Interview
Laurent Testot : «Le chien est comme un loup infantilisé à vie»
Dans son dernier ouvrage, Homo Canis (Payot, 2018), l'essayiste et journaliste Laurent Testot donne la parole aux chiens pour qu'ils se racontent depuis les temps anciens où ils n'étaient encore que des loups gris. Les gènes du loup gris sont encore présents dans l'ADN du bouvier des Flandres mais aussi dans celui du minuscule yorkshire. Il faut donc parler du loup, de notre histoire commune, pour mieux comprendre notre compagnonnage avec le chien. Selon l'auteur, la connaissance de cette histoire partagée sur tous les continents nous permet de mieux comprendre la nôtre, de la reconnecter à la nature et donc de nous aider à affronter les grands changements environnementaux qui se préparent.
Pourquoi le chien ?
Les chiens sont un bon moyen de raconter l’histoire globale parce qu’ils nous accompagnent depuis très longtemps partout sur la planète. Nous les fréquentons depuis vingt mille ou trente mille ans. C’est avant tout un compagnon de travail. Ils bénéficient depuis une décennie d’un engouement de la recherche. Nous nous intéressons enfin sérieusement aux intelligences animales. Les chiens sont capables d’émotions très variées. Je pense qu’ils sont crédibles comme sujets de l’histoire.
Avant l'arrivée de l'homme moderne (l'Homo sapiens) en Eurasie, entre 120 000 et 45 000 avant notre ère, un seul autre prédateur surplombait l'écosystème : le loup. Depuis deux millions d'années, les ancêtres du loup, puis le loup, dominaient la nature sans partage. C'était le «moment du loup». Seul l'humain a réussi à le repousser. Il en a résulté des tensions sur ses ressources alimentaires, et certains loups ont eu intérêt à se rapprocher de l'homme.
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Le loup gris et l’humain chassaient de la même façon, en meute et «à l’épuisement». Le loup et l’homme sont des marathoniens, ils peuvent courir très longtemps sans jamais se fatiguer avant leurs proies. Pour les deux espèces, la chasse est collective, comme une course de relais. Il faut s’entraider et donc planifier cette chasse. Certains rabattent, d’autres tuent, suivant leurs capacités physiques. Une meute de loups se conduit comme un véritable commando, avec tactique. Ils se font des signes, échangent des regards et surtout restent parfaitement silencieux. Les loups et les humains ont été complémentaires pour la chasse au mammouth. Les loups pouvaient les poursuivre et les immobiliser mais pas les tuer, ce dont les humains se chargeaient.
Les loups, comme les hommes, peuvent s’adapter partout ?
Ce sont deux espèces opportunistes. L’adaptation pour les loups est liée à des différences morphologiques importantes. Plus on va vers le nord, plus les loups sont des bêtes puissantes, de plus de 60 kilos car les ressources alimentaires sont principalement constituées de gros gibier. Ainsi on a longtemps pris les loups d’Afrique du Nord pour des chacals. Ils ne dépassent pas les 10 kilos et ressemblent davantage à un renard qu’à un loup gris. Ils ne chassent pas en meute car leurs proies ne sont que des petits rongeurs ou même des sauterelles qu’ils peuvent attraper seuls. Cette importante différence de morphologie et de comportement entre le loup du nord de l’Europe et celui d’Afrique est déjà un moyen de repérer la plasticité génétique du loup, qui lui permet de s’adapter à n’importe quelle région du globe. On comprend mieux comment aujourd’hui nous pouvons aussi bien avoir des chiens d’un kilo comme d’autres de près de 90 kilos. Ils descendent tous directement du loup et ont hérité de sa malléabilité génétique.
Comment est venue la domestication ?
Les premiers loups gris qui ont fait ce choix, bien avant de devenir des chiens, ont fait le bon choix, c’était certainement la seule façon de ne pas disparaître de territoires qui allaient devenir de plus en plus anthropisés. Aujourd’hui, le loup, qui parvient toujours à s’adapter, a considérablement reculé. Il n’en reste plus que 200 000 ou 400 000à l’état sauvage sur la planète, contre près d’un milliard de chiens qui traînent dans nos pattes.
En Afrique, chez les chiens errants, ceux qui font fonction d’éboueurs aux abords des villes ou villages, souvent 19 chiots sur 20 dans la même portée meurent avant d’arriver à l’âge adulte. Certains chiots ne vont survivre que parce qu’ils vont réussir à apitoyer un humain qui va les nourrir pendant un an ou deux. Comme si ces chiens nous sous-traitaient l’élevage de leurs petits. Cette délégation a peut-être été l’une des explications de la progressive domestication du loup, le pacte fondamental nécessaire au succès évolutif du chien par la suite.
Ce compagnonnage a aussi impliqué des évolutions alimentaires ?
Le chien, à force de vivre avec nous, a modifié son alimentation et donc aussi son système digestif. Quand nous avons commencé à cultiver des céréales, il a progressivement évolué pour digérer l’amidon, et il a donc développé des gènes similaires aux nôtres.
Pendant longtemps, la sélection s’est faite, dites-vous, de «façon empirique»…
Certaines races datent de l’Antiquité. La blancheur de la robe des patous est redevable à l’agronome romain, Lucius Columelle. C’est lui qui le premier définit quelques critères de sélection pour les chiens. Il explique que le chien de garde doit être noir pour mieux impressionner l’intrus, et le chien de troupeau doit être blanc afin qu’on le distingue toujours bien des loups. Bien plus tard, la génétique a fait son apparition, autorisant des sélections de plus en plus fines.
Combien de temps faut-il pour créer une nouvelle race ?
Une nouvelle race se crée en moins de dix ans. Le processus de domestication du loup a aussi modifié la sexualité et la reproduction. Le chien a ainsi une reproduction beaucoup plus rapide que celle du loup. La louve ne met bas qu’une fois par an. Le loup est un «fauve artisanal», il nécessite une à deux années d’apprentissage dans la meute pour être parfaitement aguerri. En comparaison, le chien est un modèle «industriel». La chienne a deux portées par an. Elle sèvre ses chiots très rapidement, au bout de deux mois.
A force de sélectionner des chiots faciles et conviviaux, nous avons développé des espèces «infantiles» ?
Les chiens sont comme d’éternels adolescents. Il faut des générations et des générations avant que le loup ne devienne un chien, avec des caractéristiques très juvéniles, comme de petites dents, des oreilles tombantes, un museau plus court, de grands yeux, une moindre corpulence et surtout un comportement de chiots ou de jeune chien. L’aboiement est un trait néoténique (juvénile) du loup. Le loup n’aboie que lorsqu’il est louveteau. L’aboiement est une plainte, un appel à l’aide. On a besoin de sélectionner des individus aux comportements juvéniles pour mieux les dominer et les dresser. Le chien est comme un loup infantilisé à vie.
Pourquoi a-t-on un rapport si conflictuel avec le loup alors que nous vivons depuis si longtemps avec son descendant direct ?
L'irruption de la modernité a joué un rôle, même si le loup est mal perçu depuis longtemps. Dans la Bible, lui et le chien ont une mauvaise image. Puis le chien a accompagné l'homme dans ses activités comme la chasse, et son image s'est améliorée. Le loup, lui, est vu, souvent à tort, comme le concurrent du chasseur. Mais l'émergence d'un nouveau système économique va condamner le loup. C'est en Grande-Bretagne, pays précurseur de la modernité, que les premières campagnes d'éradication ont été les plus massives. Elles commencent dès le XVe siècle en Ecosse, alors couverte de forêts dans lesquelles les loups vont se réfugier : les Ecossais les ont brûlées. La Grande-Bretagne a ainsi réussi à éradiquer tous ses loups dès la fin du XVIIe, début du XVIIIe siècle. Les nobles vont clôturer les terres pour y faire paître des millions de moutons. Ils n'ont pas besoin de patous puisqu'il n'y a plus de prédateurs, de simples border collies, venus d'Islande, suffisent à encadrer les troupeaux de milliers de têtes. Le nouveau modèle est là : un berger, un chien de conduite, et des troupeaux énormes. Les rendements sont donc démultipliés. On a voulu adapter ce modèle britannique en France dans le courant du XIXe siècle. On éradique alors nous aussi tous nos loups. Les derniers meurent dans les années 30. Sauf que ce système économique craque si le loup revient. Et, aujourd'hui, on ne peut plus l'éradiquer comme au siècle dernier. La France a signé des conventions internationales visant à le protéger. Plus qu'un problème, le loup incarne une véritable contradiction. Cette logique agricole industrielle de moindre coût est mise en péril par la présence de loups, et le loup devient pour les éleveurs la goutte d'eau qui fait déborder le vase dans un système économique qui les broie. Il est plus facile de désigner le loup comme bouc émissaire qu'un système économique.
Quels sont nos points communs avec son descendant, le chien ?
Cela commence par l’empathie, le chien est un animal capable de déchiffrer notre regard. Mieux qu’un grand singe. Cela est dû à notre très longue cohabitation. Le chien répond plus au regard, à l’expression corporelle qu’aux mots. Il est en attente de travail, il veut faire plaisir. Il a été élevé comme ça, et a été sélectionné pour être à l’affût de nos demandes. La relation entre maître et chien est l’une des rares où l’hormone ocytocine est produite pour une communication interspéciste. Les méthodes de dressage évoluent avec l’histoire. Au siècle dernier encore, les éthologues avaient tendance à projeter le modèle du mâle alpha pour le dressage des chiens. On dressait des bergers allemands par la domination. On pensait reproduire le système de la meute. Sauf que la meute de loups et son mâle alpha constituent un système très sophistiqué, et on devrait parler d’autorité parentale plutôt que de domination, avec en plus un apprentissage sur le long terme. Mais vous ne serez jamais le chef de meute de votre chihuahua. Ces relations de domination ne font plus sens chez eux depuis très longtemps. Ce code leur échappe, le chien est prêt à s’adapter toujours pour faire plaisir, mais sans comprendre. Plus que la domination, c’est le jeu et la communication qui permettent des apprentissages. Il existe d’incroyables niveaux de sophistication dans les tâches demandées aux chiens. Les chiens d’aveugles, les chiens démineurs sont le résultat non seulement de longs apprentissages mais aussi de lignée de sélection très ancienne. Des chiens assistants de personnes paraplégiques sont aujourd’hui capables de mettre le linge sale dans la machine, de la programmer, de sortir le linge propre et sec et de le ranger.
Que reste-t-il de cette relation du chien à l’homme ?
Il y a peut-être une nostalgie de notre long compagnonnage, de la capacité qu’il a de lire en nous, alors que la réciproque n’est pas forcément vraie. Nous avons tellement été occupés à l’utiliser que nous sommes sûrement passés à côté de beaucoup de ses qualités. Nous le connaissons finalement mal. Pourtant, il reste le plus proche médiateur de notre part animale. Plus rien au monde n’échappe à notre puissance, à nos pollutions, nous sommes omniprésents, que nous le voulions ou non. Le chien est notre dernière part d’amour pour l’environnement. Certains d’entre eux sont capables de détecter des cancers chez des humains.
Les chiens peuvent nous permettre de nouvelles découvertes. Il faut mettre les enfants urbains en contact avec des animaux comme eux. Ils peuvent ainsi découvrir que les animaux sont des êtres émotifs, intelligents, qui représentent un fort potentiel d’apprentissage sensible, bien plus interactifs qu’une tablette.
rw04/2023-10/23
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