13 mai 2023

GRANDS PREDATEURS -SOLUTIONS-DEFIS

 

   WWF France

L’objectif principal de ce document est d’exposer l’envergure de ce conflit entre les Hommes et les grands carnivores, et les solutions dans différents contextes socioculturels et économiques, et ainsi comprendre les défis que doivent relever les biologistes s’attaquant à cette problématique. 

En premier lieu, l’importance des carnivores dans les écosystèmes ainsi qu’une introduction des différents conflits pouvant survenir avec les humains sont exposées afin de bien saisir l’ampleur de la problématique. Ensuite les différentes solutions qui ont été développées afin de réduire ou éliminer le conflit sont décrites dans le deuxième chapitre. Le troisième chapitre décrit plus spécifiquement trois études de cas où des scientifiques se sont penchés sur le conflit et ont tenté, par différents moyens adaptés à la situation locale, de le résoudre. Finalement, des pistes de recommandations sont abordées afin de progresser la résolution des conflits entre les communautés locales et les carnivores.

Traduction Deepl et illustrations Robert Wojciechowski

Chapitre 1

Introduction aux conflits Hommes-Carnivores

Ce chapitre présente d’abord une définition et une description des carnivores, et définit leur importance dans les écosystèmes naturels, afin de mieux saisir les différentes sources de conflits entre l’Homme et ces animaux. Ensuite, les conflits qui peuvent survenir et mettre en jeu la conservation des carnivores sont décrits. La perception des carnivores de la part des communautés locales peut varier grandement et venir influencer les activités de conservation ou de recherches menées par les scientifiques.

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1.1 Les carnivores

Le phylum Carnivora est l’ordre de la classe des mammifères composé d’espèces possédant une dentition carnassière adaptée pour la prédation (quatrième molaire supérieure et première molaire inférieure spécialisées, en plus de canines bien développées) (Ewer, 1973; Feldhamer et al., 2007; Gittleman, 1989). Bien que plusieurs des espèces faisant partie de l’ordre soient des prédateurs, certaines ont plutôt évolué en intégrant en partie, ou totalement, des espèces végétales dans leur diète, tel que l’on peut l’observer chez le panda géant (Ailuropoda melanoleuca) qui se nourrit de bambou (Ewer, 1973; Gittleman, 1989). On retrouve, au sein du phylum Carnivora, une très grande variabilité interspécifique et intraspécifique, que ce soit au niveau de la taille corporelle ou du domaine vital, du type d’habitat fréquenté, du taux de reproduction ou de la structure sociale des populations (Ewer, 1973; Gittleman et al., 2001). Cette variabilité est la plus importante de tous les ordres des mammifères et a procuré aux Carnivores une résistance aux extinctions multiples que d’autres groupes ont subies au cours de leur évolution (Gittleman, 1989; Gittleman et al.,2001). 

Malgré cette stabilité historique, plusieurs espèces de carnivores possèdent des traits biologiques qui les rendent vulnérables à l’extinction, spécialement depuis la domination de l’Homme sur la Terre (Gittleman et al., 2001; Miller et al., 2001; Noss et al., 1996).

L’ordre Carnivora contenait, en 2008, 280 espèces vivantes répertoriées (UICN, 2009). La phylogénie varie sensiblement selon les auteurs, mais on retrouve généralement les mêmes quinze familles toujours existantes (Feldhamer et al., 2007; Wozencraft, 2005). L’ordre Carnivora se divise en deux sous-ordres : Feliformia (relatif à une forme féline, ou de chat) et Caniformia (relatif à une forme canine, ou de chien) (Feldhamer et al., 2007). On retrouve six familles féliformes : les Felidae (chats), Herpestidae (mangoustes), Hyaenidae (hyènes), Viverridae (civettes), Eupleridae (mangoustes de Madagascar), Nandiniidae (civette palmiste africaine) et neuf de caniformes : Canidae (chiens), Ursidae (ours), Mustelidae (belettes), Procyonidae (ratons laveurs), Mephitidae (moufettes), Ailuridae (panda roux), Odobenidae (morses), Otariidae (phoques à oreilles), Phocidae (phoques sans oreilles) (Feldhamer et al., 2007).

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1.1.1 Les grands carnivores

Le terme « grand carnivore » ou « grand prédateur » est généralement associé aux espèces de l’ordre Carnivora se nourrissant de chairs et pesant plus de vingt kilogrammes, tels que le sont les grands félins (par exemple, guépard, Acinonyx jubatus; léopard, Panthera pardus; tigre, Pathera tigris) et certains canidés (loup gris, Canis lupus). La masse critique servant à différencier les grands carnivores de ceux de moyennes tailles varie selon les auteurs, mais la valeur de vingt kilogrammes (ou 21,5 kg) est la plus souvent retrouvée (Carbone et al., 1999; Mills, 1991; Murray et al., 1999; Noss et al., 1996; Radloff et Du Toit, 2004). Certains auteurs incluent la famille des Ursidae parmi les grands carnivores, mais ils ne sont pas discutés dans cet essai, puisqu’ils sont, pour la plupart, omnivores (à l’exception de l’ours polaire (Ursus maritimus)) (Hayward, 2009). Cet essai porte aussi strictement sur les espèces terrestres, excluant ainsi les espèces marines tels les phoques léopards (Hydrurga leptonyx), qui se nourrissent d’autres espèces de phoques et de manchots (IUCN, 2010). Une liste des grands carnivores considérés dans le présent texte, de leur nom scientifique ainsi que de leur statut selon la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) se retrouve en Annexe 1.

1.2 L’importance des carnivores dans les écosystèmes

Les biologistes accordent aujourd’hui une grande importance aux prédateurs dans la dynamique des écosystèmes (Gittleman et al., 2001; Hummel et al., 1991; Miller et al., 2001; Noss et al., 1996; Treves et Karanth, 2003). Étant généralement aux niveaux supérieurs des réseaux trophiques, ils ont un impact considérable sur les cascades trophiques qui peuvent se produire (Estes, 1996; Hummel et al., 1991; Noss et al., 1996; Treves et Karanth, 2003). En effet, ils peuvent limiter les espèces aux niveaux trophiques inférieurs en contrôlant les proies (Gittleman et al., 2001; Hummel et al., 1991; Woodroffe et al., 2005a). L’importance de la prédation est par contre très discutée dans la littérature, puisque d’autres variables peuvent influencer les populations de proies, telles la disponibilité des ressources, le climat, les maladies et la compétition intra et interspécifique (Hummel et al., 1991; Woodroffe et al., 2005a). Les études semblent démontrer que dans la plupart des cas, plusieurs de ces variables entrent en jeu, ce qui rend l’étude de la prédation sur les écosystèmes plus ardue (Hummel et al., 1991).

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Cependant, la position des grands carnivores au sommet des réseaux trophiques leur confère un rôle d’indicateur de l’intégrité des écosystèmes qui est peu contesté (Estes, 1996; Gittleman et al., 2001; Hummel et al., 1991). En effet, la présence de prédateurs indique généralement que les espèces des niveaux inférieurs et les processus écologiques leur étant liés sont aussi présents et en bonne condition (Estes, 1996; Hummel et al., 1991; Noss et al., 1996). Un système en « santé » contiendra donc de grands prédateurs et tous les niveaux trophiques inférieurs nécessaires à leur survie. Les biologistes s’accordent sur l’importance de conserver les écosystèmes où ces espèces sont présentes, puisque leur disparition peut avoir de graves impacts sur la dynamique écosystémique (Estes, 1996; Gittleman et al., 2001; Hummel et al., 1991; Mech, 1996; Miller et al., 2001; Noss et al., 1996). 

En effet, certaines espèces de proies se retrouveraient alors sans prédateur, augmentant ainsi la taille de leurs populations et provoquant une pression accrue sur les ressources primaires (Gittleman, 1989; Hummel et al., 1991). Ce type de réaction en chaîne fut observé dans l’écosystème montagneux des Rocheuses lorsque les loups gris étaient moins abondants; les orignaux (Alces alces) se retrouvaient alors en grande densité et affectaient négativement la régénération des sapins (McLaren et Peterson, 1994; Noss et al., 1996). Les espèces d’oiseaux migrateurs nécessitant ce type de végétation virent leur nombre chuter (Berger et al., 2001). Certains auteurs indiquent aussi que la disparition d’un grand prédateur peut avoir un impact sur une autre espèce animale en créant un phénomène appelé « libération de mésoprédateurs » (Crooks et Soulé, 1999). Celui-ci se produirait lorsque la population d’un grand prédateur (prédateur principal) dans un écosystème est en déclin, et qu’il en résulte une libération écologique des mésoprédateurs, c’est-à-dire que les prédateurs de moyennes tailles omnivores et carnivores voient leurs nombres et leur activité augmenter puisque la compétition avec le grand prédateur diminue (Crooks et Soulé, 1999). Un accroissement du taux de prédation sur certaines proies est alors observé (Crooks et Soulé, 1999). Ce type d’interaction fut étudié dans le sud de la Californie, alors que l’on observa un déclin important des espèces aviaires vivant dans les arbustes (Crooks et Soulé, 1999). Les scientifiques conclurent que la réduction des populations de coyotes (Canis latrans) impliquait une augmentation de la prédation des mésoprédateurs, comme le renard gris (Urocyon cinereoargenteus), la moufette rayée (Mephitis, mephitis), le raton-laveur (Procyon lotor), et l’opossum (Didelphis virginiana), sur ces espèces d’oiseaux (Crooks et Soulé, 1999). Dans ce système, la présence de coyotes serait donc importante pour conserver la diversité des espèces aviaires.

L’importance des grands carnivores dans les écosystèmes est d’autant plus grande qu’ils sont, pour plusieurs, en danger d’extinction. En effet, en 2008, l’UICN évalua que sur les 280 espèces (toujours vivantes) de l’ordre Carnivora répertoriées, huit étaient en danger critique d’extinction (CR), 24 en danger d’extinction (EN) et 39 vulnérables à l’extinction (VU), soit un total de 25 % des espèces constituant l’ordre (UICN, 2009). Quant aux grands prédateurs terrestres, en avril 2010, une espèce était considérée en danger critique d’extinction (CR), trois en danger d’extinction (EN) et quatre vulnérables à l’extinction (VU), totalisant 50 % des espèces généralement considérées dans ce groupe (Annexe 1; UICN, 2010).

Les raisons du déclin des populations de grands carnivores sont multiples. La position des grands prédateurs au sommet des réseaux trophiques implique qu’ils seront toujours en plus faibles quantités que leurs proies (Gittleman et al., 2001; Weaver et al., 1996). De plus, certains grands carnivores ont un taux de reproduction faible et un grand domaine vital, ce qui les rend particulièrement sensibles à toutes formes d’altérations de leur habitat naturel (Estes, 1996; Gittleman et al., 2001; Noss et al., 1999; Miller et al., 2001). L’introduction d’espèces exotiques, la compétition pour la même ressource, ou certaines maladies peuvent jouer un rôle dans leur dynamique de population, mais il va sans contredit que ce sont les activités telles l’urbanisation, l’utilisation de terres pour les activités agricoles ou la déforestation qui cause les impacts les plus notables sur le cycle vital de certaines espèces (Gittleman et al., 2001; Hayward, 2009; Noss et al., 1996; Treves et Karanth, 2003; Wilcove et al., 1998).

   Sciences et Avenir

1.3 Les conflits Hommes-carnivores en conservation

L’étendue du domaine vital des grands carnivores implique, dans la plupart des cas, que ceux-ci doivent rivaliser et cohabiter avec l’Homme (Estes, 1996; Gittleman et al., 2001; Miller et al., 2001). La population mondiale étant toujours en croissance, les espaces naturels utilisés par les animaux sauvages se voient diminuer et limiter par des zones urbaines ou agricoles (Distefano, 2005; Messmer, 2009). Cet aspect engendre des conflits avec les populations locales que plusieurs conservationistes tentent de réduire et éliminer depuis plusieurs années afin de préserver la fonction de ces animaux dans les écosystèmes sans nuire aux activités anthropiques (Distefano, 2005; Gittleman et al., 2001; Noss et al., 1996; Miller et al., 2001).

La vision des grands carnivores par les humains est partagée : ils fascinent par leur puissance et leur charisme, tel que le démontre leur popularité dans les parcs zoologiques (Gittleman et al., 2001), mais ils inspirent aussi la peur par leur taille et leur rôle de « tueur » (Hummel et al., 1991). Hummel et al. (1991) affirment que les Hommes, en imposant leurs valeurs aux processus naturels, imposent la vision de « mal » à l’acte de tuer un autre animal, et c’est une des raisons pour lesquelles nous sommes conditionnés à craindre ces animaux, à redouter leur cruauté envers leurs proies. Les carnivores sont aussi vus comme une nuisance puisqu’ils peuvent s’attaquer aux mêmes espèces chassées par les humains, ou en attaquant les animaux domestiques de ceux-ci (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001). La conservation des grands carnivores est donc un processus complexe puisqu’il faut sensibiliser les communautés à leur importance dans la nature tout en luttant contre les perceptions négatives à leur endroit (Distefano, 2005; Gittleman et al., 2001). Sillero-Zubiri et Laurenson (2001) effectuèrent un sondage auprès de leurs collègues biologistes afin d’identifier les conflits principaux qui influençaient le déroulement de leurs projets de recherches sur les grands carnivores. Dans 88 % de 19 questionnaires, les scientifiques évoquaient la perception des grands carnivores comme une menace directe sur la vie des gens. Dans 74 % des cas, les conflits entre les communautés locales et les carnivores étaient aussi mentionnés (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001).

Les prochaines sections abordent les sources de conflits entre les humains et les carnivores lorsqu’ils sont amenés à partager un territoire. Ces conflits viennent, dans beaucoup des cas influencer directement les efforts de conservation ou de recherche effectués par les biologistes de la conservation et les écologistes (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001). La prédation sur le bétail, qui est la raison principalement citée dans les études sur les conflits avec les communautés locales (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001), sera abordée en détail dans le chapitre suivant.

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1.3.1 Attaques sur les humains

Le comportement inné des grands prédateurs est généralement d’éviter la confrontation avec les humains (Sillero-Zubiri et Laurenson., 2001; Thirgood et al., 2005). Il peut cependant survenir qu’ils prennent le risque d’attaquer pour différentes raisons (e.g. crainte, inexpérience, blessure, vieillesse, difficulté à chasser des proies naturelles) et si l’assaut s’avère un succès, le comportement pourrait devenir habituel (Quigley et Herrero, 2005; Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001; Thirgood et al., 2005). Dans d’autres cas, l’habitude des activités anthropiques sur son territoire pourrait réduire la peur d’un animal pour l’Homme et ainsi mener à des agressions (Quigley et Herrero, 2005; Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001). Malgré tout, de nombreux cas de blessures ou de décès suite à des attaques par certaines espèces de grands carnivores sont enregistrés (Löe et Röskaft, 2004). Au cours du 20e siècle, dans tous les pays confondus, on recense plus de douze mille décès humains par des attaques de tigres (Löe et Röskaft, 2004). Ces histoires encouragent le sentiment de peur pour ces animaux, et certaines régions peuvent subir des pertes touristiques et économiques qui renforcent le sentiment de haine de la part des populations locales (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001).

1.3.2 Compétition pour la chasse de subsistance

Une des raisons de la persécution des grands carnivores est que leur diète est partagée avec celle de l’Homme (Distefano, 2005; Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001). Ainsi, ils entrent directement en compétition pour la ressource qui leur permet de survivre. Aujourd’hui, les espèces qui sont recherchées autant par les humains que les grands prédateurs sont souvent d’importance économique, principalement par la chasse sportive. Ce conflit est généralement réglé grâce au contrôle létal des prédateurs, ce qui peut venir influencer grandement la dynamique des populations (Thirgood et al., 2005). Les chasseurs sont souvent les premiers intervenants à s’opposer à la réintroduction de certaines espèces prédatrices (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001).

  Chasse et Passion - salle des trophées

1.3.3 Chasse sportive et braconnage

Les grands prédateurs sont souvent chassés pour le plaisir (chasse sportive ou trophées) ou pour la vente de différentes parties du corps pour des usages médicaux ou traditionnels (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001). Ces activités peuvent être particulièrement nocives sur la démographie des espèces et sont difficiles à gérer puisqu’elles sont souvent effectuées illégalement (Delibes et al., 2000; Packer et al., 2009; Treves, 2009). Certaines mesures de conservation peuvent donc avoir un impact négatif sur l’économie de certaines activités touristiques ou traditionnelles, ainsi que sur le revenu direct de certaines communautés locales. Certains scientifiques tentent donc d’inclure la chasse dans les mesures de conservation, afin de concilier les communautés locales et la survie des espèces (Packer et al., 2009; Treves, 2009)

  Le point Vétérinaire

1.3.4 Vecteurs de maladies

La crainte des carnivores de la part des humains est aussi associée aux maladies qu’ils peuvent leur transmettre (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001; Thirgood et al., 2005). La rage est l’exemple typique d’une infection virale pouvant être transmise des grands carnivores aux animaux domestiques et, ultimement, à leur propriétaire (Murray et al., 1999). Le virus de la rage est l’un des plus observés et l’un des plus inquiétants puisqu’il peut se transmettre à plusieurs familles taxonomiques (Murray et al., 1999). Les animaux domestiques peuvent donc aussi transmettre le virus aux grands carnivores en liberté, et peuvent ainsi affecter grandement la population de certaines espèces, en particulier celles isolées ou de petites tailles (Murray et al., 1999). De nombreuses autres maladies d’origines bactériennes, fongiques ou protozoaires peuvent jouer un rôle dans la dynamique des populations (Murray et al., 1999) et affecter autant les populations de grands carnivores comme les espèces domestiques.

1.4. Conclusion

Les grands carnivores jouent un rôle écologique important dans les dynamiques écosystémiques en exerçant un contrôle sur les niveaux trophiques inférieurs. Cependant, ils peuvent entrer en conflit avec l’Homme à plusieurs niveaux, directement ou indirectement. Ces sources de conflits ou de compétition peuvent expliquer la grande intolérance parfois observée de la part des communautés locales à coexister à proximité de ces prédateurs. Celles-ci jouent donc un rôle important sur le taux de survie de certaines espèces qui sont, dans beaucoup de cas, déjà vulnérables à l’extinction.

   Au pays des Animaux  

Prédation sur les animaux d’élevage : introduction au problème et aux solutions existantes

La prédation sur le bétail est le conflit Hommes-carnivores le plus souvent observé par les biologistes travaillant sur l’écologie des grands carnivores (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001). Le chapitre présent expose globalement le problème et les solutions existantes afin de l’éliminer ou le réduire. Le chapitre 3 présentera des études de cas de différentes régions du monde, ainsi que les plans de conservation appliqués.

2.1 Aperçu général du conflit

Historiquement, les humains ont toujours été en compétition avec les grands carnivores puisqu’ils partagent des éléments de leurs diètes. Cependant, c’est il y a 10 000 ans, lors de la sédentarisation des premiers Hommes et la domestication des animaux, que ce conflit s’amorça pour devenir aujourd’hui le plus commun entre les animaux sauvages et les Hommes (Thirgood et al., 2005; Treves et Naughton-Treves, 1999). La situation est simple : un grand prédateur s’attaque au bétail au lieu de chasser sa proie naturelle. L’éleveur, voulant éviter que la situation se répète, ou par vengeance, retrace le carnivore fautif, sa meute, ou même tout autre prédateur potentiel, et le tue (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001; Thirgood et al., 2005). La persécution des grands carnivores par les humains afin d’éviter de perdre des animaux domestiqués a été telle que certaines espèces ont été exterminées à plusieurs endroits (Gittleman, 1989).

Le terme « individu problématique » ou « fautif » sera utilisé au cours du présent et des prochains chapitres afin d’indiquer un animal qui attaque des espèces domestiquées telles que les bovins (Bos ssp.), ovins (Ovis ssp.), caprins (Capra ssp.) ou la volaille.

    Kraal Namibie Flare

Plusieurs raisons peuvent pousser les prédateurs à attaquer les animaux domestiqués au lieu de proies sauvages (Thirgood et al., 2005). Parmi celles-ci, les espèces domestiquées auraient un comportement antiprédateur très peu développé comparativement aux espèces sauvages, les rendant particulièrement vulnérables aux carnivores (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001; Thirgood et al., 2005). De plus, le bétail entre en compétition directe avec les herbivores sauvages pour le pâturage et peut ainsi réduire l’abondance ou la distribution de proies sauvages (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001; Thirgood et al., 2005). Finalement, les méthodes d’élevage ayant grandement évolué et les carnivores ayant été fortement persécutés, les troupeaux ne sont plus autant surveillés par des chiens ou des hommes, et deviennent donc des proies faciles pour les carnivores (Thirgood et al., 2005). Thirgood et al.(2005) indiquent par contre que la haine des grands carnivores de la part des fermiers n’est pas toujours fondée, puisque ce sont souvent les plus petits carnivores telles certaines espèces de chats sauvages, les renards, coyotes ou chiens sauvages qui sont souvent la cause des pertes importantes d’animaux de la ferme.

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Quoi qu’il en soit, les conséquences économiques et politiques sont bien réelles et peuvent nuire à la vie des éleveurs (chapitre 3; Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001; Thirgood et al., 2005). En effet, dans certaines régions du monde, la perte d’animaux domestiques peut équivaloir jusqu’à 50% du revenu annuel moyen des habitants (Oli et al., 1994; Mishra, 1997; Thirgood et al., 2005). Le nombre d’études sur le sujet du conflit des agriculteurs-éleveurs et des carnivores est en croissance depuis quelques années, mais il s’avère ardu de quantifier avec précision les pertes des fermiers par la prédation des grands carnivores, ainsi que le nombre de prédateurs tués en prévention ou suite à des prédations. En effet, puisque ces études se basent le plus souvent sur la participation des éleveurs et la crainte de répercussions de la part des intervenants ou des gouvernements peut influencer leurs témoignages (Thirgood et al., 2005).

Le problème est donc celui-ci : comment améliorer et promouvoir la conservation des grands prédateurs, qui jouent un rôle important dans l’équilibre écosystémique, alors qu’ils peuvent menacer directement le revenu de certaines communautés locales? La tolérance envers les grands carnivores de la part de ces communautés est souvent l’élément clé qui permet l’implantation de nouvelles pratiques qui améliorent la coexistence les humains. 

Plusieurs solutions ont été développées afin de tenter de réduire la prédation sur le bétail par les carnivores. Ces différentes méthodes sont le plus souvent utilisées conjointement, afin d’optimiser l’impact positif, puisqu’il est rare qu’une seule solution réduise ou élimine le problème complètement (Breitenmoser et al., 2005; Distefano, 2005). Les intervenants doivent donc tenter des combinaisons de solutions qui s’adaptent à la réalité de la région où elles sont implantées. De plus, le succès d’une solution dépend non seulement du contexte socioculturel et économique dans lequel elle est implantée (Breintenmoser et al., 2005), mais aussi du type de prédateur visé.

  Extrême Précision

2.2 Contrôle létal

Le contrôle létal de la faune a longuement été la technique la plus utilisée pour gérer les conflits avec les grands animaux (Treves et Naughton-Treves, 2005). Il consiste tout simplement à tuer les animaux qui causent des problèmes aux populations humaines, à petite ou grande échelle. Actuellement, les méthodes létales (ou programmes de retraits) afin de gérer les grands prédateurs (ou toute autre espèce animale) peuvent causer une certaine contestation de la part du public, qui n’accepte pas toujours l’élimination d’invidivus, et en particulier des grands carnivores qui représentent souvent des emblèmes ou des symboliques importants pour les communautés. De plus, le contrôle létal va à l’encontre des objectifs de conservation des espèces rares ou en danger d’extinction, qui sont le statut de plusieurs espèces de grands carnivores (chapitre 1). Ce type de contrôle peut mettre un frein à la prédation par les grands carnivores, mais il peut aussi engendrer différents problèmes au niveau de l’équilibre écosystémique et de la chaîne alimentaire (Gittleman et al., 2001; Hummel et al., 1991; Noss et al., 1996; Treves et Karanth, 2003; Woodroffe et al., 2005a). Malgré tout, les techniques létales permettent de faire une régulation de la densité des populations de carnivores ou de cibler, si elles sont appliquées adéquatement, les individus problématiques seulement.

   Yale E 360 Coyotes carnage / Nevada Wildlife 


2.2.1 Campagnes d’éradication

L’éradication complète consiste à éliminer, par tous les moyens possibles, une espèce désignée comme problématique (Treves et Naughton-Treves, 2005; Treves et Karanth, 2003). Le loup gris a subi ce type d’intervention au début du vingtième siècle, l’éliminant ainsi presque totalement de sa répartition aux États-Unis (Chapitre 3; Niemeyer et al., 1994). L’éradication d’une espèce vise généralement à préserver des terres agricoles ou à conserver une autre espèce en danger d’extinction (Treves et Karanth, 2003). Treves et Karanth (2003) indiquent que l’éradication a trois coûts. Le premier est politique, puisque les groupes de conservation et le grand public, le plus souvent urbain (Naughton-Treves et al., 2003), s’opposent généralement fortement à ces activités. Le deuxième est économique, car ces campagnes peuvent parfois coûter cher aux contribuables si les moyens employés pour éliminer l’espèce sont coûteux (par exemple, la chasse par hélicoptère). Le troisième coût identifié par Treves et Karanth (2003) est le coût écologique puisque, comme il a été discuté dans le premier chapitre de cet essai, l’élimination d’un grand prédateur peut avoir des répercussions négatives sur la dynamique des écosystèmes. Les campagnes d’éradication peuvent réduire ou même éliminer la prédation (si un autre prédateur ne prend pas la place de celui retiré), mais elles vont à l’encontre des objectifs des programmes de conservation qui visent des populations viables des espèces et sont souvent très peu populaires auprès du grand public (Treves et Karanth, 2003; Treves et Naughton-Treves, 2005).

Les campagnes d’éradication peuvent être menées à plus petite échelle où elles sont alors appelées programmes d’élimination. Elles ciblent donc une zone précise où un conflit peut être existant (Treves et Karanth, 2003; Treves et Naughton-Treves, 2005). La situation est par contre similaire : malgré l’élimination du conflit, cette solution est un danger pour les espèces qui sont ont des statuts de conservation inquiétants (Treves et Naughton-Treves, 2005).

Une affiche pour le concours Big Dog Calling du Nouveau-Mexique, qui offre des prix aux coyotes les plus gros et les plus tués/ autorisation de diffusion de Humane Society des Etats Unis

La chasse publique ou pour simplement le  trophée permet de contrôler le nombre, l’endroit et même la saison à laquelle les animaux peuvent être tués (Treves et Karanth, 2003). Si elle est bien gérée, la chasse publique peut maintenir les populations à un niveau viable, en plus d’amener des revenus aux communautés ou gouvernements qui permettent l’activité sur leurs terres (Treves et Karanth, 2003; Treves et Naughton-Treves, 2005). Dans certains pays d’Afrique, la chasse à trophée a été bannie, mais est aujourd’hui le sujet de plusieurs recherches afin de la réinstaurer comme outil de gestion de la faune et améliorer la qualité de vie des habitants par les revenus économiques qu’elle peut apporter (chapitre 3; Lindsey et al., 2006, 2007; Loveridge et al. 2007; Romañach et al., 2007). Cependant, si elle est mal gérée ou peu restrictive, la chasse publique peut être dommageable pour certaines populations de prédateurs et un phénomène d’élimination pourrait alors être observé. Treves et Karanth (2003) indiquent que comme cette méthode ne cible pas les individus problématiques, son efficacité est donc limitée.

   Observatoire du Loup

2.2.3 Le retrait sélectif

La sélection des individus éliminés amène l’aspect intéressant que seulement les individus problématiques sont ciblés (Treves et Naughton-Treves, 2005). Ce sont généralement des agents entrainés qui s’occupent de repérer les individus et les mettre à mort, amenant une touche de professionnalisme et évitant que des individus non problématiques ne soient mis à mort à tort (Treves et Naughton-Treves, 2005). Certains auteurs prétendirent que si les individus ne démontrant pas un comportement de prédation sur les animaux domestiques sont conservés dans la population, ils peuvent passer aux générations futures ce comportement inné ou acquis (Treves et Karanth, 2003; Breitenmoser et al., 2005).

Cette technique est bénéfique pour les espèces qui sont classées en danger d’extinction ou rares puisqu’un nombre minimal d’individus est éliminé de la population (Treves et Karanth, 2003; Treves et Naughton-Treves, 2005). Cependant, une difficulté réside dans la façon de retrouver l’auteur d’une prédation sur le bétail. En effet, à moins de prendre le prédateur sur le fait, il n’est pas toujours simple de retrouver celui-ci si la prédation date de quelques heures (Linnell et al., 1999; Treves et Naughton-Treves, 2005). À fin de retrouver un individu problématique, diverses méthodes ont été développées, mais aucune ne s’avère totalement efficace (Linnell et al., 1999). La protection du bétail avec des colliers toxiques qui empoisonnent le carnivore lorsqu’il attaque semble le seul moyen de s’assurer que le bon individu est éliminé, mais n’est pas rentable dans les régions où la prédation est occasionnelle (Linnell et al., 1999). Trapper les animaux près des carcasses est une technique parfois efficace puisque certains animaux retournent au site de leur prédation, mais il est aussi possible de tuer des espèces carnassières qui se nourrissent des proies d’autres espèces (Linnell et al., 1999). Finalement, utiliser des chiens entraînés afin de suivre l’odeur d’un individu sur une proie fraîche est aussi utile pour retrouver l’individu problématique (Linnell et al., 1999). Le retrait sélectif semble être la méthode létale la plus acceptée par le public et les communautés cohabitant avec les grands prédateurs, et est donc plus facile à implanter dans certaines régions (Treves et Naughton-Treves, 2005).

2.3 Contrôle non létal

Les stratégies non létales sont en grand développement dans divers endroits du monde. En effet, on tente d’éviter le contrôle létal qui souvent peut perturber l’équilibre des écosystèmes en modifiant la force de prédation sur les niveaux inférieurs de la chaîne alimentaire, et surtout, réduire les populations d’espèces déjà en danger d’extinction (Breitenmoser et al., 2005; Gittleman et al., 2001). De plus, le contrôle létal perdant de la popularité au sein du grand public, les autorités ont intérêt à utiliser les outils développés par les biologistes afin de minimiser l’impact négatif sur les populations des grands carnivores (Linnell et al., 1997). Les techniques non létales poursuivent généralement deux buts : soit elles tentent d’éviter le conflit en minimisant les rencontres entre le bétail et les prédateurs, soit elles incitent les communautés locales à tolérer les prédateurs et promouvoir la coexistence avec ceux-ci (Distefano, 2005).

  Clôtures de protection R. Wojciechowski Navarre ours 

2.3.1 Les barrières

Les barrières sont utilisées depuis des milliers d’années et visent généralement trois objectifs : 1) protéger le bétail dans des enclos de nuit, 2) protéger les zones de pâturage du bétail et 3) exclure les carnivores de grandes régions (Breitenmoser et al., 2005). Les barrières, qu’elles soient naturelles, artificielles, physiques ou biologiques, sont considérées comme étant efficaces contre le chevauchement des zones d’élevage et les domaines vitaux de certaines espèces de prédateurs (Distefano, 2005). Les aires protégées tels les parcs nationaux ou réserves écologiques généralement créés pour protéger la faune, sont parfois entourées de rivières, de zones côtières ou de montagnes, limitant ainsi l’accès de la part des animaux domestiques pour le pâturage, ou décourageant les prédateurs à sortir de l’enceinte de la zone protégée (Distefano, 2005). Ce type de barrières physiques s’avèrent utiles et efficaces contre la prédation, mais n’est pas toujours applicables, surtout si l’on tente de protéger une petite aire.

Les barrières constituées de cactus ou de fossés forment une solution intéressante puisqu’elles sont naturelles, et souvent peu coûteuses. Elles peuvent par contre être plus lentes à établir selon le temps de croissance des espèces utilisées, et doivent être assez élevées pour que les prédateurs ne puissent pas sauter par-dessus (Distefano, 2005).

Les barrières peuvent aussi être artificielles, construites par l’humain, comme les clôtures ou les enclos (Distefano, 2005). Ceux-ci sont des techniques traditionnelles d’élevage puisqu’ils ont été utilisés depuis longtemps afin d’empêcher les animaux domestiques de quitter les terres ou les prédateurs de s’attaquer à ceux-ci. On retrouve différents types d’enclos ou de clôtures selon les cultures et les régions géographiques, mais si elles sont adaptées aux comportements des prédateurs, elles peuvent s’avérer un moyen efficace et peu coûteux contre les attaques des prédateurs (Chapitre 3; Ogada et al., 2003).

   E.Clos fladry Agnos 64

La barrière de fladry est aussi une technique traditionnelle de chasse qui a été démontrée comme un moyen efficace contre la prédation sur le bétail par les loups. La méthode consiste à étendre une corde à laquelle sont attachés des bandes de tissus ou des drapeaux de couleur (le plus souvent rouges) à des intervalles d’environ 0,5 mètre (m), et touchant presque le sol (Distefano, 2005; Musiani et al., 2003). Pour une raison encore inconnue, les loups évitent de traverser les barrières de fladry.

   Web Russie chasse et drapeaux

Traditionnellement, en Europe de l’Est et en Russie, le fladry était placé comme un entonnoir où les loups étaient chassés à l’extrémité (Musiani et al., 2003). Aujourd’hui, les scientifiques l’appliquent plutôt à des fins de protection du bétail, en entourant les pâturages. Bien que les barrières de fladry se soient avérées efficaces (à court terme) contre la prédation des loups sur le bétail aux États-Unis (Musiani et al., 2003), ses effets sur d’autres prédateurs n’ont pas été observés jusqu’à maintenant (Distefano, 2005). De plus, la possibilité d’utiliser le fladry à grande échelle est plutôt limitée, puisqu’un entretien régulier est souvent requis pour remplacer les drapeaux enlevés par le bétail (Distefano, 2005).

Les clôtures électriques forment aussi une solution intéressante puisqu’elles sont souvent plus durables et surtout, sont efficaces contre plusieurs espèces de prédateurs (Breitenmoser et al., 2005; Distefano, 2005; Hayward et Kerley, 2009; Wam et al., 2004). Il est possible d’adapter la hauteur des fils électriques ou les voltages en fonction du ou des prédateurs vivant à proximité des demeures (Breitenmoser et al., 2005). Malheureusement, il est aussi possible que d’autres espèces animales, sauvages ou domestiques, soient affectées par ce type de clôture (Hayward et Kerley, 2009). Elles sont par contre souvent coûteuses et demandent un entretien régulier, surtout si elles sont sujettes à la destruction par d’autres espèces (par exemple, les éléphants) ou envahies par de la végétation dense (Breitenmoser et al., 2005; Hayward et Kerley, 2009).

Dingo Fence Machine CFS

Appliquées à de très grandes aires, les barrières peuvent être efficaces pour réduire la prédation, mais peuvent aussi avoir des conséquences écologiques importantes à long terme. C’est le cas de la grande barrière de dingos (Canis lupus dingo), en Australie, qui mesure près plus de 5300 kilomètres de longueur et deux mètres de hauteur (Newsome et al., 2001). Mis en place au cours du XXe siècle pour empêcher la prédation des dingos sur les moutons en Nouvelle-Galles-du-Sud, une large partie du Sud-est Australien, cette barrière est construite principalement de grillage et est bien ancrée au sol pour éviter que les animaux creusent en dessous (Newsome et al., 2001). Bien que la prédation sur les moutons ait diminué, on remarque aujourd’hui que des dynamiques bien différentes évoluent de part et d'autre de la barrière : là où les dingos sont absents, les kangourous roux (Macropus rufus) y sont en grande densité, et vice-versa (Newsome et al., 2001). La présence accrue de kangourous roux a un impact négatif sur la survie de plusieurs petits marsupiaux, qui voient le couvert végétal les protégeant diminuer avec l’herbivorie des kangourous jumelée à celle des moutons (Johnson et al., 2007). De même, là où les dingos sont absents, le phénomène de libération de mésoprédateurs est observé : les renards roux (Vulpes vulpes) et les chats domestiques (Felis catus) sont avantagés et créent une force de prédation importante sur les petits marsupiaux (Johnson et al., 2007; Johnson et VanDerWal, 2009). Certains auteurs affirment que le retrait des dingos de la chaîne alimentaire du à leur persécution serait une des causes de l’extinction et la réduction de certaines populations de marsupiaux (Johnson et al., 2007; Short, 1998). En plus, ce type de grande barrière nuit à la physiologie des paysages, les migrations et les flux génétiques de certaines populations (Fox, 2009), et de nouveaux conflits entre les humains et la faune peuvent être créés si certaines espèces réussissent à traverser (Knickerboker et Waithaka, 2005).

Les barrières sont considérées par plusieurs biologistes comme étant importantes pour protéger les animaux domestiques et les récoltes des communautés locales, mais leur utilisation doit souvent être jumelée avec une autre méthode non létale afin de s’assurer que la protection est totale (Treves et Karanth, 2003).

   Matt Moyer

2.3.2 Gardiens des troupeaux

En plus des bergers qui peuvent suivre les troupeaux lorsqu’ils vont au pâturage ou même durant la nuit, plusieurs espèces animales peuvent être utilisées afin de garder les troupeaux et détecter les prédateurs qui s’approchent (Breitenmoser et al., 2005; Smith et al., 2000; Treves et Karanth, 2003). Le chien (Canis familiaris) est l’espèce la plus utilisée par les fermiers, mais certaines études ont aussi été menées avec des ânes (Equus asinus) ainsi que des lamas (Lama glama) (Breitenmoser et al., 2005; Smith et al., 2000). Ces deux derniers se sont par contre avérés efficaces principalement contre les petits et moyens carnivores, et moins contre les meutes ou les grands carnivores (Breitenmoser et al., 2005; Smith et al., 2000). L’utilisation d’animaux domestiques afin de garder les troupeaux ne fait pas l’unanimité chez les biologistes de conservation puisqu’ils représentent des vecteurs importants de maladies, comme la rage, qui peuvent être transmises au bétail, aux animaux sauvages, mais aussi aux gens travaillant sur les terres (Breitenmoser et al., 2005; Ogada et al., 2003).

2.3.3 Agents répulsifs ou dissuasifs

Les agents répulsifs ou dissuasifs peuvent être divisés en deux catégories : les primaires et secondaires (Shivik et al., 2003). Les agents répulsifs primaires sont ceux qui vont arrêter les actions d’un prédateur grâce à des stimuli chimiques, visuels ou auditifs irritants pour l’animal (Shivik et al., 2003). Les sirènes et les voyants lumineux sont souvent les plus utilisés, mais la répulsion par des explosifs ou des produits chimiques a déjà été expérimentée (Breitenmoser et al., 2005; Shivik et al., 2003). Les barrières de fladry peuvent être considérées comme un agent répulsif primaire, puisque les drapeaux de couleur agissent comme un stimulus visuel irritant pour les loups gris (Shivik et al., 2003). Les agents répulsifs primaires sont souvent limités dans leur efficacité puisque les animaux sont capables d’apprentissage et après quelque temps, ne sont plus effrayés par ces méthodes (Shivik et al., 2003). Certains dispositifs ayant plusieurs types de sirènes ou de lumières stroboscopiques déclenchées lorsqu’un prédateur s’approche de certaines zones peuvent réduire l’effet d’habituation, mais ont tout de même une efficacité limitée (Shivik et al., 2003).

    WEB x

Les agents répulsifs secondaires visent plutôt un apprentissage où le prédateur associe un comportement à un sentiment négatif comme une douleur ou un inconfort (Shivik et al., 2003). Aussi appelé thérapie par aversion ou conditionnement aversif, cette technique est difficile à appliquer en nature puisqu’elle est complexe à contrôler et il est possible que l’animal ne développe pas le conditionnement aversif envers le bon stimulus (Shivik et al., 2003). Par exemple, Shivik et ses collègues (2003) citent un exemple de Gustavson et al. (1974) où une thérapie par le goût (où un animal peut développer une aversion pour un type de nourriture ou de proie) n’empêchera pas nécessairement son comportement de prédation envers l’animal en question. L’utilisation de décharges électriques afin de conditionner les prédateurs à éviter les zones d’élevage semble être une technique efficace qui a été testée sur les coyotes ainsi que plus récemment sur les loups (Shivik et al., 2002, 2003).


Environment and Society Portal / translocation Trentin

2.3.4 La translocation

La translocation, ou relocalisation, est souvent utilisée pour éloigner les individus des sites où ils seraient sujets à attaquer le bétail ou lorsqu’un individu problématique a été retracé (Breitenmoser et al., 2005; Linnell et al., 1997). Ceux-ci sont alors capturés et puis transportés dans une zone où la concentration d’animaux domestiques est plus faible ou où l’on considère que son comportement ne sera pas répété (Linnell et al., 1997). Cette technique a été appliquée maintes fois et avec nombre d’espèces et de familles différentes (ursidés, félidés, canidés, mustélidés, et même des rapaces) (Linnell et al., 1997). Son succès est par contre mitigé puisque les biologistes ont fréquemment observé un retour au lieu où le prédateur avait été capturé, ou bien une répétition du comportement de prédation sur le bétail au nouvel endroit (Bradley et al., 2005; Breitenmoser et al., 2005; Linnell et al., 1997). Par exemple, Bradley et al. (2005) étudièrent la translocation de 88 loups gris avec lesquels ils effectuèrent des suivis grâce à la radiotélémétrie. Plus du quart des individus démontrèrent un comportement de prédation sur le bétail dans la région de translocation (Bradley et al., 2005). Le taux de mortalité survenant lors de la translocation est aussi souvent élevé, attribuable au stress de la capture ou bien au nouvel environnement qui peut, par exemple, comporter plus de routes (Linnell et al., 1997). Bradley et al. (2005) calculèrent que les loups translocalisés avaient un taux de survie plus faible (0,60) que les individus non capturés (0,73). Si l’animal survit à la capture et la translocation, il est possible d’observer une incapacité d’un individu à se reproduire, une diminution du taux de reproduction et un changement dans les domaines vitaux si l’individus est translocalisé dans une région où un autre individu avait déjà son territoire (Linnell et al., 1997). Néanmoins, la translocation est une méthode appréciée par le public (Treves et Karanth, 2003), mais probablement moins par les communautés rurales qui doivent tout de même vivre avec ces individus problématiques.

  Web prédateurs et proies

2.3.5 Les programmes de compensations

L’idée de base des compensations est simple : un éleveur subissant une perte due à un prédateur est remboursé pour cette perte, généralement selon le prix de marché du bétail touché ou un pourcentage de celui-ci (Nyhus et al., 2005). Les compensations sont souvent gérées par une agence gouvernementale ou un organisme non gouvernemental. Lorsqu’une prédation survient, un agent se présente sur le site pour évaluer si un prédateur est vraiment responsable de la mort du bétail ainsi que d’autres formalités qui varient selon les programmes, pour finalement accepter ou non la demande de compensation (Nyhus et al., 2005). Malgré sa simplicité et son succès dans certaines régions, la stratégie compensative ne fait pas l’unanimité auprès des biologistes (Nyhus et al., 2005). La corruption, la fraude et les difficultés à évaluer si un prédateur est bel et bien responsable de la perte du bétail rendent le processus souvent inefficace (Nyhus et al., 2005; Ogra et Badola, 2008; Western et Waithaka, 2005). La bureaucratie entourant les démarches pour obtenir la compensation est parfois trop compliquée pour les communautés locales, sans compter le temps nécessaire pour recevoir ces compensations, qui représentent souvent un très faible pourcentage de la valeur de la perte (Distefano, 2005; Nyhus et al., 2005; Ogra et Badola, 2008).

Nyhus et ses collègues (2005) dénoncent aussi l’effet de « hasard moral » qui peut émaner du système de compensation, c’est-à-dire que sachant qu’ils seront remboursés, les éleveurs ne prennent pas les mesures nécessaires pour réduire la prédation à la base. Par exemple, un éleveur laissera ses troupeaux brouter sans la protection d’un berger ou de chiens, ou n’améliorera pas la protection de ses enclos, puisqu’il sera remboursé si un événement de prédation survient. Le hasard moral est discuté par plusieurs scientifiques qui abordent les systèmes de compensations monétaires (Bulte et Rondeau, 2005; Schwerdtner et Gruber, 2007; Treves et al., 2009), mais son existence semble difficile à prouver. 

L’efficacité des compensations, que ce soit au niveau de la tolérance des fermiers, de la diminution de la chasse illégale, ou de l’amélioration du statut des populations de prédateurs, n’a pas encore été réellement examinée (Nyhus et al., 2005). Elles offrent une alternative intéressante lorsque les espèces visées sont en danger d’extinction, puisqu’elles peuvent, à court terme du moins, réduire la chasse illégale et le désir de vengeance de certains éleveurs. Le thème des compensations financières est abordé plus en détail dans le chapitre 3.


  Afrique Agriculture Assurances

2.3.6 Les systèmes d’assurances

Le système d’assurances ressemble aux compensations financières à l’exception que l’éleveur paie un certain montant d’argent afin d’assurer ses bêtes, qui lui est retourné si une prédation survient (Nyhus et al., 2005). Dans les régions à faibles revenus économiques, l’implication directe des villageois ou des communautés locales dans ce système est son attrait le plus important (Hussain, 2000; Mishra et al., 2003). En effet, les villageois paient un petit pourcentage de la valeur de leur bétail (ou récoltes) afin de les assurer, et le montant total obtenu est habituellement géré par des élus du village ou de la région, améliorant le sentiment de confiance envers le processus (Hussain, 2000), sans compter qu’ils peuvent recevoir plus rapidement la compensation si une prédation survient (Mishra et al., 2003). Cependant, les habitants visés par ses programmes ont souvent de si faibles revenus qu’ils ne peuvent investir dans ce type de projet (Nyhus et al., 2005). Il faut donc généralement qu’un gouvernement ou un organisme investisse une certaine somme afin de combler les montants qui ne peuvent être payés par les villageois (Hussain, 2000; Mishra et al., 2003; Nyhus et al., 2005). Malgré tout, les projets basés sur le système d’assurances semblent s’avérer efficaces et offrent une alternative intéressante aux programmes de compensations (Chapitre 3; Nyhus et al., 2005).

   Asilyst / développement durable en Inde

2.3.7 Les programmes incitatifs

Ce type de projets se base généralement sur une forme de subvention qu’un gouvernement ou un organisme offre à une communauté si elle adopte des mesures qui permettent la conservation d’espèces ou d’un écosystème (Distefano, 2005). Les compensations et les programmes d’assurances sont généralement compris dans les programmes incitatifs puisqu’ils incitent les habitants à respecter la faune avec laquelle ils partagent leurs terres.

Néanmoins, les communautés ou les villages peuvent se voir offrir un certain montant d’argent en échange d’une zone où les activités anthropiques sont restreintes, l’application de techniques d’élevage ou de récoltes durables, ou toute autre activité qui pourrait être bénéfique pour une espèce ou son écosystème (Treves et Karanth, 2003). Dans certaines régions où les grands carnivores se retrouvent près de zones fortement peuplées, comme en Inde, les habitants sont incités à déménager dans une autre région (Treves et Karanth, 2003). Ce type de programme incitatif se fait sur une base volontaire de la part des citoyens, mais il est nécessaire que ceux-ci puissent bénéficier de ce transfert, en ayant un accès à un emploi ou à des services (Treves et Karanth, 2003). Bien qu’extrême, ce type de gestion peut s’avérer la seule option efficace afin de conserver certaines espèces et éviter les conflits avec les grands carnivores (Treves et Karanth, 2003).

Chapitre 3

Études de cas

Ce chapitre développe l’explication du confit de la prédation sur le bétail à l’aide de trois études de cas. Bien que le conflit soit, à la base, le même, il ne se règle pas avec les mêmes solutions, selon l’espèce, l’endroit géographique et la culture, ainsi que la méthode d’élevage. La première étude aborde la situation du loup gris dans l’Ouest américain et canadien, une espèce ayant été extirpée suite aux conflits avec les éleveurs, mais ensuite réintroduite à des fins de conservation, réalimentant la haine de la part des fermiers. La deuxième étude décrit la situation du léopard des neiges (Panthera uncia) et des zones de pastoralisme à faibles revenus économiques dans la chaîne de montagnes Himalaya en Inde et au Népal. La dernière étude expose la situation dans le district de Laikipia, au Kenya, une région où les fermiers cohabitent avec de nombreuses espèces de carnivores et ce, avec une tolérance peu observée ailleurs sur la planète.

   The Hill

3.1 Le loup gris dans l’ouest américain

Le loup gris est un carnivore de la famille des Canidae possédant une diète très variée, mais se nourrissant entre autres de grands herbivores sauvages comme les caribous (Rangifer tarandus), les orignaux ou les chevreuils (Capreolus capreolus) (Mech et Boitani, 2008). L’espèce est considérée comme peu en danger d’extinction par l’UICN aujourd’hui, mais sa distribution a été largement affectée par la persécution de la part des Hommes (Mech et Boitani, 2008).

Le loup gris était, il y a un siècle, le mammifère le plus largement distribué dans l’hémisphère nord (Bangs et al., 2005; Mech et Boitani, 2008). Cependant, à cause de nombreux conflits avec les Hommes, il fut exterminé dans plusieurs régions, comme l’Europe de l’Ouest, le Mexique et une grande partie des États-Unis (Mech et Boitani, 2008). Aujourd’hui, on le retrouve principalement au Canada et en Alaska sur le continent nord-américain, mais aussi abondamment sur le continent asiatique, dans les pays d’Europe de l’Est ainsi qu’en Arabie Saoudite (Mech et Boitani, 2008).

La situation du loup gris en Amérique du Nord, et plus particulièrement dans le Nord-ouest américain (états du Montana, Wyoming et Idaho), fut l’objet de plusieurs recherches, que ce soit au niveau de l’acceptation sociale de l’espèce (Breck et Meier, 2004; Fritts et Paul, 1989; Naughton-Treves et al., 2003; Treves et al., 2002, 2004, 2009) que des mesures d’atténuation du conflit avec les éleveurs (Bangs et al., 2005; Bradley et al., 2005; Bradley et Pletscher, 2005; Mech, 1998; Musiani et al., 2003; Niemeyer et al., 1994). Malheureusement, ce qui ressort souvent de ces études est que malgré les méthodes d’atténuations appliquées, la tolérance des communautés rurales américaines envers cette espèce reste faible (Naughton-Treves et al., 2003).

3.1.1 Historique et envergure du conflit

En Amérique du Nord, le loup gris était présent presque partout aux États-Unis, et en particulier dans les montagnes Rocheuses (figure 3.1) (Niemeyer et al., 1994). Lorsque les populations d’ongulés sauvages se mirent à décliner en réponse à la colonisation grandissante et l’accroissement de la chasse, les grands prédateurs, tels les loups, se mirent à menacer l’industrie de l’élevage en plein essor (Bangs et al., 2005; Breck et Meier, 2004; Niemeyer et al., 1994). La réputation du loup gris comme prédateur des animaux d’élevage fut renforcée durant cette période, et mena ainsi à une époque importante de persécution aux États-Unis et au Canada (Bangs et al., 2005; Breck et Meier, 2004; Niemeyer et al., 1994). Gipson et al. (1998) indiquent même que les agences gouvernementales ont reçu, en 1915, une somme de 125 000 dollars américains (USD) afin d’organiser une campagne anti-prédateurs et alimenter les histoires promouvant la haine des habitants envers les grands prédateurs.

Plusieurs méthodes furent utilisées au sein de cette campagne pour extirper le loup gris : le poison, conjointement avec le piégeage, l’attaque des tanières, les fusillades aériennes et la chasse sportive (Breck et Meier, 2004). Le succès de cette campagne d’éradication fut tel qu’en 1930, le loup gris avait disparu de la majorité de son aire de répartition aux États-Unis ainsi que dans le Sud de certaines provinces canadiennes (Bangs et al., 2005; Niemeyer et al., 1994). À l’aube des années 1970 et ce, malgré la croissance des populations d’ongulés sauvages dans plusieurs États, la persécution du prédateur était toujours présente (Bangs et al., 2005). En effet, aux États-Unis, quelques petites populations de loups persistaient dans le nord de l’état du Minnesota, ainsi que dans le nord canadien et en Alaska (Breck et Meier, 2004; Niemeyer et al., 1994).

En 1974, puisque les populations étaient petites et le risque d’extinction aux États-Unis grandissait, Canis lupus fut placé sur la liste d’espèces en voie d’extinction selon la Endangered Species Act (Loi sur les espèces menacées), limitant ainsi sa persécution (Bangs et al., 2005; Breck et Meier, 2004; Niemeyer et al., 1994). L’effet positif fut observé assez rapidement alors qu’au début des années 1980, les loups du Minnesota vinrent coloniser le Wisconsin et le Michigan et les loups du Canada se dispersèrent dans le Nord-ouest américain (Breck et Meier, 2004). En 1986, on observa la première tanière dans l’Ouest américain depuis 50 ans, dans le parc National Glacier, Montana (Bangs et al., 2005). Les loups gris furent délibérément introduits dans la région de Yellowstone, et plus particulièrement le parc national Yellowstone qui couvre une grande partie de l’état du Wyoming (Naughton-Treves et al., 2003).

On retrouve aujourd’hui deux grandes populations de loups gris aux États-Unis : la population des Rocheuses ou du Nord-Ouest, qui couvre les États du Wyoming, du Montana et de l’Idaho, et la population de l’ouest des Grands Lacs, qui couvre les États du Minnesota, du Michigan et du Wisconsin (figure 3.1). Cette recolonisation permit aux chercheurs d’observer l’évolution des loups gris, leurs taux de prédation sur l’élevage, ainsi que l’opinion publique à leur égard.

Grâce aux résultats d’études ultérieures, Breck et Meier (2004) calculèrent qu’entre 1979 et 1991, dans l’état du Minnesota, le taux de prédation moyen des loups était de 0,12 bovin/ 1000 disponibles et 2,37 moutons/1000 disponibles. Entre 2000 et 2002, 0,22 bovin/1000 disponible et 1,81 moutons/1000 disponibles (Tableau 3.1). Dans l’état du Montana, entre 1987 et 1991, les résultats furent même moins élevés avec un taux moyen de 0,04 bovin/1000 disponibles et 0,21 mouton/1000 disponibles (Breck et Meier, 2004; Mack et al., 1992).

  Idaho Falls

On remarque que le taux de prédation par les loups est plus grand pour les moutons que les bovins. Les auteurs suggèrent que les troupeaux de moutons sont souvent plus denses et il est donc plus facile, en une seule attaque, de tuer plusieurs individus (aussi appelé surplus killing) faisant ainsi varier grandement le nombre de prédations annuelles (Breck et Meier, 2004). Cette observation est intéressante puisqu’elle permet de mieux cibler le comportement du prédateur et développer des méthodes de gestion ou de prévention qui sont adéquates.


En 2000, Bangs et al. (2005) évaluèrent la prédation dans les trois états du Nord-Ouest américains où le loup est présent, et observèrent que 32 bovins et 80 moutons furent tués par les loups, représentant 0,01 % et 0,04 % des animaux d’élevage disponibles. Les coyotes étaient par contre responsables de 70 % des pertes dues à la prédation dans ces trois États (Bangs et al., 1998). Brecker et Meier (2004) résumèrent qu’entre 2000 et 2002, considérant tous les états des États-Unis excepté l’Alaska et Hawaii, une moyenne de 153 bovins et 136 moutons par année furent tués, sur 1 894 000 boeufs d’élevage et 208 649 moutons exposés aux loups. Le nombre d’animaux subissant la prédation des loups s’est même révélé beaucoup plus faible que ce que les modèles pouvaient prédire (Bangs et al., 2005). Le National Agricultural Statistics Service (Service national des statistiques agricoles) indique qu’aux États-Unis, en 2005, 4,7 % des pertes de bovins étaient dues aux carnivores, et 0,11 % représentaient la prédation par les loups (NASS, 2006). Les études semblent montrer que la prédation par les loups est souvent dispersée et sporadique, et affecterait seulement quelques petites fermes dépendantes des terrains publiques pour le pâturage des bêtes (Bangs et al., 2005). Malgré ces chiffres, la prédation par les loups est souvent pointée du doigt par les éleveurs et la tolérance du public reste faible (voir 3.1.3).

3.1.2 Plan de gestion appliqué

Le plan de gestion des loups dans le nord-ouest des États-Unis est appelé Northern Rocky Mountain Wolf Recovery Plan et est géré par le U.S. Fish and Wildlife Service (USFWS). Il fut instauré en 1987, avec comme objectif principal de gérer la conservation de l’espèce en promouvant sa dispersion et sa réintroduction. Le plan vise aussi à régler les conflits avec les éleveurs lorsque survient de la prédation sur les animaux domestiques (Niemeyer et al., 1994). Le procédé est le suivant : lorsqu’un éleveur suspecte que la mort d’un de ses animaux est attribuable au loup, il le rapporte à l’organisation Wildlife Damage Management (autrefois le Animal Damage Control). Cette organisation, gérée par le gouvernement fédéral, fait alors une enquête afin de vérifier si un loup est bien la source de la mort de l’animal. Durant cette investigation, on tente de déterminer si les blessures de l’animal sont bien provoquées par les loups, si on retrouve des traces d’activités de loups récentes dans l’environnement où l’animal a été agressé, et si le bétail était sur des terres publiques. On procède aussi à l’examen des pratiques d’élevage (si, par exemple, les carcasses d’animaux morts sont bien enlevées du périmètre afin d’éviter d’attirer les prédateurs), et on évalue si l’attaque s’est déroulée dans une région de rétablissement du loup (Niemeyer et al., 1994). Si une prédation est bien causée par un loup, dans une zone qui n’est pas une aire de rétablissement, on tente de retirer le loup fautif le plus rapidement possible. Les loups capturés qui en sont à leur première agression sont translocalisés, mais s’ils sont récidivistes, ils sont euthanasiés ou gardés en captivité (Niemeyer et al., 1994).

Cependant, ce n’est pas la seule méthode utilisée pour régler le conflit avec les éleveurs. En effet, malgré la translocalisation ou l’euthanasie des individus problématiques, un système de compensation a aussi été mis sur pied dans plusieurs États afin de limiter les dommages économiques aux éleveurs (Niemeyer et al., 1994; Treves et al., 2002). Ces systèmes varient selon les États (certains compensent les pertes de chiens domestiques ou de chasse, alors que d’autres visent seulement les animaux d’élevage), mais se basent tous généralement sur le prix du marché des animaux d’élevage (Niemeyer et al., 1994; Treves et al., 2002). Dans l’ouest des États-Unis (Montana, Wyoming, Idaho, Nouveau-Mexique, Arizona et Oregon), l’organisation privée Defenders of Wildlife offre un système de compensation pour les producteurs ayant subi des pertes par les loups gris (Niemeyer et al., 1994). Depuis l’implantation du programme en 1987, jusqu’en octobre 2009, l’organisation calcule avoir offert un montant de 1 368 043 USD en compensation aux producteurs (Defenders of Wildlife, 2010a). On remarque que de 2003 à 2004, les montants versés ont plus que doublé, et passèrent de 63 145 USD à 138 081 USD, qui s’explique par la prédation sur les bovins et les moutons qui doubla aussi (Defenders of Wildlife, 2010a). Le nombre de prédations et de compensations augmentèrent durant les années suivantes et atteignirent, en 2008, 226 891 USD. Néanmoins, en 2009, 143 387 USD furent versés aux éleveurs, et le nombre de prédations diminuèrent, surtout celles chez les bovins (Defenders of Wildlife, 2010a).

Les montants versés tendent à augmenter puisque les valeurs marchandes sont en hausses, mais aussi parce que les populations de loups augmentent et leur aire de répartition prend de l’expansion, causant ainsi plus de zones susceptibles aux conflits (Mech, 1998; Treves et al., 2004). 

Les coûts du contrôle des individus problématiques (captures, translocalisations, etc.) doivent aussi être pris en compte. Treves et al. (2002) calculèrent qu’en moyenne, les coûts d’une intervention de contrôle se situaient entre 884 et 8 141 USD, totalisant 24 950 USD entre 1991 et 2000 au Wisconsin.

Le système de compensation a été instauré afin d’améliorer la tolérance des fermiers envers les loups. Le système est régulièrement critiqué de la part des biologistes et des éleveurs comme étant inadéquat, frauduleux et encombrant (Naughton-Treves et al., 2003). Les éleveurs peuvent être mécontents s’ils croient pouvoir obtenir une compensation, mais que leur animal n’est pas jugé tué par un loup par les représentants de l’État. De plus, certains éleveurs ou chasseurs ont manifesté leur mécontentement par rapport aux compensations, qu’ils jugent inadéquates face aux années investies et à l’affection qu’ils ressentent envers leurs animaux domestiques (Naughton-Treves et al., 2003). Certains groupes environnementaux indiquent par contre que la prédation par les loups (ou autres carnivores) est un prix que les éleveurs doivent payer pour faire ce genre d’activités (Niemeyer et al., 1994). Une étude plus récente (Treves et al., 2009) dans l’état du Wisconsin sur l’attitude des habitants face aux compensations montre que celles-ci ne jouent peut-être pas le rôle pour lequel elles ont été instaurées. En effet, la majorité des répondants au questionnaire indiquèrent qu’ils étaient en désaccord avec l’affirmation suivante : « Ma tolérance pour les loups diminuerait si les programmes de compensations ne seraient plus disponibles ».

Bien que certains scientifiques doutent de l’efficacité des systèmes de compensation à long terme (Chapitre 2), et malgré les attitudes observés par Treves et al. (2009), ils craignent que dans le cas du loup gris aux États-Unis, un arrêt complet des dédommagements financiers ne réengage l’hostilité envers l’espèce de la part des citoyens ruraux (Bangs et al., 2005; Naughton-Treves et al., 2003), puisque les programmes de compensation sont tout de même populaires auprès du grand public (Treves et al., 2009). Le débat est donc toujours très présent, d’autant plus que les attaques de loups font souvent l’objet d’actualité lorsqu’elles surviennent, envenimant ainsi l’opinion du public à leur égard (Niemeyer et al., 2004).


   Matthew Koehler

Le 4 mai 2009, la population de loups gris des Rocheuses fut retirée de la liste des espèces en voie d’extinction par le USFWS (Defenders of Wildlife, 2010a). Bien que le plan de conservation ait permis à la population d’atteindre quelque 1600 individus dans cette région, le retrait de l’espèce de la liste permet de tuer près des deux tiers de ceux-ci (Defenders of Wildlife, 2010a). En septembre 2009, malgré la résistance de la part d’organisations et du grand public, le juge désigné à la cause permit la réalisation de la première chasse au loup dans les États du Montana et de l’Idaho avec des quotas de 75 et 220 individus respectivement. 

Ainsi, à l’automne 2009, la première chasse supervisée fut effectuée, où 72 loups furent tués dans le Montana (Sime et al., 2010), et 135 en Idaho (Mack et al., 2010). Malgré le respect des quotas, le nombre de mortalités liées à la prévention de prédation sur le bétail fut, pour l’année 2009, de 145 dans l’état du Montana (Sime et al., 2010) et 94 en Idaho (Mack et al., 2010). En ajoutant la chasse illégale, les mortalités liées aux routes, celles de nature inconnue et les naturelles, 530 loups gris moururent dans ces deux États seulement en 2009 (Mack et al., 2010; Sime et al., 2010). Sur ce nombre, plus de 90% des mortalités sont reliées aux activités anthropiques (Mack et al., 2010; Sime et al., 2010).

Malgré le jugement de septembre 2009, le juge indiqua aux organismes environnementaux de poursuivre leurs démarches pour faire prévaloir le retour des loups gris sous la protection fédérale. Le suivi juridique devait avoir lieu au printemps 2010. (Defenders of Wildlife, 2010b).

3.1.3 Opinion du public

La plupart des recherches effectuées sur l’opinion du public par rapport à la réintroduction et la protection du loup gris indiquent une attitude plus positive de la part des habitants de communautés urbaines, plus jeunes et plus éduquées (Williams et al., 2002). Malheureusement, on ne retrouve pas de publications récentes concernant l’attitude du public face au loup gris dans l’Ouest américain, la plupart datant de la fin de la dernière décennie (Williams et al., 2002). Par contre, en 2003, des étudiants de l’Université du Montana publièrent un mémoire dans lequel ils décrivent leur étude sur l’attitude des producteurs de bétail et du grand public face aux systèmes de compensation pour différentes espèces de carnivores (grizzly, loups, coyotes) (Montag et al., 2003). Les résultats qui en ressortent sont intéressants : bien que les éleveurs de bétail considèrent les compensations comme étant un moyen de gestion désirable, ils considéraient le droit pour les éleveurs de tuer un prédateur eux-mêmes ou la chasse publique de meilleures alternatives à la gestion des prédateurs (Montag et al., 2003). Le grand public semblait moins en accord avec la possibilité pour les producteurs de contrôler eux-mêmes les prédateurs, mais il considérait tout de même les compensations comme étant désirables. Les méthodes non létales comme la translocalisation étaient aussi beaucoup moins populaires chez les éleveurs de bétail par rapport au grand public. Au niveau du lien entre la tolérance pour les prédateur et les compensations monétaires, 52% des producteurs de bétail affirmèrent que leur tolérance pour les loups diminuerait si les compensations étaient éliminées (Montag et al., 2003). Le pourcentage était plus faible chez le grand public.

À des fins des comparaison et d’informations supplémentaires, des études furent publiées en 2003 et 2009 afin d’évaluer l’attitude du public envers les loups et des systèmes de compensations mis en place dans l’État du Wisconsin (population des Grands Lacs) (Naughton-Treves et al., 2003; Treves et al., 2009). Naughton-Treves et ses collègues (2003) observèrent un soutien modéré envers la récupération de l’espèce : 17,4 % des répondants (n=535) indiquèrent qu’ils voulaient l’élimination du loup, 33,1 % la réduction des populations, 36,5 % le maintien des populations et 13,0 % l’expansion des populations. Les répondants ayant déjà perdu un animal domestique suite à la prédation d’un loup ou d’un autre prédateur étaient plus en faveur de la réduction ou l’élimination des populations de loups (Naughton-Treves et al., 2003). Les fermiers ayant reçu des compensations étaient eux aussi plus en faveur de la réduction de la population de loups que ceux n’ayant pas été compensés (Naughton-Treves et al., 2003). Cependant, la majorité des répondants étaient en faveur du système de compensation, mais les opinions divergeaient au niveau des conditions dans lesquelles les compensations doivent être données. Par exemple, certains étaient pour la compensation de la perte des chiens de chasse alors que d’autres préférait la compensation des animaux d’élevage simplement. Sans surprise, les individus ayant perdu des animaux domestiques par un prédateur quelconque démontraient moins de tolérance face aux loups que les éleveurs n’ayant pas subi de pertes (Naughton-Treves et al., 2003). Des recherches précédentes citées par Naughton-Treves et al. (2003) semblent avoir démontré que le support pour la conservation des loups provient généralement des gens ayant une éducation collégiale, vivant dans les zones urbaines et particulièrement les femmes. Les fermiers et éleveurs vivant à proximité de population et de sites de réintroductions des loups semblent les plus hostiles envers ceux-ci.

Treves et ses collègues (2009) se concentrèrent surtout sur le système de compensation en place dans l’état du Wisconsin dans une étude semblable à celle de Montag et al. (2003), et comparèrent l’opinion de gens contribuant au financement du système de compensation en place versus les non-contributeurs. Sans surprise, les contributeurs démontrèrent une tolérance plus élevée, en répondant en plus grande quantité que la population de loup du Wisconsin ne devrait pas être maintenue sous un seuil limite, en approuvant plus souvent les méthodes non létales et en étant en plus grande majorité opposés à la chasse légale publique, selon différents scénarios (Treves et al., 2009). La majorité des deux groupes questionnés indiquèrent que même si les loups n’étaient considérés menacés ou en danger d’extinction, les programmes de compensations devraient être toujours présents. Malgré tout, comme il a été mentionné précédemment, la majorité des répondants (contributeurs et non-contributeurs) affirmèrent que leur tolérance ne diminuerait pas si le système de compensations était éliminé (Treves et al., 2009).

Ainsi, bien que la tolérance des individus envers les loups ne semble pas intimement liée à la présence de méthodes compensatoires, celles-ci semblent importantes aux yeux des citoyens et ce même si l’espèce concernée n’est plus en danger d’extinction. L’opinion du public envers les loups est un facteur clé dans la gestion de l’espèce puisque des fonds doivent être amassés afin de compenser les fermiers, ou de développer de nouvelles techniques afin de faire une gestion adéquate de l’espèce (capture, translocation, recherche, radiotélémétrie, contrôle létal et non létal).

3.1.4 Conclusion

Malgré les efforts déployés pour rehausser l’image du loup chez les fermiers, il semble que leurs préjugés n’aient toujours pas disparu et que la revendication de l’éradication ou du contrôle létal est encore présente, et ce, malgré les faibles taux de prédation observés.

Comme il a été mentionné précédemment, même si la tolérance envers l’espèce ne semble pas être influencée par la présence de programmes de compensation, ceux-ci sont tout de même populaires auprès du public et des éleveurs (Naughton-Treves et al., 2003; Treves et al., 2009). L’élimination des compensations pourrait tout de même réalimenter l’hostilité de certains individus envers l’espèce, et réanimer l’esprit de vengeance et la persécution du loup. Ceci d’autant plus que l’espèce n’est plus considérée en danger ou menacée d’extinction dans certains États américains comme c’est le cas dans du Montana et du Wyoming (USFWS, 2010), faisant en sorte que le contrôle létal par les éleveurs eux-mêmes peut être encouragé.

Une question survient donc : le plan de conservation appliqué pour les loups gris de l’Ouest américain est-il adéquat?

L’organisme Defenders of Wildlife tente aujourd’hui de promouvoir les méthodes non létales auprès des fermiers et éleveurs qui vivent à proximité de zones peuplées de loups ou des sites de réintroduction de celui-ci (Stone et al., 2008), mais l’intolérance envers l’espèce est tout de même présente. Un effort constant d’éducation doit être déployé afin de démontrer aux communautés rurales que la prédation peut être réduite sans tuer les individus problématiques si des techniques adéquates sont utilisées. Il semblerait qu’aux États-Unis, l’intolérance envers les loups est acquise durant le jeune âge et selon l’héritage familial : les résidents ayant un fort héritage de chasse sont plus souvent en faveur du contrôle létal de la faune (Naughton-Treves et al., 2003). Cependant, malgré la restitution de la chasse légale aux loups à l’automne 2009, certains chasseurs montrèrent encore du mécontentement en indiquant que les quotas n’étaient pas assez élevés et que la chasse s’avérait donc inefficace contre la prédation (Brown, 2009).

On ne peut que remarquer toutes les démarches entreprises par les agences gouvernementales, mais aussi les organismes privés, afin de créer un plan de gestion adéquat pour l’espèce qui satisfera les communautés rurales. La chasse légale, la chasse sélective, les compensations et un support pour appliquer de nouvelles méthodes d’élevage sont toutes des méthodes auxquelles les citoyens ont accès. Cependant, la tolérance des Américains envers le loup gris ne semble pas en être améliorée. Les Américains forment possiblement la population ayant le plus de ressources (économiques, politiques et technologiques) et de pouvoir pour faire de réels changements dans leur gestion de la faune. Il est désolant qu’ils ne saisissent pas l’opportunité de pouvoir devenir un modèle pour d’autres communautés locales et continuent leur guerre contre une espèce qui a déjà souffert grandement de la présence de l’Homme.

   La Presse.ca

3.2. Les léopards des neiges en Inde

Le léopard des neiges, aussi appelé once ou panthère des neiges, est un grand félin retrouvé dans les hautes chaînes de montagnes de l’Asie centrale (Mishra et al., 2003; Jackson et al., 2008). Sa distribution touche une douzaine de pays sur 2,3 millions de kilomètres carrés (Mishra et al., 2003). Il a été observé autant dans le sud de la Russie, le nord du Népal, l’Afghanistan, l’Inde ainsi que possiblement dans le Nord du Myanmar (Jackson et al., 2008). Cette espèce retrouvée principalement dans les hautes altitudes (3000-4500 mètres) recherche des habitats froids, des zones arbustives arides et semi-arides, des prairies ou des aires désertiques (Jackson et al., 1998; Mishra et al., 2003). Malgré cette large distribution, la population mondiale est estimée entre 4080 et 6590 individus, desquels environ 2500 se trouvent en Chine (Jackson et al., 2008). Le léopard des neiges est sur la liste rouge de l’UICN comme étant en danger d’extinction, ainsi que sur l’annexe 1 de la Convention sur le commerce international des espèces de la faune et de la flore menacées d’extinction (CITES), permettant son commerce seulement sous conditions exceptionnelles (CITES, 2010). La proie naturelle principale du léopard des neiges est le grand bharal (Pseudois nayaur), un caprin possédant sensiblement la même répartition (Jackson et al., 2008). Parmi ses proies se retrouvent aussi plusieurs espèces de marmotte (Marmota ssp.), de pika (Ochotona ssp.), de lièvre (Lepus ssp.), de petits rongeurs et certaines espèces aviaires (Jackson et al., 2008).

La répartition du léopard des neiges coïncide avec une utilisation des terres pour le pastoralisme et l’agropastoralisme par de petites communautés (Mishra et al., 2003). La population humaine partageant l’habitat du prédateur est faible, mais l’élevage extensif et traditionnel est la principale activité de subsistance des villages parsemant les chaînes montagneuses asiatiques, et peut avoir un impact sur la survie du grand félin (Mishra et al., 2003). En effet, non seulement les animaux domestiques d’élevages tels les chèvres, les moutons et les yaks (Bos grunniens) créent une compétition pour le pâturage avec les bharals et influencent négativement l’abondance de ceux-ci, mais le léopard des neiges est aussi tué par vengeance de la part des bergers qui subissent des pertes en réponse à des attaques (Bagchi et Mishra, 2006; Mishra, 1997; Mishra et al., 2003, Namgail et al., 2007). Tout cela sans compter les chasses illégales qui sont peu discutées par les habitants puisqu’il existe, dans plusieurs pays, un règlement protégeant l’espèce (Mishra, 1997). Considérant les faibles revenus des communautés locales de ces régions, la présence du léopard des neiges près de leurs troupeaux affecte fortement leur attitude face à l’animal et sa protection.

  Snow Leopard Conservancy India

Divers programmes et projets ont été mis sur pieds depuis les années 1990 afin d’impliquer les communautés locales dans la conservation des espèces en danger, particulièrement le léopard des neiges (Hussain, 2000; Jackson et Wangchuk, 2004; Mishra et al., 2003; Ogra et Badola, 2008). L’impact de cette espèce, sa relation avec les communautés locales et les différents projets de conservation mis sur pied sont discutés dans les sections suivantes. Bien que ce type d’activités et recherches se fassent dans divers pays où le léopard des neiges est présent, le texte suivant se penchera plus spécifiquement sur les recherches ayant été menées en Inde.


3.2.1 Envergure du conflit

Plusieurs études furent menées afin d’évaluer la prédation sur les animaux domestiques par les léopards de neiges en Inde (Mishra, 1997; Mishra et Bagchi, 2006; Namgail et al., 2007). En 1997, Mishra publia ses recherches effectuées dans les villages bordant le sanctuaire faunique de Kibber (Kibber Wildlife Sanctuary, KWS), une aire désertique de 1400 km2 dans la région de Spiti, province de Himachal Pradesh, dans le nord de l’Inde. En 1991, la population humaine dans les treize villages aux abords du sanctuaire était de 1985 habitants, lesquels s’adonnaient particulièrement à l’agriculture et l’élevage (Mishra, 1997). Le léopard des neiges ainsi que le loup tibétain (Canis lupus chanku) sont les deux grands prédateurs présents dans la région. Les villageois possèdent des animaux domestiques tels les chèvres, moutons, boeufs, yaks et des chevaux, qui broutent directement dans le sanctuaire (Mishra, 1997).

Dans les trois villages qui furent étudiés, soient Kibber, Gete et Tashigang, Mishra recensa 1054 têtes d’animaux d’élevage en 1996. Durant les dix-huit mois précédents l’étude, 189 pertes d’animaux domestiques furent attribuées à des prédateurs sauvages, soit l’équivalent de 1,6 bête par famille par année, et une perte annuelle de 12% du cheptel. Économiquement, l’auteur affirme que les pertes équivalaient à 15 418 USD, soit environ 128 USD par famille par année (selon les taux de change de 1994-1995 : 1 USD = 31,4 Rupies indiennes (INR)1

Mishra (1997) indique que la plupart des pertes observées dans cette étude étaient attribuables au léopard des neiges. Cependant, il observa que les loups sont beaucoup plus sujets à la vengeance de la part des villageois : ils capturent les petits et sont récompensés par les villages voisins alors qu’ils paradent avec ceux-ci, avant de les tuer (Mishra, 1997). Paradoxalement, la persécution des léopards des neiges semblait occasionnelle, comme ce fut le cas lorsqu’un individu fut accidentellement piégé dans un enclos (Mishra, 1997). Il est par contre important de noter que selon la Loi indienne, le loup tibétain et le léopard des neiges ne peuvent être éliminés pour des raisons telles que la prédation sur le bétail (Mishra, 1997). La volonté des villageois à raconter leur vengeance sur les prédateurs pourrait donc être sous-estimée, par peur de représailles de la part du gouvernement. ) (Mishra, 1997). Considérant qu’en 1994-1995, les revenus annuels moyens par habitant de la province de Himachal Pradesh étaient de 248 USD, les pertes associées aux prédateurs ne sont pas négligeables (Mishra, 1997).

  Times of India Economie rurale Himachal Pradesh

En 2006, Bagchi et Mishra publièrent leurs recherches concernant le léopard des neiges, toujours dans la région de la rivière Spiti, province de Himachal Pradesh. Les auteurs voulurent connaitre la diète des léopards des neiges afin de vérifier la proportion du bétail dans celle-ci, ainsi que d’évaluer la tolérance des villageois relativement à la conservation de

1 À titre de référence, le taux de change le 11 février 2010 selon la Banque du Canada était de 1 USD = 46,38 INR. l’espèce. Deux sites d’études furent utilisés : le parc national Pin Valley (Pin Valley National Park, PVNP), où le bouquetin (Capra sibirica) est le seul ongulé sauvage présent, et le sanctuaire faunique Kibber (KWS), où le bharal est l’ongulé sauvage le plus commun, avec une très petite population de bouquetin. Le bétail des villageois vivant à proximité de ces zones va généralement brouter au même endroit que les proies naturelles, causant une compétition pour le pâturage. En comparant les densités des proies naturelles versus celle du bétail présent, Mishra et Bagchi firent les observations suivantes : dans le KWS, la densité du bharal était d’environ 2,6 par km2, alors que celle du bétail était de 29,7 animaux par km2. Dans le PVNP, la densité de bouquetins était d’environ 6,1 par km2 alors qu’on observait 13,9 animaux domestiques par km2. La proportion d’animaux d’élevage était donc passablement plus élevée que celle de proies sauvages dans les deux cas, mais la différence était plus marquée à KWS.

Lorsqu’ils étudièrent la diète du léopard des neiges par les selles retrouvées dans les deux aires d’études (n=95; KWS=44 et PVNP=51), 42% de la diète semblait être constituée de proies naturelles (bharal, oiseaux) à KWS, alors que le 58 % restant provenait d’animaux domestiques tels les ânes, chevaux, yaks et autres boeufs (Bagchi et Mishra, 2006). À PVNP, le bouquetin était la proie majeure et constituait 57 % de la diète, dont 60 % était composé de proies naturelles. Le 40 % attribué aux proies domestiques était surtout constitué de chevaux (Bagchi et Mishra, 2006). Les résultats obtenus par Bagchi et Mishra laissent supposer que la densité relative du bétail face aux proies naturelles permettrait de prédire les hot spots de prédation sur le bétail par les léopards des neiges. Néanmoins, la prédation du léopard des neiges sur les animaux domestiques est importante dans la région de Spiti.

  WWF India attaques d'un léopard dans un enclos

Parallèlement à l’étude de Bagchi et Mishra, Namgail et ses collègues (2007) évaluèrent la prédation du léopard des neiges en bordure du sanctuaire faunique de Gya-Miru (Gya-Mira Wildlife Sanctuary, GMWS), dans la province de Ladakh, en Inde, durant une période d’environ deux ans et demi. Les trois villages étudiés (Gya, Rumtse et Sasoma) rapportèrent un total de 295 prédations (tous prédateurs confondus), soit l’équivalent de 1,9 animaux domestiques par famille par année. Le loup était le prédateur le plus commun avec 60 % des attaques, suivi du léopard des neiges avec 38 % du total. Les villageois observèrent des cas d’attaques multiples de la part du léopard des neiges, c’est-à-dire lorsqu’un individu entre dans un enclos et tue plusieurs bêtes domestiques s’y trouvant. Quatre incidents de ce genre survinrent durant la période d’étude, pour un total de 47 animaux domestiques tués (Namgail et al., 2007). Les auteurs évaluèrent une perte économique due aux prédateurs de 12 120 USD (1 USD = 47,4 INR, en 2006), soit 190 USD par famille par année. Cette valeur correspond à 18% du revenu annuel moyen des habitants de la région (Namgail et al., 2007).

Les études effectuées dans d’autres pays où le léopard des neiges est présent abondent dans le même sens, avec des pertes financières représentant un grand pourcentage des revenus annuels des familles (Hussain, 2003; Ikeda, 2004; Oli et al., 1994).

À la suite de ces observations, il est facile de comprendre le sentiment haineux que les villageois peuvent ressentir par rapport aux prédateurs de leur bétail. En effet, la plupart des études ayant un volet sur l’opinion publique envers le léopard des neiges observent un pourcentage de moyen à élevé (30-76 %) des habitants étant fortement en faveur de l’éradication de l’espèce et contre sa protection (Bagchi et Mishra, 2006; Oli et al., 1994; Spearing, 2002).

3.2.2 Programmes de conservation

En 1996, le gouvernement indien instaura un programme de compensation pour les éleveurs subissant des pertes par la faune (Jackson et Wangchuk, 2004). Malheureusement, ce projet s’avéra inefficace pour différentes raisons : les villageois devaient faire un long voyage (parfois jusqu’à 4 jours) pour signaler leurs pertes, et recevoir, souvent plusieurs mois après la signalisation, au maximum 35 % de la valeur marchande de l’animal perdu (Mishra, 1997; Ogra et Badola, 2008). Mishra (1997) indiqua même que dans la région de Spiti, les compensations étaient en moyenne seulement de 3 % de la valeur perdue par les éleveurs. Les villageois sont donc souvent peu enclins à s’engager dans les déboires administratifs, sans compter qu’ils n’ont pas nécessairement les économies nécessaires pour les dépenses qui peuvent y être associées (Ogra et Badola, 2008). Ces derniers auteurs rapportent une opinion fortement négative des villageois de la région du parc national de Rajaji, dans l’état de Uttarakhand, en Inde, par rapport au système de compensation en vigueur. En plus du faible pourcentage compensé, du temps et des problèmes administratifs, les répondants démontrèrent un manque de confiance envers les représentants gouvernementaux qu’ils jugent corrompus (Ogra et Badola, 2008). Les femmes semblaient aussi limitées par le programme, comme ce fut le cas d’une jeune veuve qui vit sa compensation donnée au propriétaire foncier du terrain (Ogra et Badola, 2008). Toutes ces raisons font en sorte que peu de villageois appliquent pour être compensés et le sentiment de frustration envers la faune reste présent (Ogra et Badola, 2008).


Les organisations de conservation privées ont donc dû développer des programmes qui allaient au-delà de la simple compensation financière, et impliquer directement les villageois dans le processus de conservation. Certains de ces programmes se basent sur un système d’assurance où les villageois paient un certain montant par mois afin d’assurer leurs bêtes (Hussain, 2000; Mishra et al., 2003). Les Conseils des villages, très importants dans les petits villages asiatiques, sont généralement responsables de ces fonds monétaires. Les villageois se sentent donc plus en confiance et directement impliqués dans le projet (Hussain, 2000; Mishra et al., 2003). 


Une vue de Kibber, une communauté au-dessus de la vallée de Spiti. Photo: NCF Inde

En Inde, dans le village de Kibber, Snow Leopard Trust s’occupe de donner des montants supplémentaires afin d’obtenir le montant représentant les pertes moyennes annuelles par les prédateurs (Mishra et al., 2003; Snow Leopard Trust, 2010). Les éleveurs perdant des animaux domestiques suite à la prédation peuvent piger dans le fonds monétaire du village pour compenser leurs pertes. Les surplus obtenus à la fin d’une année sont réinvestis dans le fonds monétaire à l’année suivante, alors que les villageois repaient leurs assurances, le roulement de fond augmente et le Snow Leopard Trust peut réduire ses investissements petit à petit, jusqu’à ce que le village devienne autosuffisant (Snow Leopard Trust, 2010). Une indépendance totale du village de Kibber était visée pour 2010 (Snow Leopard Trust, 2010). Un certain montant de ce fonds d’assurances est aussi utilisé pour améliorer les techniques d’élevage antiprédateur et récompenser les éleveurs utilisant de bonnes pratiques (Mishra et al., 2003). En plus de ce programme d’assurance, Mishra et ses collègues, avec l’aide de la Nature Conservation Foundation, développèrent un projet de conservation des pâturages afin de permettre aux populations de proies naturelles du léopard des neiges d’augmenter (Mishra et al., 2003). Ainsi, le village désigna une aire de 500 hectares, soit 6% des zones régulièrement utilisées par les animaux domestiques, qui deviendrait, pour une période de cinq ans, une zone sans activités anthropiques (Mishra et al., 2003). La Nature Conservation Foundation s’engagea à payer une somme de 425 USD par année au Conseil du village afin d’aider aux développements et activités du village (Mishra et al., 2003).

Le paysage près du village de Skoyo peut être à couper le souffle, il y a peu de moyens d'y gagner sa vie décemment [image par : Shafqat Hussain]

Au Pakistan, dans le village de Skoyo, un projet pilote d’assurance fut implanté en 1998 sous le nom Project Snow Leopard (Hussain, 2000). La base est sensiblement la même que le projet en Inde, c’est-à-dire que les villageois assurent leurs bêtes en payant un certain pourcentage de leur valeur dans un fonds monétaire. La différence avec le projet de Kibber est que l’autre moitié des fonds provient des profits réalisés suite à des activités écotouristiques dans la région (Hussain, 2000). Le nombre de randonneurs pédestres augmentant grandement dans la région, des randonnées axées sur le léopard des neiges sont organisées, et l’on a ainsi pu amasser des montants complémentant ceux donnés par les villageois (Hussain, 2000). Cette initiative est très intéressante puisqu’elle permet aux éleveurs d’être compensés rapidement lors d’une attaque, mais aussi encourage le tourisme et le plein air dans la région (Hussain, 2000). Le fonds monétaire est cependant très dépendant du tourisme dans la région et malheureusement, la baisse des revenus touristiques depuis quelques années a limité l’expansion du projet à d’autres régions (Snow Leopard Conservancy, 2010).

Une des raisons importantes de la prédation par les léopards des neiges souvent citées par les chercheurs tentant de réduire le conflit sont les méthodes d’élevage inadéquates contre ce type de prédateur (Jackson et Wangchuk, 2004; Mishra et al., 2003). Plus particulièrement, les enclos sans toit pour les animaux domestiques permettent aux léopards des neiges de sauter à l’intérieur, provoquant des attaques multiples. Ces incidents représentent généralement un petit pourcentage du nombre total d’attaques, mais une grande proportion des animaux domestiques tués (Jackson et Wangchuk, 2004). Plusieurs programmes impliquent donc, en plus du système d’assurance ou incitatif, une reconstruction des enclos afin d’améliorer la protection du bétail (Jackson et Wangchuk, 2004; Mishra et al., 2003). 

  NABU 2021

Les organismes partenaires fournissent les matériaux importés tels des câbles ou des portes, et les villageois apportent les pierres et la boue, en plus de participer activement dans l’amélioration des enclos (Jackson et Wangchuk, 2004). Cette solution semble s’avérer efficace, puisque les villageois ressentent la satisfaction de travailler directement sur le projet, et il semblerait que les léopards des neiges, malgré certaines visites de ces enclos, n’aient pas attaqué les animaux s’y trouvant (Jackson et Wangchuk, 2004).

  Snow Leopard Trust / enclos de protection

 Les villageois semblent particulièrement apprécier ces nouveaux enclos, puisqu’ils n’ont plus à dormir dehors auprès de leurs animaux domestiques pour assurer leur survie (Jackson et Wangchuk, 2004; Snow Leopard Trust, 2010).

Bien sûr, la volonté des villageois à participer à ces projets les engage aussi à protéger le léopard des neiges et ainsi éviter les tueries de vengeance en réponse à des événements de prédation. Snow Leopard Trust a même développé un programme au Pakistan où, en échange d’une promesse de protection du léopard des neiges, l’organisme fournit les vaccinations nécessaires pour le bétail à un très faible coût (Snow Leopard Trust, 2010).

3.2.3 Conclusion

L’implication directe des villageois au sein des programmes de conservation du léopard des neiges semble primordiale dans les villages des montagnes asiatiques. Aujourd’hui, outre ceux liés à l’écotourisme, ces projets semblent toujours en fonction et efficaces (Snow Leopard Trust, 2010). Cependant, aucune recherche n’a encore été publiée sur les taux de prédation, les montants de compensation et l’opinion actuelle des villageois afin de les comparer aux recherches précédant les programmes de conservation. Le travail des organismes Snow Leopard Trust et Snow Leopard Conservancy est par contre toujours actif et s’épand à petits pas. De plus, en janvier 2009, le gouvernement indien indiqua le lancement d’un projet de grande envergure à travers cinq provinces du pays afin de conserver le léopard des neiges (Rajput, 2009). L’accent de ce projet sera mis sur l’éducation et l’implication des communautés, en plus de l’application de lois plus sévères concernant la protection de l’espèce (Rajput, 2009). Cette démarche aiderait en plus la reprise des espèces de proies naturelles et viendrait donc potentiellement réduire la prédation sur le bétail (Rajput, 2009). L’avancement de ce projet ainsi que les premières données à son sujet n’ont pas encore été publiés, mais l’implication du gouvernement semble être un pas de plus vers une conservation plus vaste de l’espèce.

La réussite des projets de conservation du léopard des neiges dans les régions montagneuses de l’Inde est tout de même impressionnante et contrastante avec la situation du loup aux États-Unis : malgré des revenus très modestes, quelques animaux domestiques et un style de vie plus rustique, les villageois d’Asie centrale s’impliquent grandement dans les projets de conservation et sont même prêts à payer un certain montant de leurs faibles revenus afin d’assurer leurs bêtes et pouvoir être indemnisés adéquatement. 

Aux États-Unis, malgré la chasse sélective des individus problématiques, les compensations, les récompenses associées à des méthodes de contrôle non létales et l’éducation, une intolérance est toujours perçue par les éleveurs et les fermiers qui, ultimement, ne sont pas aussi affectés que les villageois asiatiques lorsqu’une prédation survient.



 ,  Mikato Safaris / Laikipia

3.3 La tolérance des grands carnivores dans le district de Laikipia, Kenya

La mégafaune africaine ne fait pas exception aux conflits hommes-carnivores. La densité humaine en croissance et le besoin de nouvelles terres pour l’agriculture ou l’élevage sont aussi des causes de déclin des grands mammifères en Afrique (Frank et al., 2005; Ogada et al., 2003). Malgré les nombreux parcs nationaux et réserves écologiques qui parsèment le continent, les scientifiques s’entendent sur le fait que celles-ci sont trop petites pour soutenir des populations viables de ces espèces possédant des domaines vitaux très vastes (Frank, 1998; Frank et al., 2005; Ogada et al., 2003; Romañach et al., 2007, Woodroffe et al., 2005c). Les animaux se retrouvent donc souvent hors des aires protégées et, suite à des incidents, sont tués par les communautés vivant en bordure de ces zones (Kolowski et Holekamp, 2006; Ogada et al., 2003; Woodroffe et al., 2005c).

   Research Gate : Boma Maasaï protection lions...

Au Kenya, malgré l’implantation des premiers parcs nationaux en 1947, un tiers de la faune a disparu depuis les trente dernières années (Wester et Waithaka, 2005). Malheureusement, l’historique des politiques de protection de la faune et la grande corruption n’a pas aidé à l’avancement des programmes de conservation dans ce pays (Wester et Waithaka, 2005). Néanmoins, de plus en plus de groupes et d’organismes investissent temps et argent à travailler directement avec les ranchs commerciaux ou les tribus pratiquant les méthodes de pastoralisme traditionnel afin d’adapter des méthodes de prévention de la prédation ou à l’éducation des habitants (e.g. Living with Lions Trust, Kenya Wildlife Service, African Wildlife Foundation, African Lion Working group, entres autres). Le tourisme est une des principales activités économiques du pays, dont les grands mammifères constituent le centre d’attraction (Frank, 1998). L’élevage et l’agriculture entraînant aussi des revenus économiques importants nationalement, il existe une relation amour-haine entre les Kenyans et la mégafaune.

Le district de Laikipia, au centre du Kenya, est grandement étudié par les biologistes, car on y retrouve de densité faune sauvage assez élevée, malgré l’absence de zones protégées légales (Frank et al., 2005; 2006). Certains propriétaires de terres privées ont consacré celles-ci à la conservation de la faune, mais aucune réserve ou aire protégée déterminée par le gouvernement n’est présente (Romañach et al., 2007).

   CGIAR troupeau au Laikipia

Contrairement à beaucoup d’autres endroits sur la planète, malgré la cohabitation avec la faune, les habitants de Laikipia possèdent une tolérance élevée envers les grands carnivores qui partagent les terres utilisées par leurs animaux domestiques, faisant de la région un « laboratoire idéal dans lequel il est possible de développer des pratiques réalistes et progressives de gestion des prédateurs et du bétail » (Frank et al., 2006). La présente section explique la situation évoluant dans le district de Laikipia, et expose les différentes pratiques mises en place par les organisations de conservation et le gouvernement kenyan.

3.3.1 Envergure du conflit

Le district de Laikipia est un écosystème de plus de 9 500 km2 de brousse et savane semi-aride, caractérisée principalement par Acacia ssp. (Frank, 1998; Frank et al., 2005; Laikipia Wildlife Forum, 2010; Ogada et al., 2003). Malgré l’urbanisation (35 %, Frank et al., 2005), l’habitat naturel est fortement présent (Frank, 1998; Frank et al., 2005). Soixante-dix pour cent des terres sont voués à grandes fermes commerciales entre lesquelles sont réparties de petites fermes de subsistances ainsi que des zones de pastoralisme traditionnel (Frank et al., 2005; Ogada et al., 2003; Romañach et al., 2007). Les grandes fermes commerciales sont généralement la propriété d’étrangers alors que le pastoralisme traditionnel est principalement effectué par les communautés de Masaïs, une population d’éleveurs et guerriers semi-nomades vivant principalement au Kenya et en Tanzanie (Frank, 1998). Les techniques d’élevage restent par contre traditionnelles, et ce, même dans les ranchs commerciaux : la nuit, les animaux sont regroupés dans des enclos, appelés « bomas », et le jour, ils sont gardés de près par des bergers (Ogada et al., 2003). Différents types de bomas peuvent être retrouvés sur les terres : en pierres ou en bois, en branches d’Acacia, en grillage de câble ou en tissage de branches (Ogada et al., 2003). Certains bomas ont des cloisons intérieures permettant aux éleveurs de séparer les troupeaux (Ogada et al., 2003).

 Laikipia, paysage de safaris mais aussi ... un payage dans lequel les éleveurs doivent faire face aux grands prédateurs, de jour comme de nuit : lions, guépards, léopards, hyènes, lycaons...

La faune présente dans le district de Laikipia est abondante et diversifiée, notamment les espèces qui servent de proies aux grands carnivores. (Frank et al., 2005). Le territoire de Laikipia supporte des populations de six grands carnivores : le lion (Panthera leo), le guépard, le léopard, l’hyène tachetée, l’hyène rayée (Hyaena hyaena) ainsi que le chien sauvage africain, appelé lycaon (Lycaon pictus) (Frank et al., 2005).

Concern Worldwide US / sécheresse / Une action urgente est necessaire  afin de faire face à la faim de + de 3 500 000 de personnes!

Les kenyans de Laikipia doivent donc cohabiter avec ces six prédateurs (en plus des grands herbivores pouvant détruire les zones agricoles), chacun possédant un comportement différent de prédation (Frank, 1998; Frank et al., 2005; Ogada et al., 2003). Effectivement, certaines études démontrent que les lions, léopards et hyènes seraient plus portés à attaquer les bomas durant la nuit; les lions et léopards en sautant par-dessus les murs alors que les hyènes rampent en dessous ou au travers (Frank et al., 2005; Ogada et al., 2003). Les guépards et les lycaons sont diurnes et s’attaquent donc aux troupeaux broutant librement durant la journée (Frank et al., 2005; Ogada et al., 2003).

Selon Frank (1998), les carnivores de Laikipia tueraient annuellement environ 0,8 % des bovins et 2,1 % des moutons ou chèvres sur les ranchs commerciaux, et 0,7 % des bovins et 1,4 % des moutons ou chèvres sur les terres pastorales. La proportion plus faible sur les terres vouées au pastoralisme serait due à la plus faible présence des prédateurs dans ces zones (Frank, 1998). En effet, la grande faune aurait une préférence pour les terres commerciales, où la densité de bétail est plus faible, contrairement aux terres pastorales, où le bétail est présent en plus grande densité (Frank et al., 2005). Cependant, les pertes se produisant sur les terres pastorales coûtent proportionnellement beaucoup plus aux éleveurs traditionnels puisqu’en moyenne ils possèdent 8 bovins et 64 ovins ou caprins (ou hybrides), contrairement aux éleveurs commerciaux possédant en moyenne 1536 bovins et 310 ovins ou caprins (ou hybrides) (Romañach et al., 2007).

Frank (1998) étudia la prédation sur le bétail dans le district de Laikipia et particulièrement sur les grandes fermes commerciales. Il évalua les pertes annuelles d’un groupe de fermiers commerciaux à 40 USD par famille, soit 11 % du revenu annuel moyen par habitant au Kenya en 2003 (Frank et al., 2005). Il faut cependant signaler que bien que 40 USD représente un pourcentage élevé du revenu pour les communautés pastorales Masais, il peut représenter bien peu pour des fermes commerciales de grandes envergures. Malgré tout, la prédation ne coûte pas autant aux communautés locales que les maladies ou le vol de bétail (Frank, 1998). Ces données proviennent par contre particulièrement de ranchs commerciaux, où les pertes de bêtes domestiques sont systématiquement notées (Frank, 1998). 

L’impact sur les petites communautés de Masaïs ou les petites fermes de subsistance doit être plus important. Grâce à une estimation du nombre de chaque espèce de prédateur par ferme étudiée et le nombre de bêtes tuées par des prédateurs, Frank (1998) évalua le coût annuel représentant chaque prédateur lorsqu’un propriétaire le laisse errer sur son terrain (au lieu de l’éliminer). 

    Kristian Sekulic  

Il observa que le lion est le plus coûteux, avec une valeur d’environ 360 USD par lion par année, soit l’équivalent d’une vache ou de 9,3 moutons. 

   123RF

La présence d’un léopard aurait une valeur annuelle de 211 USD (0,5 vache ou 5 moutons), 

CATERS NEWS AGENCY/SIPA |

Le guépard 108 USD (0,25 vache ou trois moutons), 

   Planète Animal

et l’hyène tachetée 35 USD (0,1 vache ou environ 1 mouton) (Frank, 1998). 

  Maxres

Il faut mentionner que l’étude de Frank (1998) n’incluait pas le lycaon, puisque celui-ci a disparu de la région dans les années 1980 avant de réapparaître dans les années 2000 (Woodroffe et al., 2005c), et n’était donc pas présent lors de l’étude. 

Une étude ultérieure (Woodroffe et al., 2005c) évalua par contre la présence des chiens sauvages africains à environ 3 USD par année par animal présent. 

Malgré ce faible coût, la présence de lycaons sur les terres d’éleveur peut leur coûter cher puisque cette espèce a tendance à tuer plusieurs animaux en une seule attaque (Woodroffe et al., 2005c). En effet, Woodroffe et ses collègues (2005c) évaluèrent le coût moyen d’une attaque de lycaons entre 80 et 325 USD, alors que le revenu annuel moyen des Kenyans était évalué à environ 360 USD lors de l’étude en 2003 (en 2008 : 770 USD, Banque Mondiale 2010). 

Par contre, ce type d’estimation peut être utilisé seulement à titre indicatif de taux de prédation puisque les pertes causées par les prédateurs peuvent varier abondamment d’un ranch à un autre : certains éleveurs subissent des attaques multiples alors que d’autres n’en subissent aucune. Le coût associé à la présence d’un grand prédateur peut donc varier grandement d’une ferme à une autre.

3.3.2 Tolérance de la communauté locale

Comme il a été mentionné, la présence des différentes espèces de prédateurs peut coûter cher aux habitants qui les acceptent sur leurs terres. Malgré tout, la tolérance des habitants de Laikipia par rapport aux carnivores, et même aux grands herbivores, est particulièrement élevée (Frank et al., 2005; Ogada et al., 2003). Dans son étude, Frank (1998) évalua l’attitude des propriétaires de ranchs commerciaux (n=18) face au prédateur et observa qu’en moyenne, ceux-ci souhaitaient une augmentation des populations des grands félins, mais une réduction d’environ 35 % des hyènes, et ce, même si elles ne sont pas les plus dommageables pour le bétail. Chez la communauté locale pratiquant le pastoralisme, la tolérance envers les hyènes était encore plus faible, puisque tous les répondants (n=8) répondirent qu’ils préfèreraient ces animaux éradiqués (Frank, 1998). Cette attitude par rapport aux hyènes proviendrait peut-être du fait que ces espèces sont moins populaires auprès des touristes étrangers visitant le pays, et réduirait peut-être l’attrait des activités touristiques présentes sur les terres de Laikipia (Frank et al., 2005). La tolérance envers les léopards était aussi particulièrement faible (Frank, 1998). Leur opinion était néanmoins plus positive lorsque des revenus apportés par des activités écotouristiques étaient espérés (Frank, 1998).

Près de dix ans plus tard, l’étude de Romañach et ses collègues (2007) démontra une tendance similaire, mais avec plus de participants provenant de la communauté (petites fermes de subsistance et pastoralistes Masaïs). 

Tous les fermiers commerciaux affirmèrent que la cohabitation avec les prédateurs était possible, alors 42 % des membres de la communauté avouaient la coexistence impossible. Lorsque les chercheurs demandèrent quel serait le meilleur moyen de promouvoir la coexistence avec les prédateurs, la réponse la plus commune, de la part des fermiers commerciaux et de la communauté, était la chasse au trophée (Romañach et al., 2007). Quatorze pour cent des membres de la communauté participant à l’étude suggérèrent la compensation financière comme méthode de mitigation (Romañach et al., 2007). En général, l’attitude est plus positive chez les fermiers commerciaux qui sont, pour la plupart, plus riches que les membres de la communauté (Romañach et al., 2007).

  Wild Wonderful World

Malgré son possible attrait touristique, le lion est un redoutable prédateur et sa présence sur certains territoires n’est pas toujours tolérée (Romañach et al., 2007). En effet, le lion était le prédateur le moins populaire auprès des fermes commerciales, et trois des 23 répondants ne désiraient pas de cette espèce sur leurs terres (Romañach et al., 2007). L’année précédente à l’étude de Romañach, 96% des éleveurs avaient perdu du bétail suite à des attaques de lions, tuant ainsi trois fois plus d'animaux domestiques que les hyènes (Romañach et al., 2007). L’hyène était le prédateur le moins apprécié de la part des membres de la communauté, qui montraient une attitude positive envers certains prédateurs si leurs revenus principaux provenaient du tourisme (Romañach et al., 2007).

Chez les propriétaires de terres commerciales, seulement un des répondants avait une politique de tuer un prédateur lorsqu’il le voyait sur son terrain, contrairement à 79 % des membres de la communauté (Romañach et al., 2007). 

  Patrick Reynolds

De même, un seul éleveur commercial avoua qu’il utiliserait du poison pour tuer un prédateur contrairement à 168 membres de la communauté (Romañach et al., 2007).

Une différence dans l’attitude des habitants du district de Laikipia est donc visible, et se situe au niveau du type d’élevage effectué (commercial vs pastoral) mais aussi selon les différentes sources de revenus possibles sur les terres; les habitants pouvant jouir d’activités touristiques ou créer des zones de conservation démontrent une appréciation beaucoup plus marquée de la mégafaune kenyane (Romañach et al., 2007). Malgré tout, les biologistes considèrent les Kenyans de Laikipia très tolérants aux prédateurs puisque malgré certaines opinions évoquées dans les entrevues, la proportion des gens ayant tué des carnivores ne semble pas très importante (Romañach et al., 2007).

3.3.3 Programme de conservation

Au Kenya, considérant l’attrait touristique important de la mégafaune présente, la conservation des écosystèmes a toujours été un thème important dans les politiques, que ce soit par la création de nombreux parcs nationaux (7,6 % des terres kenyanes sont des parcs ou réserves) ou des politiques protégeant les différentes espèces animales (Western et Waithaka, 2005).

L’historique de la conservation de la faune au Kenyan fait par Western et Waithaka (2005) sera résumé dans les prochaines lignes. En 1977, le gouvernement kenyan élabora une politique de la faune (Wildlife policy), où l’approche écosystémique, l’implication des communautés et l’importance du tourisme formaient les racines du projet. 

    Flickx

Reconnaissant que les conflits impliquant les Hommes et la faune pouvaient être néfastes pour la conservation de la faune, mais aussi au tourisme, le gouvernement obtint la responsabilité de mitiger ces conflits selon les ressources disponibles (e.g. feux, chiens, translocation, destruction d’habitats, élimination directe par arme à feu, etc.). Les propriétaires de terres pouvaient aussi tuer les animaux menaçant leur propriété, ainsi que faire la demande d’une compensation si des dommages étaient causés. La Loi sur la Conservation et Gestion de la Faune a aussi été élaborée sous cette politique, protégeant ainsi certaines espèces fauniques (aucune espèce floristique), mais particulièrement celles ayant une valeur économique. La chasse et la vente des produits fauniques furent bannies en 1977 et 1978. En 1989, pour contrer la corruption des membres gouvernementaux qui s’occupaient de faire régir la politique faunique, le Kenya Wildlife Service fut créé en amendement à la loi de 1977. Cet organisme permit de réduire la corruption et d’investir les revenus directement dans la conservation. Le système de compensation pour la perte d’animaux d’élevage ou de récoltes, également fortement corrompu, fut éliminé. Suite à ces changements, et avec la chasse à trophée toujours bannie, les revenus économiques afin de protéger la faune devinrent très faibles, et la mitigation des conflits Hommes-Faune fut délaissée au début des années 1990. Suite à une augmentation de mortalités de Kenyans provoquées par les éléphants, les conflits hommes-faune revinrent quelques années en tant que priorité, mais les nombreux changements de directeurs au sein du Service ne permit pas de conserver cette priorité, et les démarches pour la résolution des conflits furent abandonnées.

Heureusement, de nombreux organismes non gouvernementaux et scientifiques tentent aujourd’hui de remédier à la situation en mettant sur pied différents projets qui permettraient la réduction du conflit avec les carnivores. En particulier, le biologiste Laurence G. Frank, suite à ses nombreuses recherches sur les carnivores de la région et l’attitude des habitants envers ceux-ci, créa l’organisation Living With Lions Trust, de laquelle il est aujourd’hui directeur (Living with Lions, 2010). Cette organisation développe différents moyens de mitiger les conflits entre hommes et carnivores, en particulier les lions, dans différentes régions du Kenya. Le projet concernant les prédateurs de Laikipia (Laikipia Predators Project) existe depuis 1997 et vise trois grands objectifs : 1) concevoir des stratégies de conservation des lions, 2) protéger le bétail contre les prédateurs et 3) s’assurer que la communauté locale reçoit une valeur économique considérable des lions et autres espèces fauniques avec lesquelles ils cohabitent (Living with Lions – Laikipia Predators Project, 2010). L’objectif principal est donc d’acquérir le plus de données possible sur le comportement des lions et des autres prédateurs, afin d'assurer une protection du bétail qui soit adéquate. La recherche est un pilier important du projet, où toutes les meutes de lions sont suivies grâce à des colliers avec GPS (Living with Lions – Laikipia Predators Project, 2010). Leur comportement peut donc être connu à l’heure près, et les individus problématiques peuvent être étudiés afin d’évaluer comment ce comportement se manifeste (Living with Lions – Laikipia Predators Project, 2010).

  Earth Touch News / LGD

L’approche préconisée par l’équipe de biologistes dans le district de Laikipia est principalement d’améliorer les techniques d’élevage et de protection du bétail afin de réduire la prédation des carnivores sur le bétail présent dans la région (Living with Lions – Laikipia Predators Project, 2010). En effet, puisque les méthodes traditionnelles telles que réunir les animaux domestiques la nuit dans des enclos et utiliser des chiens ou des bergers pour guider les troupeaux durant la journée s’avèrent efficaces, il suffit de tenter d’améliorer les moyens déjà en place avec les informations comportementales obtenues par les recherches. 

  African Wildlife Fondation / bomas / Peter Chira

Des bomas transportables conçus de panneaux de métal ont été fabriqués afin d’empêcher la prédation par les lions durant la nuit (Frank et al., 2009). La mobilité de ces bomas permet d’éviter le surpâturage des sols par les bêtes domestiques et ainsi vient contribuer à la conservation des paysages en plus de diminuer la prédation par les grands carnivores (Frank et al., 2009). L’efficacité de ces bomas est toujours à l’étude, mais il semblerait que la prédation diurne est plus souvent observée maintenant que le bétail est moins disponible durant la nuit (Frank et al., 2009). De plus, le pourcentage moyen de lions tués sur les fermes commerciales est passé de 19 % à 2,3 % depuis 2002 (Living with Lions – Laikipia Predators Project, 2010).

3.3.4 La réinstauration de la chasse à trophée comme outil de conservation ?

Bien que controversée, la réinstauration de la chasse à trophée à des fins de conservation au Kenya est vivement discutée par les biologistes. L’attrait de ce type de chasse est principalement économique : les touristes paient une agence pour le droit de tuer un animal, en plus de payer pour le trophée, soit l’animal tué. Internationalement, on considère que les revenus annuels liés à la chasse à trophée excèdent 500 millions USD (Lewis et Jackson, 2005). La chasse à trophée est légale dans vingt-trois pays subsahariens et génère des revenus de plus de 201 millions USD par année (Lindsey et al., 2007). L’Afrique du Sud enregistre des revenus annuels de 50 millions USD et la Tanzanie, le seul pays d’Afrique de l’Est où cette activité est aujourd’hui permise, enregistre des recettes de près de 28 millions USD (Lewis et Jackson, 2005; Lindsey et al., 2007).

  Wildlife Angel

La discussion sur la restitution de la chasse au trophée est souvent présente dans les textes abordant la gestion de la faune au Kenya et dans le district de Laikipia en particulier (Frank, 1998; Frank et al., 2005; Romañach et al., 2007; Lindsey et al., 2007). Plusieurs biologistes de conservation sont d’avis que la chasse à trophée serait un outil efficace pour gérer la faune en améliorant la tolérance des communautés locales envers les grands prédateurs, puisque les revenus y étant associés sont élevés (Frank, 1998; Frank et al., 2005; Lindsey et al., 2007; Romañach et al., 2007; Treves, 2009).

Les habitants de Laikipia démontrent une frustration envers leur incapacité de pouvoir développer l’industrie de la chasse touristique sur leurs terres, d’autant plus que près de 30 lions par année sont en moyenne tués suite à des prédations sur le bétail et pourrissent sur les terres puisque leur chasse est interdite (Frank, 1998). Les revenus qui pourraient être engendrés si ces animaux pouvaient être utilisés comme trophées sont très élevés – près d’un million de dollars américains (Frank et al., 2005).

Frank (1998) aborda la question du retour de la chasse touristique avec les propriétaires de fermes commerciales ainsi que les éleveurs pratiquant le pastoralisme dans le district de Laikipia : 64 % et 75 % respectivement se disaient en faveur de la chasse à trophée sur leurs terres. Les éleveurs commerciaux approuvant cette activité se disaient aussi en faveur d’une augmentation (en moyenne de 20 %) du nombre de lions présents près de leurs territoires (Frank, 1998). Ils se disaient par contre plus en faveur de la chasse à trophée sur les individus problématiques ayant déjà une ou plusieurs prédations sur le bétail à leur actif (Frank, 1998). Cette approche aurait bien sûr les avantages de ne pas réduire la population de lions et de cibler directement les individus démontrant le comportement de prédation sur des bêtes domestiques, mais comporte tout de même de nombreux désavantages. Les épisodes de prédation ne sont pas prévisibles alors que les forfaits de chasse sont souvent réservés à l’avance. De plus, certains propriétaires pourraient surestimer les prédations sur le bétail sur leur terrain afin de déclarer plus d’individus problématiques et ainsi, faire plus de revenus (Frank, 1998).

La chasse aux lions et aux léopards dans le district de Laikipia semble néanmoins faisable, mais son implantation suppose une gestion complexe qui prend en considération de nombreux enjeux (Frank, 1998; Frank et al., 2005; Lindsey et al., 2007). La dynamique des populations devra être étudiée en détail afin de s’assurer que l’élimination d’individus chassés ne met pas en danger le futur des populations et celles-ci doivent aussi être suivies chaque année afin de fixer des quotas raisonnables (Frank, 1998; Lindsey et al., 2007). La corruption est présente dans plusieurs pays où la chasse à trophée est actuellement permise, et il est impératif de l’éliminer si les gouvernements désirent garder la confiance des communautés locales (Lindsey et al., 2007). Encourager par des subventions les agences touristiques ou des propriétaires qui proposent des safaris de chasse, mais qui s’impliquent aussi en conservation de la faune pourrait inciter d’autres agences ou habitants à imiter leurs initiatives (Lindsey et al., 2007).

La population du district de Laikipia semble être prête au retour de la chasse à trophée et il parait évident que celle-ci apporterait des revenus et de meilleures conditions aux habitants, si elle est bien développée, encadrée, gérée et si les profits retournent réellement aux communautés locales. Plusieurs années de recherches et d’essais seront nécessaires avant d’obtenir un système aussi efficace. Cependant, la pertinence de réinstaurer la chasse à trophées dans une région où la tolérance est déjà plus grande qu’à d’autres endroits dans le monde peut être questionnée. Si les bergers et les enclos réduisent déjà la prédation par les grands prédateurs, il ne semble pas nécessaire d’investir autant d’argent pour quelques trophées par année.

3.3.5 Conclusion

Laikipia est une région des plus intéressantes pour les biologistes s’intéressant aux conflits Hommes-carnivores puisque bien que quelques habitants vengent leurs animaux domestiques blessés ou tués, beaucoup d’entre eux cohabitent bien avec non pas une espèce de carnivore, mais plusieurs d’entre elles, en plus des grands herbivores qui peuvent aussi causer des dommages importants. Il semble que les populations du district de Laikipia comprennent qu’elles possèdent une chance unique de pouvoir coexister près de cette faune diversifiée et unique au continent africain. Certains auteurs expliquent la différence entre la tolérance des populations kenyanes et celles américaines par leur Histoire : alors que l’Amérique fut défrichée par des peuples qui croyaient devoir conquérir une nature hostile, l’Est africain fut plutôt colonisé par de grands aventuriers et chasseurs qui étaient attirés par la nature et la valorisaient; un trait psychologique qui serait peut-être transmis aux générations futures et qui expliquerait le comportement des fermiers commerciaux, souvent d’origine étrangère (Frank et al., 2005). Frank et al. (2005) indiquent aussi que la perte de biodiversité au Kenya fut peut-être si importante et rapide que les habitants d’aujourd’hui se sentent plus responsables de conserver les espèces résident toujours sur leurs terres. Malgré tout, la raison derrière la tolérance des grands prédateurs au Kenya, comme à beaucoup d’endroits, parait surtout économique.

En effet, la tolérance envers la mégafaune a été observée particulièrement chez les éleveurs commerciaux qui sont, dans la plupart des cas, des étrangers beaucoup plus riches que les petites communautés Masais. La tolérance chez ces derniers, bien que présente, est tout de même moins grande et il est probable que s’ils observent des programmes de compensation dans des districts voisins (comme c’est le cas dans le sud du pays), qu’ils réclament un financement similaire. Il semble difficile de leur reprocher une pareille demande puisque ces maigres revenus leur permettraient d’éduquer et nourrir leur famille.

La tolérance étant tout de même plus importante qu’à bien d’autres endroits sur la planète, il semble préférable de mettre les efforts sur l’amélioration des techniques d’élevage qui réduisent la prédation par les grands carnivores présents sur les terres kenyanes. La création de programmes générant des revenus, par la création d’emplois (comme le projet de Lion Guardians, de Living With Lions Trust où 25 membres de communautés Masais sont employés pour faire le suivi et protéger les lions) ou par le tourisme, devrait être la deuxième étape menant à une gestion de la faune incluant les communautés locales. Les compensations financières ne semblent pas être nécessaires, du moins pour le moment (Romañach et al., 2007).

3.4 Conclusion

Le chapitre 3 avait pour objectif de décrire en détail des situations de conflit entre les Hommes et les grands prédateurs, dans différentes zones géographiques, afin d’évaluer les solutions qui ont été apportées par les biologistes. On remarque que, malheureusement, aucune solution universelle n’est aujourd’hui existante et que les contextes culturel, social, politique et même historique, peuvent influencer les méthodes appliquées afin de régler le conflit. Un amalgame des différentes méthodes d’atténuation ou de réduction du conflit est souvent aussi nécessaire afin d’être plus efficace. Un duo composé d’amélioration des techniques d’élevage et de bénéfices monétaires (compensations, assurances ou subventions) semble être souvent retenu par les biologistes de conservation puisqu’il permet de réduire le nombre d’événements de prédation ainsi que d’améliorer la tolérance des éleveurs à l’égard des carnivore en leur fournissant des revenus qui compensent les pertes.

Il est intéressant d’observer comment les communautés à plus faibles revenus sont souvent plus enclines à s’impliquer dans les programmes de conservation, probablement parce que les bénéfices qu’ils peuvent en retirer (par des compensations ou une réduction de leurs pertes) ont beaucoup plus d’impact sur leur vie quotidienne que chez les éleveurs plus riches. Ce qui peut sembler frappant est que les éleveurs Américains, qui ont probablement plus accès à l’éducation et plus de moyens financiers pour appliquer certaines méthodes de contrôles non létales, sont ceux revendiquant le contrôle létal d’une espèce qui ne leur cause pas tant autant de dommages que, par exemple, les grands prédateurs kenyans aux communautés de Laikipia.

Comme certains auteurs l’indiquent, peut-être est-ce une composante historique ou psychologique qui fait en sorte que les communautés rurales nord-américaines sont plus intolérantes à coexister avec les prédateurs comparativement aux communautés asiatiques ou africaines (Frank et al., 2005). Peut-être est-ce une composante culturelle : les sociétés américaines plutôt basées sur la consommation et la réussite financière voient les prédateurs comme un obstacle à cet objectif. La réponse semble contenir plusieurs éléments touchant autant la politique, l’histoire, l’éducation, la psychologie et la culture, rendant chaque conflit un défi de taille pour les biologistes se battant pour la conservation des grands carnivores.

Chapitre 4

L’avenir du conflit

Malgré les solutions élaborées par les biologistes et les gestionnaires de la faune, il semble évident que la coexistence du bétail et des grands carnivores provoque un conflit loin d’être résolu, et comporte plusieurs composantes externes pouvant grandement affecter chacune des situations. Les erreurs commises dans les méthodes appliquées (ou non appliquées) permettent de soumettre des pistes de réflexion et de recommandation afin d’améliorer la situation, même si elle diffère selon les régions géographiques, ainsi que les contextes culturels, politiques et économiques.

Il parait urgent de cesser de tenter de réduire un conflit bureaucratiquement et d’aller sur le terrain, sonder les communautés locales et évaluer quelle solution serait la plus adaptée à la situation. Le présent chapitre aborde les progrès ou développements qui pourraient améliorer la tolérance des communautés locales ainsi que résoudre ou réduire le conflit.

4.1 Éducation et formation

La valeur qu’accordent les communautés locales à une ou plusieurs espèces fauniques dépend souvent de la connaissance qu’elles détiennent à leur sujet (Mishra et al., 2003; Sillero-Zubiri et al., 2007). C’est pourquoi l’éducation des communautés cohabitant avec les grands carnivores est souvent la première étape utilisée afin de sensibiliser les gens à l’importance de ces espèces dans la dynamique des écosystèmes (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001). L’éducation est surtout importante afin que les communautés apprécient les écosystèmes et la faune y habitant pour des raisons autres qu’économiques, un aspect qui est difficile à combattre, surtout dans les régions à très faibles revenus économiques (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001). Il est important aussi de démontrer aux citoyens qu’ils peuvent jouer un rôle dans la protection et conservation de certaines espèces en changeant certaines techniques d’élevage ou en cessant de tuer celles qui s’attaquant à leur bétail (Marker et Dickman, 2004). L’information apportée aux communautés locales permet aussi de démontrer que l’impact d’une menace n’est pas aussi élevé que les gens pouvaient le croire, pour ainsi améliorer la tolérance des gens envers les espèces avec qui elles coexistent (Sillero-Zubiri et al., 2007). Il faut cependant toujours s’assurer de garder un respect pour les expériences des habitants, pour qui un événement de prédation peut être très négatif.

Le succès des activités d’éducation n’est pas toujours évident, puisqu’elles doivent être bien adaptées aux réalités des communautés locales visées. Il ne faut cependant pas sous-estimer ces actions qui peuvent, à un niveau plus subtil, créer des changements chez quelques habitants et qui, possiblement, se répandront au sein de la communauté.

La formation des intervenants dans les conflits Hommes-faune, que ce soient des représentants gouvernementaux, des autorités locales ou des membres d’organisations non gouvernementales, est aussi une activité indispensable. En effet, il est primordial que les parties prenantes connaissent les enjeux qui font partie du conflit, mais aussi détiennent les connaissances nécessaires pour appliquer des solutions qui seront efficaces.

4.2 Recherche

La recherche sur le comportement des grands prédateurs, mais aussi sur celui des éleveurs et des fermiers permettra de mieux comprendre l’efficacité ou non d’une solution. Comme le démontrent les travaux effectués dans le district de Laikipia, au Kenya, une connaissance sur la biologie comportementale des différentes espèces peut grandement aider à améliorer les techniques d’élevage qui réduisent la possibilité d’attaques sur le bétail (Ogada et al., 2003). De plus, on en connait peu sur la raison qui pousse certains individus à devenir problématiques en s’attaquant au bétail et surtout, si ce comportement est transmis chez leurs descendants (Sillero-Zubiri et al., 2007). Ce type d’informations permettrait donc d’évaluer si certains endroits sont plus à risque au conflit avec le bétail et pouvoir faire les démarches nécessaires pour limiter les pertes.

L’implication des communautés dans les projets de recherche peut s’avérer aussi très avantageuse pour les scientifiques, puisque celles-ci détiennent souvent des informations intéressantes sur les espèces avec lesquelles elles cohabitent. Ainsi, les chasseurs ou les trappeurs connaissent souvent mieux que quiconque les lieux ou les moments précis où certains animaux peuvent être repérés ou capturés. Leur implication dans certains projets de recherche, comme aide dans les travaux de terrain, peut agir comme moyen éducatif et de sensibilisation à l’importance des grands carnivores dans les écosystèmes et promouvoir les méthodes non létales.

Au niveau des communautés locales, les questionnaires et entrevues semblent des outils intéressants pour connaitre l’opinion des habitants, mais il faut s’assurer de pouvoir confirmer certaines données par des travaux de terrain ou établir un lien de confiance afin d’obtenir des résultats représentatifs de la situation réelle. En effet, deux recherches menées dans une même région peuvent montrer des résultats différents selon le type d’évaluation effectué : il faut évaluer l’opinion non seulement des éleveurs, mais des travailleurs sur les fermes, les femmes, les communautés pratiquant le pastoralisme, les fermes commerciales, etc. À ces fins, il ne faut pas sous-estimer l’apport que peuvent apporter certaines théories des sciences sociales. En effet, certains chercheurs se sont penchés sur les conflits Homme-faune depuis perspective sociale, et en ont conclu que certains modèles de sociétés, aussi appelés caractères culturels, permettraient de prévoir leurs attitudes envers la faune (Manfredo et Dayer, 2004). Ainsi, une société possédant une culture caractérisée individualiste, matérialiste (c’est-à-dire au stade où satisfaire les besoins primaires est la motivation principale) et de religion judéo-chrétienne ou islamiste aurait une vue plus dominatrice sur l’environnement et verrait la faune plutôt comme une compétition, alors qu’une culture collectiviste, postmatérialiste (au stade où l’accent est mis sur l’expression personnelle et la qualité de vie) aurait une vue beaucoup plus protectrice en insérant l’humain comme une partie de la nature et non pas son supérieur (Manfredo et Dayer, 2004). 

Bien sûr, de nombreux intermédiaires peuvent exister, et le processus d’évaluer le caractère culturel d’un groupe est complexe, mais il est tout de même intéressant de concevoir que l’on pourrait anticiper la réaction de certains groupes au conflit Hommes-carnivores et surtout, leurs attitudes face à une solution qui leur est proposée. Ainsi, l’approche multidisciplinaire devrait être préconisée et les biologistes de la conservation ne devraient pas sous-estimer l’apport que les sciences telles la psychologie, l’anthropologie, la politique et la sociologie pourraient leur apporter.

4.3 Le partage des expériences

Le partage des expériences, des résultats et surtout, des étapes qui permettent l’implantation d’une solution est aussi une activité à ne pas sous-estimer. En effet, si les scientifiques, mais aussi le grand public, ont accès à ce type d’informations, peut-être plus d’initiatives et de projets efficaces pour la conservation des prédateurs dans différentes régions du monde seront observés (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001). Des propriétaires privés désireux de réduire la prédation sur leur bétail tout en ayant un souci de conservation pourraient aussi avoir accès à ces renseignements et trouver la solution qu’ils jugent plus adéquate à leur situation. Bien qu’une stratégie puisse être adaptée à une région, une espèce ou une culture spécifique, les leçons apprises de l’implantation du projet peuvent profiter à d’autres scientifiques qui désirent instaurer un programme semblable. Heureusement, les avancés technologiques ont permis un accès à l’information beaucoup plus important et des bases de données en ligne, telle Carnivore Ecology & Conservation (www.carnivoreconservation.org), initiative personnelle d’un biologiste, permet de trouver de la littérature scientifique, mais aussi des manchettes de journaux concernant le comportement, la biologie et l’écologie des carnivores.

Les conflits Hommes-faune ont fait l’objet d’une tribune plus importante lors du cinquième Congrès mondial sur les parcs de l’UICN en 2003 (UICN, 2005). En effet, un atelier de discussion a permis de faire un partage d’expériences et d’émettre cinq recommandations qui permettraient de contrer les différents conflits (UICN, 2005). On recommande 1) l’établissement d’un forum international qui permettrait d’avoir un réseau global où les conflits pourraient être discutés, 2) de renforcer les capacités et le rôle des gestionnaires d’aires protégées, des communautés et des différentes parties prenantes pour mieux mitiger et prévenir les conflits, 3) de garantir la coopération nationale et internationale dans le développement et le support de programmes visant la résolution des conflits Hommes-faune, 4) d’encourager les gouvernements et autorités locales, nationales et internationales de reconnaitre les besoins pressants de réduire ces conflits et 5) d’encourager les organisations de financements nationales et internationales à désigner des montants adéquats aux programmes visant la résolution des conflits Hommes-faune (UICN, 2005). 

Bien que représentant une petite partie de ce congrès, la présence des conflits Hommes-Faune au sein de ce congrès a permis de démontrer qu’un effort considérable devait être déployé localement, nationalement et internationalement afin de les résoudre. L’importance des conflits Hommes-faune dans la littérature et les médias s’accroît petit à petit, avec notamment des ouvrages tels que People and Wildlife : Conflict or coexistence (Woodroffe et al., 2005c) ou des portails web tels que humainwildlifeconflict.org, disponible depuis le printemps 2010 mais toujours en construction. Il serait fort probable, et essentiel, que les conflits Hommes-Faune occupent une plus grande place dans le prochain congrès, en 2014.

L’établissement d’un congrès international se concentrant seulement sur les conflits Hommes-Faune serait une initiative des plus intéressantes puisque cela permettrait d’aborder les conflits non seulement près des aires protégées, mais aussi dans les zones urbaines, les zones rurales et les terres privées.

4.4 Implication des gouvernements

Dans les trois cas abordés dans l’ouvrage présent, les conflits étaient tous réglés, en totalité ou en partie, grâce à un organisme ou une fondation privée. Malheureusement, les conflits Hommes-faune sont rarement une priorité des gouvernements, laissant les politiques fauniques peu adaptées à la réalité des régions où elles doivent être implantées.

Il n’est pas question ici de centralisation de la gestion de la faune, au contraire, mais plutôt d’une meilleure définition et renforcement des lois concernant la gestion de la faune. Sans nécessairement être présents à tous les niveaux, les gouvernements doivent démontrer qu’ils comprennent les intérêts des communautés locales et créer des politiques, organismes gouvernementaux et programmes qui visent la coexistence des Hommes avec les grands prédateurs. Cet engagement, s’il est absent de toute forme de corruption ou de malveillance, permettrait d’améliorer la confiance des communautés locales envers leurs autorités gouvernementales.

Les revenus touristiques liés à la faune devraient aussi, en partie, retourner aux communautés locales, par les programmes de conservation se déroulant sur leurs terres, l’implantation de programmes éducatifs ou l’application de nouvelles techniques d’élevage innovatrices.

4.5 Partage de la gestion

L’implication directe des communautés locales dans la gestion de la faune est un outil de plus en plus utilisé dans la conservation des carnivores. Les communautés jouant un rôle important dans la conservation des carnivores se sentent généralement plus impliquées et écoutées, et donc sont souvent plus tolérantes d’un problème (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001). Les biologistes de conservation ou les autorités politiques ont souvent accusé les communautés locales d’être le problème ou l’obstacle aux objectifs de conservation, mais ils s’avèrent des alliés importants lorsqu’ils sont inclus dans les programmes (Sillero-Zubiri et Laurenson, 2001; Sillero-Zubiri et al., 2007). L’implication des communautés locales, dans des projets qui peuvent être en partie subventionnés et supervisés par les gouvernements et des organismes privés, créerait une gestion partagée qui permettrait des programmes plus viables économiquement puisqu’ils ne dépendent pas du financement d’une seule organisation. L’administration de ce type de gestion peut être complexe, mais si un comité est créé, avec un représentant de chaque partie prenante, que les rôles de chacun et les objectifs sont bien définis, la situation peut être simplifiée.

Une solution intéressante est donc de créer des programmes de conservation des grands carnivores qui permettront une réelle protection ou gestion des populations, tout en créant des revenus pour les communautés locales. Il semble que peu importe l’endroit géographique ou la culture présente, les communautés locales s’entendent sur un point : ils désirent recevoir des bénéfices en échange de la conservation de prédateurs qui peuvent nuire grandement leur situation économique. Même dans le district de Laikipia, où la tolérance envers les carnivores est tout de même élevée, les éleveurs ont manifesté leur désir de recevoir un revenu par des activités touristiques ou compensatoires (Romañach et al., 2007). Cependant, ce type de programme ne semble pas toujours l’option parfaite, puisque si ces revenus sont perdus suite à une baisse du taux de tourisme ou des subventions, il se peut que certains habitants retournent à leurs anciennes habitudes en tuant les animaux qu’ils jugent dangereux. Il faut que les communautés locales voient l’avantage de conserver les animaux pour des raisons écologiques et non seulement économiques. C’est pourquoi les activités éducatives et de sensibilisation restent un outil fort important.

4.6 Promotion des stratégies non létales

Bien que les stratégies létales puissent s’avérer efficaces pour réduire la prédation puisque les animaux problématiques sont éliminés de l’environnement des communautés locales, un effort devrait être mis pour élaborer et tester certaines stratégies non létales lorsque les situations le permettent. En particulier lorsque les espèces en jeu sont menacées d’extinction, les techniques létales devraient être le dernier moyen utilisé ou du moins, utilisé au minimum, simultanément avec des techniques non létales. Les organismes gouvernementaux et privés devraient encourager et financer les programmes qui tentent d’implanter certaines stratégies non létales telles que des enclos de nuit, qui s’avèrent souvent efficaces pour limiter la prédation. Un certain budget devrait aussi être disponible pour tester de nouvelles approches ou de nouvelles innovations non létales et aussi, faire un suivi de celles déjà en place à des fins de comparaison.

Au niveau des incitatifs économiques, les compensations monétaires simples, qui ne sont souvent efficaces qu’à court terme (Nyhus et al., 2005; Sillero-Zubiri et al., 2007) devraient être évitées, et les systèmes d’assurances ou les programmes incitatifs où un montant est versé aux communautés qui prennent des initiatives de conservation en créant des aires avec activités anthropiques réduites ou en cessant la persécution d’une espèce, devraient être plus souvent utilisés.

L’avenir du conflit de la prédation sur le bétail et la coexistence avec les grands prédateurs semble complexe et rempli de défis. Cependant, si l’implantation de stratégies efficaces et bien adaptées à la réalité des régions se fait à petite échelle, il parait probable que l’on observe de plus en plus de cas où une amélioration peut vraiment être perçue et que l’on puisse tirer des leçons de ces expériences. Il faut tenir compte de toutes les parties prenantes, et surtout des communautés locales, qui peuvent apporter beaucoup en étant impliquées dans un projet. Il ne faut surtout pas sous-estimer l’aide que peuvent apporter les autres domaines scientifiques ou sociaux si des méthodes durables doivent être établies. La conservation n’est pas une simple question d’écologie et de gestion, mais bien un domaine pluridisciplinaire où les sciences biologiques côtoient de près les sciences sociales.

Conclusion

Les conflits Hommes-carnivores sont présents partout où les humains partagent des terres qui forment partie du domaine vital de grands prédateurs et peuvent causer des dommages considérables dans certaines régions si un contrôle n’est pas effectué. La croissance de la population humaine mondiale augmentera le besoin de cohabitation avec la mégafaune et il est donc primordial de mettre les conflits Hommes-faune dans les priorités de conservation, et ce, internationalement. Heureusement, différentes stratégies ont été développées et ont permis de réduire l’intensité du conflit dans certaines régions tout en gardant des objectifs de conservation, mais le besoin de recherches et d’innovations est toujours présent. Les avancées technologiques pourraient amener à l’élaboration de nouvelles techniques non létales ou améliorer certaines déjà existantes, afin que celles-ci deviennent plus efficaces et plus accessibles pour certaines communautés locales.

  Sciences et Avenir

L’examen de situations problématiques dans différentes régions géographiques a permis d’observer que la résolution du conflit de la prédation sur le bétail par les grands carnivores est loin d’être simple.

Un aspect culturel important semble influencer la tolérance et l’opinion des communautés locales sur les espèces mises en jeu et les techniques utilisées pour réduire le conflit. Des stratégies et solutions globales, qui s’appliqueraient à toutes les situations, ne peuvent donc pas être élaborées puisque chaque situation, parfois au sein d’un même pays, nécessitera une approche différente. Les études de cas ont permis aussi de constater que la situation économique d’un pays ne reflète pas nécessairement sa tolérance pour une espèce ou du moins, son désir de s’impliquer dans les programmes de conservation. Alors que les programmes de conservation basés sur des techniques non létales sembleraient plus facilement implantables dans les pays industrialisés, où les ressources et le soutien de la part d’organismes gouvernementaux et privés sont plus nombreux, la situation du loup gris dans l’Ouest américain et la haine soutenue des communautés locales pour l’espèce démontre que ce n’est pas toujours le cas.

Malgré tout, les cas discutés dans cet ouvrage permettent de réaliser que malgré la complexité de certaines situations et des enjeux qui peuvent être impliqués, la coexistence des humains et des grands carnivores est possible.

Il faut cependant que la population mondiale constate que le prix à payer pour cette cohabitation ne peut pas être soutenu uniquement par les communautés locales qui vivent directement avec le problème.

Il va sans dire que c’est un défi de taille qui guette les biologistes qui s’attaquent aux problèmes de la coexistence des grands carnivores et des humains et du conflit avec la prédation sur le bétail. Les scientifiques sont amenés à ouvrir leurs horizons en faisant appel et en collaborant avec des professionnels de divers milieux et des membres des communautés locales qui souvent, ont une vision distincte de la leur à propos du problème. C’est, dans de nombreux cas, un changement dans les mentalités qui doit être effectué avant qu’une amélioration réelle soit perçue.



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