renforcé et tir de défense mixte. Les tirs de prélèvement simple dans le cercle 0 ou dans le cercle 1 en cas de ZPP non établie en meute sont également possibles lorsque des dommages exceptionnels ont été constatés au cours de l’année précédente (Le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes, 2019).

Au 27 septembre, 93 loups ont déjà été abattus et par conséquent décomptés du plafond des 100 loups autorisés.

3. Viabilité de la population de loups en France à l’horizon 2025-2030 et sur le long terme

Au vu des derniers chiffres énoncés, la population de loups est fortement régulée en France et l’on est à même de s’interroger sur la viabilité de cette espèce sur le long terme.

Beudels-Jamar et al. (2017) rappellent que « le placement du loup dans l’annexe IV de la directive Habitats a pour conséquence que l’abattage du loup est autorisé bien que strictement encadré dans un cadre légal très précis, à condition qu’aucune autre solution satisfaisante existe et que le maintien de la population de loups ne soit pas mis en danger. »

Pour rappel, en 2019, la population de loups en France a été estimée à 530 loups, ce qui a conduit initialement à l’autorisation d’abattage de 53 individus. Ces individus sont abattus par tir de défense ou de prélèvement lors de situation de prédation excessive dans une zone donnée. Ce tir d’opportunité ne tient pas compte des caractéristiques du loup (reproducteur ou non, gestant ou non, mâle ou femelle, statut au sein de la meute). Le gouvernement a ensuite autorisé l’abattage de 100 loups soit 19 % de l’effectif national. Les associations de protection du loup (FERUS par exemple) ont déposé un recours au Conseil d’Etat car ces taux sont supérieurs aux seuils de viabilité de la population de loups définis auparavant (DREAL et DRAAF Auvergne Rhône-Alpes, 2019a).

Pour tenter d’évaluer si les nouveaux seuils de mortalité établis par le gouvernement portent effectivement atteinte à la population de loups, une étude a été réalisée.

L’étude de Beudels-Jamar et al. (2017) définit la viabilité démographique comme « l’aptitude de la population à résister à moyen terme (100 ans) au risque d’extinction par les aléas de survie et de fécondité ».

La viabilité d’une population est influencée par le nombre d’individus total et par la corrélation existant entre le taux de croissance de la population et la mortalité totale de cette même population. Au-delà d’une valeur seuil moyenne de mortalité de 34 %, le modèle utilisé dans cette étude prédit une décroissance des effectifs : le nombre de prélèvements létaux de loups chaque année est donc calculé de façon à éviter une extinction de la population.

En France, la survie moyenne de la population de loups calculée à partir des données recueillies entre 1995 et 2013 varie de 73 % à 82 %. Le taux de mortalité moyen toutes causes confondues avant la mise en place de l’augmentation significative des prélèvements était donc de 22 %, en tenant compte du prélèvement de dix pourcents de la population de loups.

En théorie, la taille minimale viable d’une population correspondrait à l’effectif le plus faible à partir duquel le risque d’extinction serait considéré comme acceptable. Ce risque « acceptable » correspondrait à un risque de dix pourcents de voir la population s’éteindre dans le siècle à venir. Ce chiffre est généralement un consensus accepté par des organismes tels que l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).

Le nombre minimum de loups à préserver pour que la population soit exposée à moins de 10 % de risques de disparaitre à l’horizon de 100 ans (viabilité démographique) dépend de manière prépondérante de la croissance démographique de cette population (Beudels-Jamar et al., 2017). Le seuil minimal de viabilité de la population de loups en France, (définie comme le risque d’extinction de 10 % à l’horizon de 100 ans) est de 400 à 500 animaux pour un taux de croissance correspondant à une population stable (le taux de croissance représente la mesure de la variation de l’effectif d’une population donnée pour un territoire donné, sur un temps donné) (Beudels-Jamar et al., 2017).

En 2017, dans son état actuel, il est possible de dire que la population de loups en France est biologiquement viable (Beudels-Jamar et al., 2017).

En 2019, la France a donc atteint son seuil minimal de viabilité avec une population de 530 individus. Néanmoins, l’augmentation des prélèvements létaux peut conduire à l’extinction de la population sur le court terme si la croissance de la population reste stable, puisque le seuil de dix pourcents de prélèvements jusqu’alors utilisé et qui permettait d’assurer la viabilité de la population de loups pour 100 ans, a été réhaussé à 19 %. Les associations de protection du loup portent plainte contre cette nouvelle mesure pour « atteinte à la biodiversité ».

4. Conséquences des actions létales sur la biologie de l’espèce

La meute est une entité sociale structurée comme nous l’avons vu précédemment ; aussi la disparition soudaine par abattage d’un des deux individus reproducteurs peut-elle désorganiser une petite meute. Par exemple, l’inhibition de la reproduction exercée par la femelle reproductrice jusqu’alors peut cesser et le nombre de naissances augmenter quand bien même les ressources alimentaires sont limitées, ce qui peut mener à la perte d’individus de la meute et la déstructurer complètement (Landry, 2017c).

L’étude menée par Zimmermann et al. (2015) montre que l’abattage de loups n’est pas toujours efficace sur la prédation. En effet, cette étude montre qu’avec une abondance d’élans moyenne sur le territoire, les meutes dont la taille ne dépasse pas deux animaux tueraient au moins trois fois plus de bêtes qu’il leur est nécessaire. Ainsi, le fait de retirer deux jeunes loups d’une meute a un impact mineur sur la prédation, comparé à l’action de retirer un couple de loups vivant à deux seulement. Il est donc préférable de ne pas réduire la taille des meutes au profit de plus petites meutes qui ont davantage tendance à effectuer du « surplus killing ».

Lors du Programme Prédateurs Proies (Anceau et al., 2015), une des louves suivies était en pleine phase de déstructuration sociale de la meute car la louve reproductrice avait été braconnée. Par comparaison avec les autres louves, cet individu qui a été suivi plus longtemps, a prédaté moins de proies au total et a régulièrement été observé en train de se nourrir sur des charognes. Le braconnage a engendré un éclatement de la meute et la chasse ne s’est plus faite de façon organisée.

Kuijper et al. (2019) appuient ces propos. En effet, la diminution de la taille de la meute de loups, soit par tirs létaux autorisés, soit par braconnage, a les mêmes répercussions sur la prédation du loup avec une réorientation de celle-ci sur des proies plus faciles à attraper, comme le bétail. Le braconnage reste largement pratiqué dans les régions où la prédation du loup sur les troupeaux domestiques est importante (Sonne et al., 2019). Par exemple, dans le Wisconsin (Etats-Unis d’Amérique), cette pratique illégale était estimée entre 39 et 45 % pendant les années 1979 et 2012. En Scandinavie, le loup est également largement braconné (Mech, 2017). En effet, la population de loups actuelle a été limitée à un quart de ce qu’elle serait actuellement en l’absence de braconnage. En Italie, 15 à 20 % des loups sont tués de façon illégale ou accidentelle.

En plus d’agir sur la biologie de l’espèce à court terme, le contrôle de la population peut réduire la diversité génétique et conduire à de la consanguinité et de l’hybridation. Ces deux menaces sont importantes à prendre en compte dans la viabilité au long terme de la population (Kuijper et al., 2019).

5. Conséquences sur le bétail des actions létales engendrées contre le loup

Wielgus et Peebles (2014) ont cherché à montrer l’effet de la mortalité des loups sur le nombre de prédations du bétail en Idaho, Montana et Wyoming (Etats-Unis d’Amérique) entre 1987 et 2012. Durant cette période, le nombre de vaches et de moutons prédatés ont été comptabilisés. Des estimations de la population de loups et du nombre de couples reproducteurs ont été réalisées. Le nombre de loups tués dans chaque état a également été comptabilisé. Ces derniers ont été tués par des propriétaires de bétail légalement ou par le gouvernement dans l’objectif de contrôler les populations et les prédations.

Le nombre total de bétail attaqué entre janvier 1987 et décembre 2012 a été de 5670 bêtes au total : 1873 bovins et 3723 moutons.

L’étude (Wielgus et Peebles, 2014) a montré que le nombre de couples reproducteurs était positivement corrélé au nombre d’animaux de rente prédatés. Pour chaque couple reproducteur supplémentaire, la moyenne estimée du nombre de têtes de bétail prélevées l’année suivante augmentait de huit à neuf pourcents. Chaque loup supplémentaire sur le territoire accroissait le nombre moyen de moutons prédatés de 6 %. Il faut également noter qu’un couple peut attaquer les bovins alors qu’un loup seul peut s’attaquer à un mouton.

Mais l’étude a montré également que le nombre d’ongulés domestiques prédatés était associé positivement et de façon significative (p<0,0001) au nombre de loups tués l’année précédente. En effet, pour chaque loup tué, le nombre de bovins prédatés l’année suivante augmentait de 5 à 6 % en moyenne. Concernant la population de moutons, en moyenne 4 % de moutons supplémentaires étaient occis l’année n+1 pour chaque loup tué l’année n.

Des modèles mathématiques ont été réalisés et ont montré que le nombre de prédations du bétail augmentait avec la mortalité des loups jusqu’à un seuil de 25 % de loups tués. Au-delà de ce chiffre les prédations diminuent.

Les résultats de cette étude (Wielgus et Peebles, 2014) ne concordent pas avec la méthode existante qui consiste à tuer les prédateurs pour espérer une diminution de la prédation du bétail l’année suivante. Au contraire, le contrôle létal des loups semble être associé à des prédations augmentées dans une plus grande zone l’année suivante.

Le contrôle de la population de loups serait donc associé à une réduction de la prédation à l’échelle de la meute ciblée mais entrainerait une prédation paradoxalement accrue à l’échelle plus large de la population de loups.

Différents facteurs influencent le bétail prédaté l’année (n+1) par les loups

- le nombre de loups tués par les humains l’année n dans le but de contrôler la population ;

- le nombre de couples reproducteurs présents ;

- la population minimale de loups ;

- la population de bétail sur le territoire.

Wielgus et Peebles (2014) démontrent que le contrôle létal de la population de loups pour réduire la mortalité du bétail n’est pas efficace, bien au contraire ! La population de bétail attaquée s’accroit l’année suivante tant que la mortalité de la population des loups n’atteint pas 25 %. Le taux de croissance moyen de cette espèce dans les régions de l’Idaho, du Wyoming et du Montana est environ de 25 %. Au-delà de ce seuil de loups tués, la population de loups décline, les couples reproducteurs sont moins nombreux d’où une moindre prédation sur le bétail. Cependant il faut noter que des taux de mortalité supérieurs à 25 % ne permettent pas la viabilité de la population de loups sur le long terme !

Par ailleurs, si le contrôle létal intervient pendant la saison de mise bas et qu’un membre du couple reproducteur est tué, alors la meute peut devenir instable et cela peut augmenter le nombre de couples reproducteurs. Le groupe peut être dissout également, conduisant alors à la formation de meutes de plus petite taille qui vont réorienter leur recherche de nourriture en s’attaquant plus fréquemment au bétail.

Ainsi, le contrôle létal de la prédation des loups peut-il parfois être nécessaire pour stopper les prédations sur le court terme mais des méthodes alternatives non létales sont recommandées (Wielgus et Peebles, 2014)

Conclusion

La prédation chez le loup (Canis lupus) est un acte complexe et structuré qui engage des capacités physiques, anatomiques, cognitives et sociales assez exceptionnelles. Le prédateur vit préférentiellement en meute, qui est une unité sociale qui chasse, élève les jeunes et protège un territoire commun, en tant que groupe stable. C’est une cellule familiale, constituée du couple reproducteur, des louveteaux de l’année et des sub-adultes. La prédation chez le loup a pour objectif premier la survie de la progéniture, et chaque membre de la meute assure ce rôle de nutrition et participe au développement et à l’éducation des louveteaux.

L’acte de prédation en lui-même répond à un schéma parfaitement établi et la séquence de prédation est enseignée aux jeunes par le jeu notamment. Le loup est un animal social, capable de coopération avec les individus de son groupe, c’est pourquoi la chasse est effectuée préférentiellement en meute puisqu’elle permet la capture de proies de plus grande taille et qu’elle assure un succès de prédation plus important. Le prédateur possède une forte détermination car la traque peut durer des heures, se solder par un échec et le loup peut être gravement blessé à l’issue de celle-ci.

En dépit de son caractère social, le loup sait vivre aussi de façon solitaire. Il devient alors un prédateur opportuniste, toujours capable de chasser des proies sauvages de grande taille mais avec moins de succès qu’en groupe.

Le loup considère les proies qui lui sont profitables, c’est-à-dire lui procurant un gain énergétique suffisant par rapport à l’énergie dépensée pour les chasser. Aussi, les loups sont-ils amenés à chasser des animaux de taille différente : leur panel de proies s’étend du lièvre arctique à l’élan. En cas de pénurie, les loups, prédateurs éclectiques se rabattent sur des petits rongeurs, des amphibiens voire des baies mais surtout ils savent retrouver leurs caches alimentaires où ils ont dissimulé la nourriture en excès récupérée au cours des actions de chasse antérieures.

Le loup est capable d’affiner sa stratégie de prédation en fonction de la disponibilité et de la vulnérabilité des proies. Aussi, lors d’hiver rigoureux, certains animaux moins prudents et moins habiles à se déplacer sur la neige, constituent un repas de choix pour les loups. Cependant, si le prédateur est capable d’adapter sa prédation aux conditions climatiques, les proies sont aussi capables de s’habituer à la présence du loup et d’ajuster leur niveau de vigilance pour échapper aux prédateurs : un équilibre s’établit alors entre prédateurs et proies.

Acteur majeur de la biodiversité dans le parc du Yellowstone depuis sa réintroduction en 1995, le loup a généré une série de changements bénéfiques pour l’environnement local en permettant le retour d’espèces animales disparues de ce territoire grâce à la prédation des cervidés notamment. Il a aussi permis une reprise de la végétation dans des zones rendues arides sous l’effet du surpâturage.

Des études réalisées dans plusieurs pays ont montré que la prédation des loups n’avait pas d’impact négatif sur la population d’animaux sauvages car, normalement, le loup prélève uniquement la quantité dont il a besoin pour couvrir ses besoins. Ce propos peut être nuancé car parfois, le loup tue davantage que nécessaire. Ces cas de « surplus killing » de la faune sauvage restent très rares ; aussi le loup n’impacte-t-il pas négativement la faune sauvage et doit-il être plutôt considéré comme un acteur indispensable du maintien de la biodiversité par son rôle de régulation des populations d’ongulés.

    AFP Pascal.Guyot

En France, pays où le loup a été chassé pendant des siècles, son retour par les Alpes-Maritimes en 1992 n’a pas été de bon augure pour bon nombre d’éleveurs.

Depuis son retour, le loup a multiplié ses effectifs et a su agrandir son territoire au fil des années. Bien qu’il se nourrisse principalement de proies sauvages, il n’hésite pas à chasser les proies domestiques pour se nourrir lorsqu’elles lui sont plus profitables. Parfois, la séquence comportementale de chasse reste enclenchée et le prédateur provoque de nombreux dégâts sur le troupeau et blesse plus d’animaux qu’il n’en a nutritionnellement besoin, sans forcément aller jusqu’à leur mise à mort. Ces cas de « surplus killing » sont mal perçus par les éleveurs, du fait de leur investissement personnel auprès des troupeaux dont ils réalisent la garde et le suivi, et ces incidents déclenchent des conflits sévères entre défenseurs du loup et éleveurs.

Cette opposition conflictuelle est même devenue un débat politique avec la mise en place de quotas de chasse du loup par le ministère de l’agriculture en réponse au lobby agricole. L’Etat a donc permis la mise en place de tirs létaux contre les loups. Certains tirs peuvent parfois sembler justifiés, c’est le cas notamment des tirs de défense effectués par l’éleveur lorsque son troupeau se retrouve attaqué à plusieurs reprises. Cependant, les autres tirs ne respectent pas la biologie de l’espèce puisque des tirs de prélèvement peuvent être effectués, et aboutir à la mort d’un loup sans que l’animal n’ait été observé sur des actes de prédation de faune domestique.

Aussi, un loup n’attaquant pas le bétail peut-il être retiré de la population par tir létal alors que le prédateur régulait la faune sauvage socle et agissait alors en faveur de la biodiversité. Par contre l’animal qui prédatait effectivement les troupeaux n’est pas neutralisé et pourra continuer ses actes de chasse.

Ces tirs ne sont pas neutres et impactent la biologie de l’entité familiale définie comme la meute. En effet, un équilibre existe au sein de cette unité et le retrait d’un individu peut conduire à la dispersion des autres individus du groupe. Or, les loups solitaires choisissent de chasser les proies qui leur sont plus profitables énergétiquement, ils auront alors pour dessein de chasser préférentiellement les proies domestiques.

Pour diminuer la profitabilité du bétail, des moyens de protection sont mis en oeuvre et financés en grande partie par l’Etat, afin de réussir à trouver un compromis entre les activités d’élevage et le maintien de la biodiversité.

Pour tenter de résoudre le conflit, de nombreux chercheurs ont tenté de comprendre la biologie de cette espèce et de décortiquer ses actions de prédation. Des études ont alors été faites : en observant le comportement du loup, en filmant des séquences de prédation dans la nature. C’est seulement en essayant de mieux connaître ce grand prédateur et en évitant l’anthropomorphisme que nous serons capables de trouver une forme de cohabitation entre le loup et les hommes.


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Annexe 1 : : Analyse de la diversité du régime alimentaire du loup (Neault, 2003)

Annexe 2 : dommages faits sur le bétail par les loups en 2019 (DREAL et DRAAF Auvergne Rhône-Alpes, 2019a)

Annexe 3 : suivi des prélèvements de loups en 2019 (DREAL et DRAAF Auvergne Rhône-Alpes, 2019b)

Annexe 4 : Arbre phylogénétique du loup (Canis lupus lupus) et du chien (Canis lupus familiaris) (Landry, 2017)

PRÉDATION CHEZ LE LOUP : COMPORTEMENT DE CHASSE, FACTEURS DE VARIATION, COMPARAISON PRÉDATION FAUNE SAUVAGE-FAUNE DOMESTIQUE

AUTEUR : Anne-Cécile GILBERT

RÉSUMÉ :

La prédation chez le loup (Canis lupus lupus) est un acte organisé, répondant généralement à un schéma précis (localisation et approche de la proie, poursuite, capture et mise à mort).

L’anatomie, la physiologie et les différents sens du loup sont particulièrement adaptés à la prédation ; le loup peut repérer des proies à des kilomètres lorsque le vent lui est favorable grâce à son odorat développé. Sa vision diurne, crépusculaire et nocturne lui permet de repérer ses proies et de les chasser à tout moment, jour comme nuit. Le prédateur possède des capacités de course très développées : son endurance lui permet de prolonger la poursuite de ses proies sur des kilomètres et sa vélocité lui permet de les capturer.

Les capacités cognitives du loup contribuent également à ses performances. Prédateur opportuniste, il repère les proies les plus profitables. De surcroît, il vit en meute, structure sociale organisée pour la chasse et l’élevage des louveteaux. Grâce à la coopération entre ses différents membres et la répartition des rôles de chacun, la meute permet la capture de proies de grande taille. Elle assure un approvisionnement régulier à tous et notamment à la progéniture.

Lorsque les proies sauvages de grande taille viennent à manquer, le loup se rabat sur d’autres espèces. Si le bétail domestique est présent en forte densité et facilement accessible, il devient une proie idéale. Cette prédation est problématique pour les éleveurs à cause des pertes engendrées, ainsi que par l’impact économique et psychologique qu’elle représente pour les éleveurs. Des tentatives de protection des troupeaux sont mises en place et ont été évaluées. Certains troupeaux demeurant la cible privilégiée des loups malgré ces protections, le gouvernement a dû mettre en place des tirs létaux afin d’arrêter le cycle incessant de prédation. Le nombre possible de ces tirs est étudié afin de ne pas compromettre la viabilité de la population lupine française au long terme, mais la pression des éleveurs victimes de prédation a pour conséquence l’augmentation des quotas de prélèvement de l’espèce lupine qui demeure une espèce protégée.

MOTS CLÉS :

MEUTE – COMPORTEMENT- PREDATION – PROIE – FAUNE SAUVAGE – TROUPEAU DOMESTIQUE – LOUP – CANIS LUPUS


Les illustrations et ou photos apportées par ou reprises de Robert Wojciechowski, le texte est intégral et non modifié de Mme Francine Gilbert

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